samedi 22 octobre 2016

Lettre à Thoams Vinau



Nulle part c’est partout, as-tu écrit.
Et aujourd’hui ?
Ici comme ailleurs.
Temps perdu et passé.

La pluie est venue hier, et tout le monde, à Mértola, souriait. C’était une bonne nouvelle. J’avais croisé Geraldine qui se désolait (en anglais) de la sécheresse.
Plus rien à manger pour les bêtes. 
Les chevaux sont revenus des prés calcinés par le soleil. 
L’herbe et les bêtes.
Et puis, dans l’après-midi, après avoir visité le musée islamique, la pluie tiède et parfumée a rincé les trottoirs et les rues. L’herbe va reverdir, ai-je pensé.

Le matin nous avions appris la mort de la compagne d’un ami.
Endormie dans la fin de sa vie, bien trop courte, après la maladie.
Notre ami a dit : elle est partie, profitez de votre séjour, ne soyez pas tristes.

Ainsi tout voisine tout le temps. Mais tu le sais aussi bien que moi, Thomas. J’aime écrire ton prénom parce que c’est le même que celui de mon fils le troisième. Et aussi parce que pendant longtemps, dans ton adresse c’était Thoams. Et j’aimais beaucoup penser à toi en disant Thoams dans ma tête. Ainsi tu n’étais pas exactement toi-même. Il y avait le garçon que je connaissais et celui qui écrivait des livres. D’ailleurs, sur la couverture de tes livres, je m’attends toujours à lire Thoams. Est-ce que tes enfants connaissent ton nom secret ?


Gabrielle est venue ce matin taper à notre porte. Elle nous a raconté une petite histoire : une dame hollandaise qu’elle a rencontrée à la fête de la chasse qui a lieu ce ouiquinde à Mértola (capitale de la chasse !), pendant que son mari était allé chercher un verre de vin (um copo do vinho), a vite sorti son Smartphone et lui a montré la photo de son petit-fils. Gabrielle en riant a dit (en anglais) : ici sont réunies les plus jolies grands-mères et les plus fières aussi !

Tout est si blanc. Il y a un village, m’a-t-on raconté, où les maisons sont si souvent chaulés que toutes les arêtes en sont adoucies et arrondies, enrobées comme elles le sont chaque année. Peinture de femmes, village de neige, où elle ne vient que rarement. Pourtant, au plus haut de Mértola, on trouve Notre Dame des Neiges. Difficile d’imaginer tes enfants ici en train de luger ! Pourtant les pentes sont belles. Mais la neige ? J’imagine que le village où tout est blanc et doux est Silves, là où est né Ibn Qasi dont la statue équestre se  trouve à Mértola, devant le château, un libérateur si l’on en croit la légende. Silves que je vois entouré de forêts, comme dans un conte, est une invitation.

La maison est calme, beaucoup de blanc, sauf le rouge des tomettes. Et le bleu cru d’un meuble où sont posées mes affaires de dessin. Il y a un beau poêle qui laisse espérer un peu de froid pour l’allumer. Le mûrier que je vois depuis la table où je travaille n’a qu’une branche de feuilles d’or. Les autres sont encore d’un beau vert. Bien vif. Et la pluie revient, drue sur les tuiles et embaume la maison. Joie.

Vous êtes ici pour écrire quoi? m’a demandé un monsieur qui travaille à la mairie.
Sa femme souriait. Ils attendaient ma réponse. Heureusement, une dame à la belle chevelure frisée s’est glissée entre nous. Je suis tunisienne, a-t-elle dit. De Sousse. Ma maison en face de la mer. Et s’adressant en français à l’autre dame : vous êtes nord africaine, n’est-ce pas ? Vous en avez parfaitement le type. L’autre dame n’a pas répondu, ni son mari. Ici ce n’est pas rare que les gens ressemblent à leurs voisins de l’autre côté de la mer. Et ils en sont assez fiers. Du coup la question que m’avait posée le mari s’est perdue. Tant mieux.

J’écris des lettres, aurais-je pu répondre. C’est une activité pleine et entière. Même si ne se pratiquant plus guère. Une manière ancienne. Presque dépassée d’utiliser la langue. Un exercice, en riant j’ajoute une ascèse, pour ma voisine, mais elle ne comprend pas le français. Et les pieds dans le Guadiana, je compose des poèmes. Comme celui-là :

désir de neige

la langue est douce faille
entre sèches broussailles
sinuant jusqu’en bas
où est l’eau qui ne dit rien

fait monter les larmes
la langue, et la faille
jusqu’aux yeux
atténuer peut-être
le sec du cœur qui ne dit rien

deux yeux deux trous
et les larmes les traversent
jusqu’aux joues
de la montagne qui ne dit rien

Je ne sais pas pourquoi la poésie provoque tant de combats parfois. Son silence fait illusion. On croit les poètes occupés à désherber le poème et en fait, ils se battent à coups de verbes tranchants. Et certains se désolent et d’autres se réjouissent tout en se demandant quelle tenue ils vont porter pour affronter les autres poètes et les mettre k.o.
La poésie comme boxe des mots ? Pugilat du verbe ? Ou catch de pacotille ?

Ici dans les rues sont placardés des poèmes. Eugenio de Andrade mais aussi un hétéronyme de Fernando Pessoa. D’autres aussi, qu’il me reste à trouver. La poésie sur les murs du village voisine avec les noms des rues et les annonces diverses. Qui lit ces poèmes dispersés dans la cité ? Les deux poèmes s’attardent sur deux mots, pour l’un, amour et pour l’autre, ami. Il faut trouver d’autres mots sur les murs des rues et dans les poèmes. À suivre.

Ce matin, ma première pensée a été pour l’herbe. Est-ce qu’elle allait reverdir, est-ce que j’allais voir les douces collines de broussailles redevenir vertes ? Il n’en est pas de l’herbe comme des humains. Sans cesse elle repousse. 

Au bout des branches, les gouttes de pluie.
Quelqu’un court en se protégeant la tête.
L’eau ruisselle. Trace de nouveaux chemins.
Une espérance à suivre.

SD



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