lundi 8 août 2016

Où il sera question du nom que porte un poète, ou pas.

Corinna. Drôle de prénom, dit mon parent qui regardait la couverture du livre que je lisais.
Et Bille, ce n'est pas un drôle de nom?
C'est comme Colomb. Tu vois ce que je veux dire? La colombe, la palombe, le pigeon, la tourterelle.
Oiseaux, donc.
Mais Corinna?
Le village de Corin, en Suisse, dans le Valais où est née la mère de Stéphanie Bille.
Corin, Corinne?
Oui, et plus sûrement encore avec l'adjonction d'un A. Corinna, c'est une signature parfaitement féminine.
D'où s'envolent les oiseaux.
En effet, mais où la mère tourterelle volète joyeusement, enfin libre.
À Barcelone, au bas des Ramblas, sur un colonne est juchée la statue de Colomb, en espagnol Colon, qui rappelle à tous que la colonisation de l'Amérique découverte par Amérigo est annoncée dans le nom du navigateur gênois.


Se choisir un nom ou hériter ou inventer son nom, c'est souvent une histoire de fille, ai-je ajouté en servant à Bosseigne une tasse de café mexicain.
Toutes ne se posent pas la question, a-t-il marmonné.
Toutes, non. Celles qui essaient d'écrire.
De se faire un nom?

Et là, mon Bosseigne, tu as éclaté de rire. Aurais-je oublié que tu es un homme, mon cher parent?

C'est une question, en tout cas, que se posent certaines, non pour se faire un nom, mais pour exister, simplement.
C'est toujours le nom d'un homme que les femmes portent!
Non, vois Corinna. Ou Catherine Colomb.
Tiens, qui est-ce?
Une fée d'écriture.
Il faut en dire davantage.

Je me suis tu. À quoi bon. Expliquer, expliquer. Le matin est déjà tout un travail. Faire se lever le jour, y croire, après la nuit-tombeau. Renaître chaque matin, un tel effort. Et là, une demande trop vaste à encercler. Catherine Colomb ou l'eau des étangs, du lac, des torrents, de la côte vaudoise. Dont le nom fait s'envoler des anges dès la première page. Qu'en dire que mes amies suisses savent mieux que moi, elles qui goûtent toutes ces odeurs et ces mots depuis l'enfance?

Louis-Ferdinand Céline a choisi le prénom de sa mère, a déclaré tout à trac Bosseigne.
C'est vrai et il n'est pas le seul. Mais les femmes sont de toute manière confrontées au nom depuis leur naissance, nom du père le plus souvent, tu me l'accorderas. Et certaines vont choisir de porter le nom d'un autre homme, leur mari, leur compagnon, leur amant.

Oui, et alors?
Rien.
De qui porter le nom alors?
Pour écrire?
Pour vivre.

Catherine Colomb a cherché. Nul doute que le nom du navigateur a dû la troubler mais ce n'était pas ce choix qui la guidait. Non. Colomb, colombe, les oiseaux parcourraient ses livres. Tourterelle grise si douce et maternelle. Messagère tendre. Mais aussi mouettes gelées. Et fleurs et oiselles. Non, elle avait besoin d'un nom pour être écrivain. Et elle l'a trouvé dans la généalogie féminine de sa famille. Comme, d'une certaine manière, Corinna.

Tu sais pourquoi tu achoppes sur cette histoire de noms?
Bosseigne?
Tous les écrivains ou presque se posent la question du pseudonyme. Hommes ou femmes.
Sans doute. Un seul a-t-il pris le nom de sa maîtresse ou de sa femme?
Je n'en sais rien, mais on doit pouvoir trouver...au moins un exemple.

(Un asile, le nom, où se loger.
Comme le poème.
Mais fragile, précaire esquif sur la vague.
S'en faire une arche.
Dire son nom.
Sans trembler de honte.
Ou de désespoir.)

Je me tais à nouveau. Bosseigne déguste ses tartines.
Tes confitures sont délicieuses, cette année, dit-il.

Pas d'étiquettes sur les pots comme noms sur les livres.
Et je me demande en rangeant la vaisselle pourquoi Catherine Colomb et Corinna Bille ne sont pas aussi lues que Paul Nizon et Max Frisch, écrivains suisses germanophones.

Sans doute parce que toutes deux écrivaient en français?




mardi 2 août 2016

Suffit-il d'un livre à 95 centimes pour...

Je me souviens, écrit un poète.
Je me souviens, en écrit un autre.
Puis d'autres à sa suite.
Tous se souviennent.
Et à mon tour.
Et ainsi.
Vont les souvenirs.
Précis, imprécis.
J'achète un livre d'un poète qui en a écrit un autre à propos des dessins pariétaux.
Le livre coûte 95 centimes.
S'il y a lieu.
Le livre est dédicacé.
Aux amis du poète.
Je me demande comment  ils ont fait.
Pour se partager le livre puisqu'ils sont trois.
Trois prénoms dans la dédicace amicale.


Sur la couverture, dans un cercle inclus dans un polyèdre, le plan de la ville idéale,
(vers 1465) Sforzinda.
"Pour marcher en rêve dans les mêmes rues", a écrit le poète.
De sa main, à l'encre noire.

Je me demande lequel des trois a eu le livre, finalement.
Et s'en est débarrassé.
De manière à ce que je puisse plus tard l'acheter.
À un prix dérisoire.
Le livre a été publié en 2002.
Du temps a passé.
J'ai acheté un livre de son auteur entre temps.
Et puis celui-là, presque donné par son vendeur.
Qui vient de m'envoyer une lettre manuscrite.
Pour me remercier de mon achat.

Je l'ai acheté avec d'autres, presque par hasard.
C'était Catherine Colomb que je voulais lire.
Et là, ce livre, on dirait une plaquette, mais ce ne sont pas des vers.
Je pense encore au brigand.
Il est souvent posté derrière moi, malicieux, ironique aussi.
Nous nous entrapercevons.
Les quatre amis ont-ils arpenté les mêmes rues en rêve?
C'est peu probable, me souffle le brigand.
Il arrive qu'on dédicace des livres par politesse, murmure-t-il, lui qui en sait long sur la question.
Ou par obligation professionnelle. Journalistes, personnalités influentes, jolies femmes, etc.
D'ailleurs n'avais-je pas vu souvent chez des revendeurs des livres en service de presse que d'indélicats dédicataires avaient revendus sans état d'âme?
Le Brigand a raison.
Je n'en dis mot à Bosseigne. Nous repartirions sur une conversation impossible.
Il dirait: il y a là quelque chose qui résiste.

Peut-être lui donnerais-je raison. Mais pas lui, ni moi, ni personne.
Ce sont les choses du dessous, la lettre B, la cupidité ou le désintérêt.
Ceux-là même qui ont fait que l'un des trois amis du poète s'est séparé du livre reçu en cadeau.
O., C. ou G.?
Deux filles, un garçon.

Tu veux dire la cupidité ou le désintérêt? m'interrompt Bosseigne.

Ainsi, encore une fois, j'ai parlé à voix haute.
Ou mon brigand a lu dans mes pensées.





lundi 1 août 2016

Bienveillante, bonne, belle lettre. Bienne, Berne, Bâle. Ni père, ni mère.

Ceux qui vivent, ce sont qui luttent. Hugo.
Et Rimbaud, vivre, c'est lutter.
On ne résiste pas, on lutte, disaient les ouvriers qui occupaient les usines d'autrefois. Toujours.
Pourquoi est-ce que ce mot t'agace?
Un verbe qui ne passe plus par la langue, peut-être.
Ni par la bouche.
Qui te met de mauvaise, de pire, de méchante, mais tu ne résistes pas au plaisir de.
Non, je me demande si ce verbe est approprié.
Tu coupes les mots en quatre. De spaghetti, ils deviennent vermicelli.
Ce sont les mots qui nous découpent, pas nous qui les découpons.



Bosseigne grogne. Je me tais. Le vent passe entre nous. Mon parent ne s'avoue pas vaincu.

Tu refuses le verbe résister au nom du dictionnaire?
Comme debout.
Les assis, c'est pourtant un poème de Rimbaud?
Joe Bousquet est resté allongé une partie de sa vie. Est-ce qu'il était pour autant un allongé?
Tu veux dire que.
On peut être debout et résister seulement à l'attraction terrestre.
Ce n'est pas très clair. Tu deviendrais réactionnaire que tu ne m'étonnerais pas...
En réaction, oui. Et puis le sens des mots. Et aussi la bouche médiatique. On s'en remplit.
Je n'y résiste pas.

Walser couché dans la neige. Mourir debout à la guerre.
En vrac, des images. Le tambour d'Arcole, Bonaparte, Hitler debout face à la foule debout.
Tu y vas fort. Les orateurs sont toujours debout.
La plupart des gens de Nice sont morts écrasés au sol, couchés, atterrés.
Tian Anmen?

Est-ce qu'on résiste à une séparation, à la mort? ai-je repris après un silence.
Et comment y résister? ai-je ajouté.
À un malade condamné, des bien portants conseillent de résister.
Ou lui déclarent qu'il lui faut du courage et de la dignité.

Tu es de mauvaise foi/humeur. Je n'en sais rien mais tu files ta laine noire.
Je préfère la maladie à la bonne santé d'une certaine littérature.
Je préfère.
Tu préfères.
Lire Walser.
Continuer à le suivre.
À poursuivre.
À t'enferrer plutôt.
M'enfermer dans un livre et brigander.

Encore la lettre B!
Brocarder aussi.
Bâle, Berne et enfin (enfer?) Bienne?
Étudier sérieusement pourquoi trois villes suisses importantes commencent toutes par la même lettre débonnaire. Bienveillante, bonne, belle lettre. Balle, berne et bienne, féminin de bien. Tous mots que la bouche francophone ne peine pas à dire.
Pourquoi une telle interrogation?
À cause du Brigand et de son brigandage loin de Berlin. Et de son errance naturelle et aussi de son élégance et aussi de ses chapeaux en forme d'infini.


Quand tu veux couper l'herbe sous les pieds, tu sors la lettre B, c'est ça? rattaque mon parent.
Et l'île aussi sur le lac de Bienne et Rousseau herborisant, mon cher Bosseigne!
Un fauteuil en guise de bateau?
Pour rejoindre l'île saint-Pierre, il y a une route, et nos pieds.
Comme pour longer le lac d'Yverdon, des vernes.
Ne mélange pas tout, Bosseigne. Nous restons à Bienne.
Pour l'instant, aujourd'hui, premier jour d'août, nous sommes dans notre jardin à écouter le vent plier les arbres à sa guise. À nous demander qui va se lever pour faire le café.
Italien, cette fois et ce sera moi qui le ferai, ai-je déclaré en me levant.

Et ce qu'il y a en dessous des mots? demande encore mon parent.
Mais moi, trop loin, partie vers la cuisine, n'entends plus.
Que le vent.
Et me dis que seul le vent.
Peut conclure.
Une conversation mal engagée.

Ce qu'il y a dans un arbre, c'est le mouvement.
Je crie cette phrase courte à Bosseigne.
Mais le café crache sur le gaz sa vapeur.
Et je repense à cette expression de Robert:
 "Moi, je représente le beau malheur".
Elle convient au vent, au café et à ma détestation du verbe résister.
Et au matin qu'il faut goûter.

Je pose la cafetière et les deux tasses sur la table, attrape le Brigand et lis à mon parent:
" Il avait été on peut dire longtemps mort. Ses amis le plaignaient et se plaignaient eux-mêmes d'avoir à se plaindre de lui. Ainsi donc quelque chose en lui s'était éveillé, comme si c'était le matin qui se levait."