vendredi 29 novembre 2013

Tu n'as pas besoin de la perfection du cheval.

Est-ce qu'il existe des pays sans paysage?
C'était la question du soir.
A débattre au retour de Bosseigne.


Beau signe.
Beau qui saigne sur le roc.
Mon parent. Son nom. Notre patronyme.
Dureté et douceur.

Sans lui, ces questions dites dans le silence de la chambre, en attente de présence.
Il y a, ai-je lu dans un livre trouvé aux puces, Littérature en Silésie, des pays à paysages et d'autres sans. Ce mot de Silésie sur la couverture m'avait attirée. 1944. Armand Hoog. Ce dernier évoquait Apollinaire et d'autres écrivains français dans son livre, écrit dans ses grandes lignes, en captivité. Dans sa poésie, écrit-il, Apollinaire dépayse le poème en y introduisant la modernité. Tricherie, mensonge. Vraiment? Est-ce parce que Kostro, alias Apollinaire était sans patrie? Je reste là, à rêver, dans l'odeur du vieux papier. Pays, paysage, patrie, patronyme et sans patrie.

Dans la préface, l'auteur écrit:
Littérature en Silésie, mais littérature française.
Lui et ses camarades sont prisonniers. Silésie, 1940. La littérature semble alors un moyen de salut, sortir de l'accablement, du recours à l'abîme. Lire alors permet de toucher la chair des livres. Hoog cite Alain citant Aristote: Tu n'as pas besoin de la perfection du cheval. Et il ajoute: Ce qui compte, ce ne sont pas les paroles, c'est la voix.

Voix de Bosseigne entrant dans la maison et criant: tu es là?
La mienne, saluant dès l'entrée: bonjour maison.
Et nos voix, le soir et le matin, rassemblées en une conversation.
Heimweh, à nouveau?
La phrase d'Aristote: il me faudra demander à Bosseigne.
Ce qu'il entend, là. Ce qu'il n'entend pas, aussi.
Tu n'as pas besoin de la perfection du cheval.


Vraiment?



jeudi 28 novembre 2013

Le bec de la vie

Personne n'est d'accord sur la longueur du chemin, disait la huppe dans la Conférence des Oiseaux. Tu dors?

Bosseigne est englouti sous une couverture. A portée de main, son café. Un mexicain, très fort et charpenté, choisi par le torréfacteur pour ses qualités. Mon parent ne se remet pas du froid de l'hiver. Surtout en imaginant la longue période qui s'étend devant nous. Il n'en finit pas de revenir de Bourges en hiver.

Le chemin est long, surtout quand on est glacé et fourbu. A-t-il marmonné encore.


Phrase dont le but est à l'évidence de me clore le bec.

Justement, le bec et la vie. Qu'en dis-tu?
Ton nom? Je ne dors pas. Et j'ai de quoi alimenter la machine si tu nous amènes sur ce terrain-là. Des expressions à trier sur le volet, si tu vois ce que je veux dire.
Quel volet?
Celui qu'on abattait pour vendre de la marchandise. Plus un abattant d'ailleurs qu'un volet, puisqu'il était horizontal et faisait un étal où les marchands pouvaient déposer leurs marchandises qu'ils entreposaient derrière, dans le fond de la maison.
Ils avaient pignon sur rue et sans sortir de chez eux pouvaient être dans la rue en quelque sorte. Je ne peux pas m'empêcher de faire la maline, mais je veux dérider mon Bosseigne sinon la nuit sera moins heureuse. Nous nous séparerions comme deux vieux parents maussades et je ne tiens pas du tout à ce que cette nuit soit triste. Ni pour Bosseigne, ni pour moi.

Et au loin ces roulements de tonnerre me rappelaient la ville familiale. Tu te souviens?
Quelles sortes de roulements?
Les armes.
Comme l'usine à Marseille?
Oui, l'usine de MHP. Tu vois qui je veux dire!
Mon ennemie intime, en quelque sorte. MHP! Des usines Paulet. Col d'hermine sur manteau bleu marine. C'était il y a longtemps et ce bruit va avec le mot abri peint sur les immeubles de la ville. Grandes lettres blanches dont je demandais à mes parents ce qu'elles signifiaient et eux levaient les yeux au ciel pour y chercher la trace des avions américains qui avaient bombardé Marseille.
Voilà.
On revient à l'écriture des noms?
Pour toi, le bec et la vie mais aussi le cil, comme un croissant de lune sur ta joue.
Poète, mon Bosseigne ce soir?
Non, mais envie de jouer un peu. Donc reprenons, coquille plus coeur égale Jacques Coeur.
Bravo! Et un ours plus un cygne?
Ours cygne, Ursins, c'est évident, non? Le Berry possède un nombre de lieux important qui se rapportent à cet Ursin dont on a fait un saint.
Et Bosseigne, comment l'imager alors?
A toi de chercher.

Et maintenant?
La nuit.
Couverture sur les douleurs.
Douceur sur les corps des dormeurs.
Et le petit loup qui s'y dérobe ? où allons-nous le cacher?
Nuit grise, nuit noire, nuit blanche.
Demain matin, un nouveau rébus.

Bosseigne a donné un but à mon sommeil.
Nous nous séparons réconciliés.
A la poursuite chacun d'un rêve.



mercredi 27 novembre 2013

Sur la tombe de l'inconnu chinois?

Il y a beaucoup de restaurants chinois à Bourges.


Ca a commencé comme ça. Et aussi avec un livre et une conversation. Drôle de moment, une conversation, a dit Bosseigne en me tendant un petit livre brun.

Tu es déjà passé par Bourges, a-t-il repris. Mais ce n'était pas une question. Mon parent avait son air des mauvais jours. Trop froid, a-t-il ajouté. L'hiver. La langue est gelée dans le cerveau. Rabelais. Mots figés. J'avais beau marcher vite. Rien ne dégelait dans ma tête. Alors j'accélérais le pas, peine perdue.
Et ce livre.

Je l'avais en main. Un livre de 90 pages.
Je ne suis pas passé par le cimetière. La tête me brûlait. Il faisait quatre degrés en dessous. De zéro, a précisé Bosseigne.

Je me suis mise à rire parce que j'ai pensé à une femme que je connais, qui est archéologue et qui ne dit jamais, en parlant d'un objet ancien, avant JC. Elle préfère une manière plus abrupte: 7 siècles avant, et c'est suffisant.

La conversation, c'est ce que nous faisons, non, chaque matin et chaque soir, en lieu et place d'activités sportives, ai-je dit à mon parent pour l'apaiser un peu.


Tu as lu le titre?
Oui, Stoned at Bourges. Je ne saurais pas exactement le traduire. Pétrifié à Bourges.
Il est question d'un cimetière. Je ne sais pas encre lequel. Il y en a deux à Bourges.
La pierre d'une tombe?
Peut-être, mais il y en a beaucoup.
Et ce livre.
M'a été donné. Et là j'ai découvert l'inconnu chinois. Et toutes ces pierres tombales avec ces noms. Et lui, le sans-nom. Voilà.

J'ai préparé un thé et un chocolat et par chance, j'avais acheté deux parts de far breton. La boulangère avait cru bon de planter dans chaque part un petit drapeau noir et blanc. Breizh. Je lui avais demandé si elle était originaire de Bretagne. Pas  du tout. Pourquoi, a-t-elle demandé. Je n'ai pas parlé du drapeau.

Ce chocolat chaud va réchauffer ta pensée, ai-je dit à mon parent en lui donnant une tasse. C'est radical.

Bosseigne n'a fait aucun commentaire, a serré ses deux mains autour du bol. Il a gardé les yeux baissés.
Je me suis mise à feuilleter le livre de Ian Monk. J'ai aimé sa manière d'ordonner le poème, en longues laisses, séparées par des chiffres romains. De I à VI. Comme les chants de l'Enéïde, me suis-je dit. De la page 43 à la page 48, tous les vers commencent par :
L'inconnu chinois...
et le livre se termine par ces mots:
ce papier devant mes yeux.
Comme moi, ce livre, devant mes yeux, que je parcours sans vraiment le lire, près de la lampe, avec, en face de moi, prostré dans la contemplation de la tasse de chocolat que je venais de lui servir.

Qui est ce chinois alors?
Justement, on n'en sait peu de choses. Il est mort en 1919, à Bourges.
Un soldat?
On l'avait fait venir avec d'autres pour travailler en usine d'armement. C'est lui l'inconnu chinois.
Le tombeau du soldat inconnu, c'est lui?
L'inconnu chinois, oui.
Dans le Berry?
Oui, oui. C'est étrange, je te l'accorde. Et troublant. J'allais dire tremblant. De froid. D'effroi aussi.
Alors on arrête.
Quoi?
Cet inconnu. Pour ce soir. Il faut te réchauffer. Je vais faire une soupe. Et prends donc cette couverture.

Mon parent m'a regardée un peu surpris du ton autoritaire que je venais de prendre.
Mais nous avions besoin de passer à autre chose.
Pour ce soir en tout cas. L'inconnu chinois ne mangerait pas à notre table.
Mais nous, plus tard.
Nous l'inviterions.
Entre nous deux nous lui ferions une place.
Mais pas ce soir.
Non.



lundi 25 novembre 2013

Les cantons suisses à la cantonade?

Tu aimes les biscômes? ai-je demandé à mon parent, ce matin au petit déjeuner.
Je ne sais pas ce que.
Ce sont des biscuits de Noël.
Pas ici.
Non, en Suisse, pain d'épices, miel, vin cuit, cannelle.
Ressemble ce mot à biscotte.
Oui, mais très gourmande alors. Pas régime.
Non. Mais nous ne sommes qu'en novembre.
Vrai. Mais décembre approche.
Ne crie pas si fort. Tu veux informer les voisins à propos de ce biscôme?
Tant va le biscôme à Noël que.
Tu parles à la cantonade?


Justement ce mot.

D'origine suisse.
Pas du tout, ai-je immédiatement rétorqué.
Pourtant les cantons, c'est une invention politique helvète.
Oui, mais là, étymologie oblige.
Alors?
Il est entré dans la langue au XV° siècle. Entré comme un invité plus qu'un intrus. On avait besoin de lui.
Et?
Venu de Provence, cantonada, d'un angle de la pièce. Un angle, c'est un canton.
Comme en Suisse.
C'est vrai, en 1291, le mot canton apparaît dans le serment du Grütli.
Et le mot cantonade?
Le théâtre a eu aussi besoin de lui, alors il a grimpé sur les planches et le voilà aux quatre angles criant.

Bosseigne rit. Il ne me croit pas. L'origine des mots, une foutaise. Pourtant souvent un vrai chemin vers l'avenir.

Tu parles suisse? a questionné mon parent.
Non, je me cantonne à ma langue et un peu l'italien.
Pas le même mot: cantonade et se cantonner?
Pas tout à fait le même, mais l'orthographe fausse piste est fréquente en français. A nous de la dompter. Tu vois ce que cette lettre P intercalée inaugure comme errance étymologique peu logique.
En latin je sais! Domitare.
Se cantonner: rester dans les angles donc.
Il y en a quatre, alors?
Pour moi deux suffisent pour trouer l'inconnu comme dit mon ami Patrick.

Cette fois la balle est dans mon angle.
Bosseigne me regarde avec une sorte d'admiration.
S'écrie: tu as gagné, joyeusement.
A la cantonade il ajoute: ma parente est une fine mouche, et se lève et s'en va.
La journée commence.
Voilà.


dimanche 24 novembre 2013

La nostalgie pour dire l'exil des gardes suisses du Vatican

Bosseigne a froid. Préfère la mer, sa douceur l'été. Grogne. Regimbe. Roumègue. Cherche ses mots. Se tait.
J'ai essayé de dire autre chose. De dire autrement dit. Au lieu de parler silence, tenter de passer la barre des dents. Mais.
Nous cherchons nos mots. Quant aux maux. N'en parlons guère. Evitons parler guerre. Quelques mots, quels mots, gronde Bosseigne.

Un âne bienfaisant s'élevait dans l'azur souriant,
sabots joints, à Sainte Bernadette.

A haute voix, Nicolas Bouvier. Comparse, compagnon, camarade. Bosseigne lève le nez? Comment?

Je ne sais que répondre: Bouvier, oui, même si pour toi. Mais cette proximité du Suisse et sa nostalgie au centre.


En grec, ce mot n'a jamais existé.
Formé plus tard. Nostos et algos.
Oui, achève Bosseigne. Fermant la bouche comme la conversation. Moi, non.
Les gardes suisses du pape avaient la nostalgie du pays natal, alors.
Alors on a inventé ce mot pour eux?
D'après l'allemand, heimweh. La douleur du pays natal.
Et ils partaient?
Oui, sinon ils mouraient, alors ils désertaient, disparaissaient. Arrivés en Suisse en 1506.
Continue, dit mon parent, impatient et agacé.
Ils éprouvaient à nouveau ce curieux sentiment. Languissant de Rome.
La bêtise de celui qui veut toujours ce qu'il n'a pas, conclut Bosseigne.

Je ne dis rien. Mon parent, me semble-t-il, se fourvoie. N'est pas sur la bonne route. Doit faire demi-tour.

Ce n'est pas ça. Non. Mais si on considère le voyageur, celui qui va et vient sur la mer vineuse, revenant et repartant, Ulysse pour ne pas le nommer, ou Nicolas Bouvier, alors on comprend mieux ce mot de nostalgie.
On ne soupire qu'après ce qui s'éloigne de soi et parfois, le plus souvent, on ignore ce après quoi on soupire. Il est des pays qui ont ce pouvoir d'être désirables, à la fois à cause de leur nom comme ce beau mot de Finlande, ou parce qu'ils incarnent à nos yeux, bien davantage que d'autres, la nostalgie, comme le Portugal, pays à qui on doit l'invention de la saudade. Ces deux pays ont en commun des faits historiques douloureux qui renvoient à la disparition, celle énigmatique du jeune roi Sebastien et la cession de la Carélie pour les  Finlandais qui virent ainsi disparaître un pan entier de leur territoire national au profit de l'ennemi soviétique.

De l'étymologie tu passes à l'histoire des peuples et à leurs mythes nationaux!

Mon Bosseigne s'indigne dans le jour finissant, se lève, maugrée encore, met une bûche au feu.

Tout ce que j'aime lire a trait à cette nostalgie, ai-je tenté à nouveau, pour ramener Bosseigne vers les voyages dans les mots. Nous en sommes là, ne bougeant guère, égrenant les mots qui nous éloignent sans un seul mouvement que celui de la mémoire.
Et ce foutu fauteuil, est-ce qu'il nous parle de nostalgie? Je me demande parfois si je désire vraiment qu'il réapparaisse ici.
Nous ne le saurons que le jour où.
Nous irons le chercher, au printemps, quand la neige aura fini d'encombrer les chemins et les routes.
Sans doute, sans doute, ai-je marmonné.
Tous les coqs du matin chantaient...a écrit Bouvier avant de connaître Tabriz et il en avait déjà éprouvé la nostalgie.
J'abandonne, ce soir, tu as plus de chance que moi.
Un peu de soupe au menu. Diète. Et demain.
Du vin, rouge, qui réchauffe. Pour la mer couleur de vin. Et des arbres à planter. Trois. Pruniers de sainte Catherine.

Nous avons fini là-dessus.
Bosseigne a raison, buvons et demain, nous travaillerons au jardin.
Malgré le froid. Mettrons nos bottes en caoutchouc.
Irons dans la boue. Creuserons trois trous.
Planterons trois arbres.
Piétinerons la nostalgie.

Bosseigne a une fois plus gagné la partie.




jeudi 14 novembre 2013

Empêcher, arriérer quelqu'un, puis rester en arrière, puis s'arriérer, partir (en Sibérie)

Porter préjudice à quelqu'un, empêcher: arriérer quelqu'un, puis rester en arrière, puis s'arriérer, est un verbe dérivé.
Nous voulions aller le soir encore plus loin; mais un vent du nord violent nous en empêcha. Selon l'usage du pays, les bateaux n'avaient pas d'autre gouvernail qu'un baliveau...
Dériver comme une barque sur la mer...
Certains écrivains enlèvent tous les comme.
Je ne suis pas écrivain, j'écris.
Comme, dans comme une barque si tu l'enlèves, le sens dérive bizarrement.
Le soir on fait ce qu'on veut de la langue. Puisque derrière il y a la nuit.
Pas le matin?
On ne peut pas, on va l'utiliser toute la journée, la langue. Alors.


Je n'avais jamais pensé à ça, ce que dit Bosseigne, la langue et la nuit, la langue et le jour. C'est sur la même ligne que l'aristocratie des mots. Mon parent est travaillé par sa thèse et le soir, il jette sa gourme.
Je suis restée en arrière. A écouter se poursuivre en moi l'avancée linguistique de Bosseigne. Son règlement de compte personnel. Le soir. Nous avions dîné. Le feu mijotait pour la nuit. Nous restait un peu de temps avant l'engloutissement au fond du puits. Mais je ne trouvais rien à ajouter. Pour moi, les mots n'avaient pas de hiérarchie. Je n'aimais pas les gens qui se délectaient de ce qu'ils appelaient les mots poétiques. Qui écrivaient des poèmes remplis jusqu'à la gueule. Mon parent et moi étions d'accord là dessus. Mais son aristocratie et ses esclaves, non.

C'est comme ce terme de mal donné.
Oui?
Broussailles.
Comme, tu l'as utilisé encore?
J'aime ce mot modeste, bégayeur, sans prétention.
C'est un mot esclave?
Oui, un peu. Mais il est sûr de lui. C'est pour ça que.
Les écrivains s'en méfient?
Oui; ils redoutent d'être découverts.
Marcher à découvert dans la page?

Bosseigne s'enfonce dans quelque réflexion qui l'éloigne de moi. De la maison de nos parents. De cette famille en fuite qui est la nôtre. D'Yverdon. De la Suisse. C'est son livre. Un vieux livre qu'il a acheté aux puces de la Place du Marché. Voyage en Sibérie, A Paris, Chez Desaint, rue du Foin Saint Jacques, 1767. Mon parent m'a fait lire la première page. A présent il s'éloigne rapidement le long d'un fleuve.

Plus on remonte la Vitime, plus on voit s'élever les montagnes qui bordent ses rives: la plupart sont couvertes de forêts épaisses. Sa source est fort éloignée...
Comme toi?
Je suis en Sibérie. Chez les Iakoutes. Tu connais?
La Sibérie? Chalamov.
Pas seulement.  Ecoute encore: Le genre de vie des Iakoutes est peu différent des autres sibériens idolâtres. Le pain ne leur est point nécessaire. Ils mangent les racines de l'argentine. Ce n'est pas un pays, mais une plante qu'ils mangent crue, signe de leur rusticité et de leur paganisme. Pas de pain!
Tu crois qu'il y a un lien entre le pain et le paganisme?
Bien sûr. Le pain est corpus christi. Non?

Voilà où nous en arrivons.
A la nuit noire.
En Sibérie.
Sans pain.
Sans feu.
Et nous.








mercredi 13 novembre 2013

Pourquoi m'avez-vous laissée m'arrièrer si longtemps?

C'est le matin. Froid. Doré par les premiers rayons. Mais la question de Bosseigne reste en suspens dans l'air glacé de la maison. Il faut remettre du bois dans le poêle. Plus important que répondre aux.

Pourquoi m'avez-vous laissée m'arrièrer si longtemps?


Bosseigne a répété sa question, comme on assène un marteau sur une tête de clou. Avec détermination.

D'où vient cette phrase?
C'est le verbe plutôt.
La phrase aussi.
Ce qui m'a saisi, c'est ce verbe d'arrièrer. Son sens ancien. Oublié. Laisser en arrière en plus fort.
Moi la phrase, surtout savoir qui la prononce. Une femme?
Oui, à cause de l'accord.
On ne l'entend pas!
Et puis.
C'est une femme qu'on a abandonnée. Enfermée peut-être. Rendue idiote à force de douleur. C'est ça?
Ce n'est pas un cas d'arriération mentale, en tout cas.

Bosseigne se plonge dans le café brûlant, m'oublie, lève le nez, regarde au dehors le vent qui fait voler les feuilles.

Et puis autre chose. Le Cornouailles, tu vois.
Je ne comprends pas.
Dans le livre (Wilkie Collins, Le Secret). Une vieille traduction. Le traducteur écrit Cornouailles au masculin, bizarrement. Comme s'il avait traduit le Bretagne.
Etrange géographie que celle dont tu parles. Le sexe que nous donnons aux régions du monde nous éclaire sur la réalité que nous choisissons.
Un peu compliqué. Mais c'est vrai que ce livre offre un exemple d'un traducteur aux prises avec une langue et un pays qu'il semble mal connaître.
Tu as lu le livre en entier?
Non, il est illisible en partie du fait de ces particularités.
Et cette femme qu'on a laissée s'arrièrer si longtemps?
Emouvante bien entendu comme toutes les victimes. Enfermée par le secret qu'elle détient malgré elle.

A nouveau silence de Bosseigne.

Pourquoi me laisses-tu m'arrièrer?

Bosseigne rit.
Moi non.
Le vent.
Je suis une femme. On m'a arriérée. Je ne le dis pas à Bosseigne. Comme toute femme. Je ne suis pas sûre. Mais j'ai en moi ce verbe. L'action qu'il décrit. L'enfermement, l'éloignement qu'il suppose.

Appartient-il à l'aristocratie des mots?
Non. Trop vieux.

Bosseigne a tranché. Le pain, les mots.
La journée.
Quel est le verbe antonyme à arrièrer?
Avancer.
Allons-y.





mardi 12 novembre 2013

Dourgnes, Dausse et Venoge

Ce sont les noms qui.
Uniquement eux?
Non mais beaucoup dans la bouche sont.
Des noms plus que des mots?
Oui, je dirais oui.
Comme un roman alors?
Qui porterait ce titre.
Ou un autre, trois mots comme deuil, durée et damnation?
Non, Dourgnes, Dausse et Venoge, qu'en dis-tu?
Bien trouvé.
C'est tout?

Là mon parent reste sur sa faim. Il voudrait que j'attaque davantage, pas que je cesse le combat à la première offensive. Un peu de ténacité. De courage. Mais je n'en ai rien à faire. Sommeil, froid, envie de se rencogner.

Des noms, ce sont des mots, non?
Oui, mais là, on dit propres, noms propres et on les majuscule à l'initiale. C'est l'aristocratie des mots.
Ah? Tu vois la langue comme une société?
Oui, des vieux, des jeunes mots et puis une hiérarchie entre les uns et les autres. Tiens, les verbes!
Eh bien?
Ce sont les chefs de la police.
Ah...
Une milice en quelque sorte, là, pour faire régner le sens.
Et les adjectifs sont leurs esclaves?
Oui, tu me suis, je vois!
Non.

Bosseigne sait qu'il ne m'a pas convaincue, enfin pas encore. Il va revenir à la charge, je le connais et moi, à ce degré de lassitude où la journée m'a laissée, je ne suis pas de taille à repartir à la charge et mon parent le sait bien, lui qui.

Les noms propres ne suivent jamais un déterminant, rien ne les fait masculin ou féminin par contrainte. Ils sont ce qu'ils sont, Dourgnes, Dausse et Venoge. Intacts et beaux comme de jeunes gens. Telles les villes de Lisbonne, Marseille ou Shanghaï. Ni féminin, ni masculin. On les dit propres et ils le sont, lavés de toute référence au genre. Mais tu dors sur pied, ma parole!

Bosseigne est indigné et moi, ennuyée. Je voudrais faire un effort, briller un peu, mais mon ignorance, ma lassitude, mon écoeurement de moi-même sont les plus forts.

Si on allait...
Se coucher, c'est ça?
Pour ce soir, trop froid, trop noir.
Impropre à la conversation? A être autre chose qu'une matière fatiguée? Un esprit enchifrené, nez bouché et sans gaieté?
C'est ça.

Finissons-en, Bosseigne, je n'ai pas ton talent à poursuivre. Petite joueuse sans endurance, tu as raison.
Je n'entends que le vacarme de mon sang dans mes artères. La pulsation lente d'un corps refroidi. Les draps froids me font trembler par avance. Mais justement j'avance. Vers le sombre, le noir, la nuit. Sans résistance aucune.

Dourgnes, c'est le nom d'un village.
Dausse, un ami de Walter Benjamin.
Et la Venoge coule au pays de Vaud, en Suisse.

Voilà pour l'aristocratie des noms propres.
De ce soir espoir.
Demain un autre espoir?
Oui, suivi d'autres soirs.

Bonne nuit, a dit Bosseigne en quittant la place.
Et moi je n'ai rien dit. Il était déjà parti.


lundi 11 novembre 2013

Je voulais te parler de Dausse et de son palmier, commence Bosseigne.

Je voulais te parler de Dausse et de son palmier, commence Bosseigne.

Il faisait un beau soleil. Vent fort. Rien à faire. Un dimanche. Nous en profitions souvent pour nous raconter nos rêves ces jours-là. Les dimanches s'offrent comme une plaine large et libre devant nous. Pas de travaux en vue. Ou alors entretien du jardin, rangements, rien de fâcheux. Des tâches familières et nécessaires. Rien à penser, seulement à agir.

Son palmier est mort.
Le nôtre tient le coup, ai-je fait remarquer à mon parent. Il résiste.
Celui de Dausse était spécial, il lui indiquait la ligne de l'horizon comme une certitude inébranlable.
Une sorte de baromètre de l'horizontalité?
En quelque sorte. Mais aussi un indicateur météorologique et théologique. Comme aurait noté ton cher Caproni. Dausse en faisait son appui, son témoin, son...
Qui est Dausse? ai-je fini par demander à mon parent.


Bosseigne n'a pas répondu tout de suite. Ma question le surprenait peut-être tant ce nom de Dausse présentait à ses yeux une évidence. Un peu comme la collection de peignes que j'avais vue chez une de ses amies hongroises, chercheuse elle aussi. Ou comme Joker ou la Tapissière.

Je ne suis pas sûr de savoir te répondre, a-t-il commencé. Mais Dausse appartient à quelque chose de plus grand que moi, c'est pourquoi je ne sais pas comment te le présenter. Ce n'est pas un de mes amis.
C'est un peu comme la persane, tu vois. De ces noms, de ces gens qu'on côtoie sans les connaître mais en les approchant d'assez près malgré tout.
Il vit dans un roman?
On pourrait le dire comme ça. Plutôt dans une lettre. Ou mieux, dans un rêve.
Un des tiens? Un de ceux que tu m'as racontés?
Non.

A nouveau Bosseigne se taisait. Je ne savais pas quoi lui dire. Poser des questions pertinentes est difficile, surtout un dimanche matin où le vent souffle si fort qu'il interdit toute vraie concentration.
Je préférais attendre que mon parent se décidât à me raconter la suite de l'histoire du palmier.

Les palmiers sont attaqués par un mal sournois, une chenille qui se cache dans le tronc et les tue à petit feu. Le jardinier me l'avait expliqué. Une sorte de cancer des palmiers. Terrifiant comme la vision des mourants, avait-il ajouté, les arbres comme nous se décharnent et meurent. Lorsqu'on est bien portant, les joues pleines et roses, les cheveux sur la tête, comment imaginer l'inimaginable. Nous nous étions tus, soudainement accablés. Et là, ce dimanche matin, entre la mort des palmiers et l'énigmatique Dausse, mon parent pris de mutisme semblait déconcerté.

Ce Dausse, tout de même. Un jour ici, l'autre là-bas. Et nous, toujours à parler ensemble.
C'est bien, non?
Oui, oui. Mais Dausse vit dans une lettre. Pas dans un rêve, ni dans un roman. Une lettre, tu te rends compte?
Il est vivant?
Attends-moi, je vais chercher de quoi te faire comprendre qui est Dausse.
Et le palmier?
C'est une autre histoire.
Vraie?
Comme toutes celles que nous nous racontons.

Bosseigne encore une fois.
Nos histoires sont vraies, toutes.
Mais tout de même.  Il faut que Bosseigne.
Revenu avec un livre dans la main. Il va enfin m'éclairer, ai-je pensé.

J'ai rêvé que nos lits étaient redevenus des tombes. Mais rien de triste, une douce manière d'en finir. Et le palmier s'endormait avec nous de cette même mort tranquille. C'est là que Dausse apparaît. Non pas dans le rêve, non.
Où alors? (Je me sentais devenir impatiente, avec l'envie de dire une chose un peu méchante, histoire de provoquer mon parent et qu'il dise à la fin qui était ce Dausse mystérieux.)
Dans une lettre.
A toi adressée, que tu as écrite, que tu as trouvée?(rafales de questions pour obtenir une réponse)
Ecoute: "cette partie de la lettre était, en surplus, munie d'une petite voilure bleue..."
Je ne comprends pas.
C'est une lettre de Walter Benjamin dans laquelle il raconte un de ses rêves où il est compagnie de son ami Dausse. Tu comprends mieux maintenant?
Non. Mais j'aime assez ta manière d'embrouiller les choses.
C'est à cause de ces voyages incessants que je fais. Il vaudrait mieux qu'assis à mon bureau je lise et rédige...
Assis suppose un fauteuil...
Nous y revoilà, a conclu Bosseigne.
Eh bien Noël approche.
Tu crois aux miracles?
Non, mais à Dausse et à son palmier, ça devrait suffire.

Bosseigne a ri. Moi aussi.
C'était suffisant pour une journée de dimanche.
Oui, tout à fait suffisant.
Et nous en sommes restés là.
Entre Dausse et son palmier.


samedi 9 novembre 2013

Hasard et harmonie, cette lettre en forme d'échelle...

Commencement de ces deux mots, certainement liés, bien davantage que par leur lettre initiale, qu'en penses-tu?

Question de Bosseigne, à laquelle muette de sommeil, je ne réponds pas. La nuit a noyé toute lumière. Je frissonne un peu. Plus de sommeil que de froid.

C'est comme cette histoire de persane, tu ne vas pas me dire que c'est pur.
Hasard? La chatte perdue et le roman de Thomas Bernhard?

Là, inévitablement, je me suis mise à bailler, sachant l'irritation probable de mon parent devant ce manque d'intérêt.

Non, les mots. Je suis persuadé qu'au delà de la raison étymologique, d'autres forces attirent les mots les uns vers les autres. Comme une liaison secrète que nous ne serions pas en mesure de déceler parce que.
Trop visible? Lettre volée?
Peux-tu cesser de divaguer et réfléchir un peu? La journée est bientôt achevée. Nous n'avons rien d'autre que.
La Persane avait un manteau de fourrure, moi je n'ai que la nuit et elle est froide.
Non, nous avons les mots, ces deux-là, par exemple, hasard et harmonie, arabes sans aucun doute. Revenons au début, oui, ce titre étrange.
Il est tard.
Non.
Oui, le titre est le mot. Finir une journée importe autant que la commencer.

Bosseigne a soupiré, quelle déception je lui infligeais. Sa parente, non seulement était fatiguée, mais, comme un mauvais taureau, refusait l'engagement.

Pour te faire plaisir et conclure, ai-je finalement repris, tenant compte à la fois de ses soupirs mais aussi de son affection, je suis allée chercher mon édition italienne de Caproni et ai commencé à lire quelques-uns de ses "senza titolo". J'ai allumé la petite lampe près de moi et à haute voix ai lu, d'abord en italien, puis en bredouillant un semblant de traduction, butant tout de même sur la simplicité de Caproni, véritable casse-tête poétique.

La mia pato teologia:
Dio è una malattia?

ou

Morto, io.
Morto, Dio.

Et moi, mon cher Bosseigne, morte de fatigue.
La bonne nuit, sono stanca, ciaio, a domani.
Et je suis allée me coucher.
Tout pour aujourd'hui.



vendredi 8 novembre 2013

Harmony est perdue: forte récompense

Voilà ce que j'ai lu sur une affichette ce matin, ai-je dit à Bosseigne, en train de se laver les dents dans la salle de bain. A la boulangerie.

Mon parent n'a pas pu me répondre, se livrant à de sonores ablutions. Mal aux dents, mal aux gencives, mal des voyageurs, m'avait-il expliqué le soir précédent.

Sur l'affichette, la chatte était jolie et toute blanche. Un chat qui a coûté fort cher, a commenté la commerçante.
J'ai répondu que la minette ne se souciait guère de sa valeur mais préférait sans doute la liberté d'aimer qui elle voulait.
La commerçante m'a considérée d'un air suspicieux, avant de sourire: c'est vrai, elle ne pouvait pas savoir qu'elle coûtait beaucoup d'argent!
Nous avons un peu ri. C'était déjà assez bizarre de nommer un chat Harmony, aurais-je pu ajouter. Mais la commerçante aurait pensé que j'avais peut-être volé l'animal pour dire des choses aussi étranges. Je me suis souvenue d'avoir vu d'autres affichettes de chats perdus, de chiens aussi, mais plus rarement et des pétitions à signer, en tous genres, depuis le sens interdit de la grand rue jusqu'à l'adoption par les couples homosexuels. J'ai quitté la boulangère avec deux baguettes de pain mal cuit. Comme souvent.


Bosseigne était sorti de la salle de bain, un rictus douloureux sur le visage. Impossible de lui demander si ça allait mieux. Evidemment non. C'est long, ces affaires-là, les dents, les gencives. Un café n'arrangerait pas ses affaires. Ni mexicain, ni colombien et encore moins italien. Du thé?

Il en avait ramené, a-t-il dit; dans le placard, va voir.

Quand Bosseigne est malade, notre petit déjeuner se réduit à des échanges brefs. Thé vert ou thé noir. Ce genre de questions.

Alors, pour égayer notre tête à tête, je lui ai reparlé d'Harmony, la petite persane perdue. Et de Thomas Bernhard et sa persane. Tu te souviens? Je n'attendais de mon parent qu'un hochement, assentiment ou dénégation. Rien de plus.

Mais lui.

Oui, et d'un torrent boueux qui charriait bien des disparus. Le plus souvent noirs et sanglants. Je me souviens aussi de cette femme, la persane, et de son manteau de fourrure, élimé dans ma mémoire. Se serrant dans son vêtement, la persane avait de quoi intriguer le lecteur. Ma bouche me fait mal. Mais je la revois, se tenant près d'un vieux pont, regardant comme nous le faisons toujours, s'écouler le flot bourbeux sous ses pieds. Je n'ai jamais pu oublier sa silhouette et plus encore, le nom que lui a donné pour toujours l'écrivain autrichien. Inséparable de mon désir de visiter l'Iran, Tabriz surtout. Désir que nous partageons, n'est-ce pas et que nous réaliserons, une fois cette thèse terminée et le fauteuil revenu.

Bosseigne!

Par contre, quel est le titre du roman, je ne sais pas. Il est mince et d'un format plus petit que les autres.

Oui.

Allons le chercher, a alors proposé mon parent.
Pas la peine, ai-je dit, le titre, je me le rappelle très bien. C'est Oui.
Je croyais que.
Je sais. C'est un titre ironique; puisque tout relève dans le récit que fait Thomas Bernhard du non. Sauf peut-être le personnage de la persane auquel il met une majuscule. La Persane.

Allons tout de même chercher le livre, a repris Bosseigne. Ouvrons-le au hasard et je suis sûr que.

Nous y sommes allés et:

"...j'ai eu le sentiment que, comem tant de femmes de son âge et dans sa situation, qui vivent dans l'angoisse perpétuelle de prendre froid ou de geler perpétuellement, il ne lui serait plus possible de vivre sans ce manteau, sans ce manteau de fourrure  qui avait pour fonction de l'envelopper..."

Page 13. Voilà. A dit Bosseigne ce dont nous avions besoin ce matin pour répondre à l'annonce de l'harmonie perdue.

La journée peut commencer, a conclu mon parent en rapportant le plateau du petit déjeuner dans la cuisine. Et j'ai pensé: c'est vrai. Et voilà.

mardi 5 novembre 2013

Hasard céleste, ces deux lettres sur la petite pierre, dis-je en écoutant Bosseigne.

Mon parent était de retour.
Epuisé, fourbu, éreinté.
Mais n'ayant pas dérogé à la règle des retours de pays lointains.



D'où revenait-il, si amaigri et fatigué. De si loin que je n'entendais pas sa voix au téléphone, ai-je pensé en le regardant déplier un sac de papier. Il avait gravi une montagne, croisé des promeneurs, et lui, toujours plus haut, malgré le souffle qui manquait. De ce pays le nom ne serait pas prononcé.

Sur la table, délicatement, Bosseigne a déposé une petite coupe fragile.
Au milieu il a mis une toute petite pierre, ramassée là-haut, si loin.

La coupe ressemblait à un chapeau de champignon, irrégulier et parfait.
Du centre irradiaient de fines lignes bleues. Lamelles?

Tu me la donnes vraiment?
La coupe, bien sûr.
Et la pierre?

Alors nous l'avons observée de plus près. Petite pierre brune striée d'ivoire. Et là.

As-tu vu?
Ces initiales, oui, deux lettres.
Un S très net et un peu plus loin,oui, je la vois, la lettre D.
Hasard?
Bonheur plutôt, a conclu mon parent en me serrant le bras.

Ce n'était pas tout. il y avait aussi des renards pâles courant dans la brume et des arbres sagement alignés malgré le vent. Et aussi.

C'est bien.
Bosseigne a repris, c'est bien. Je suis allé très loin. Et me revoilà. Toujours sans rien pour m'asseoir?
Le fauteuil?
Oui.
Je suis allée en Cévennes mais je ne l'ai pas vu. Par contre Joker a appris que la Tapissière l'avait désossé. Je l'ai eue au téléphone mais.
Oui?
Il y avait de l'orage. Et ensuite non. Non.
Elle était partie, c'est ça?

Mon parent a souri. Je suis allée préparer un bon café. Nicaragua. Très doux.
Je déteste le thé, a dit Bosseigne.

Nous avons ri. A nouveau.
Il fallait entretenir le feu.
Le souvenir. Le fauteuil. le café.

Je t'ai aussi trouvé ça. A dit mon parent en posant près de la cafetière une jolie paire de ciseaux dorés.
Je me suis souvenu que tu aimais la couture.
Et les oiseaux.
C'est l'hiver, a-t-il dit encore. Et tu vas partir bientôt.
Tu as du travail, ai-je poursuivi. Et un fauteuil à réceptionner un de ces soirs, qui sait?
Une surprise?
Comme la coupe céleste, la pierre aux initiales ou les ciseaux-oiseaux.
Hasard heureux.

Nous avons fini nos tasses, rangé la cuisine et chacun s'en est allé.
Jusqu'au soir, à nouveau séparés, ai-je pensé.
Comme avant.
Avant la Chine.
Oui, comme avant.
Presque.