jeudi 28 septembre 2017

Draluocsab/SD/Schülz/Reznikoff

Inversion.
Des lettres, des noms, des genres.
Dans la Recherche, ce mot avait étonné l'enfant qui lisait en cachette: inverti.
M. de Charlus était un inverti, disait Marcel le narrateur qui connaissait le mot et le sujet.
Je ne savais, comme aujourd'hui, presque rien.
Ni des invertis, ni du sexe, ni du monde.
La solitude seule m'était familière.
Et la lecture.
J'avançais dans la forêt des sombres, les livres. Et la lumière provenait le plus souvent de l'intérieur, sous les draps.
Je ne savais rien de moi, me reconnaissant dans Albertine et dans Marcel, me demandant ce qui existait entre ces deux-là à part la jalousie de l'un et les fugues de l'autre.

Boîte SD

Et comme je ne sais toujours pas grand-chose, je continue à lire.
Par exemple Charles Reznikoff. Me demandant cette fois comment on survit à une telle lecture, ce que ça devient en nous, ce qui travaille ensuite. Pensant à Bruno Schülz que j'ai invité à venir chez Bascoulard et la Pologne avec lui. Sa mort brutale n'est pas dans Holocauste mais aurait pu y être. Que reste-t-il de tous ces morts, à part des livres?
Un livre surtout, Holocauste.
Un livre illisible.
C'est le mot qu'a employé une amie en me le rendant.
Trop dur.
Trop.

Inverser son nom pour en cacher le sens?
L'origine?
Bascoulard/Draluocsab.
La bascule dans laquelle une première mort l'a entraîné était déjà annoncée.
Alors détourner la flèche en s'inventant un autre nom, en déroutant les chemins convenus, en empruntant une vie. En la faisant sienne?
D'inverti on arrive à travesti.
Marcel Bascoulard s'habillait en femme pour se photographier ou se faire photographier.
Il donnait à coudre les vêtements féminins qu'il dessinait à des religieuses.
Mais n'était pas un inverti.
Il jouait à inverser les lettres de son nom.
A brouiller les pistes.
Je ne sais toujours pas qui il était.
Voilà la vérité.

Une fois écrit et imprimé, parti de soi, partie aussi, l'écrivain retardataire ne sait toujours rien. Ni de Bascoulard, ni de lui-même. Il voudrait rattraper le livre, effacer, ajouter, il ne sait pas très bien quoi, mais le livre fini est une sorte de reproche, pense-t-il. En effet, tant y manque l'essentiel. Mais il ne saurait dire ce qui justement est essentiel et manquant. Pourquoi ai-je cru bon de rapprocher Schülz et Bascoulard? le dessin, le destin? Leurs morts brutales et forcément injustes, criminelles?


Il a voulu, l'écrivain retardataire, écrire à propos de ce qu'il voyait dans l'oeuvre et la vie ( même chose dans son cas) de Marcel Bascoulard. A-t-il voulu trop dire? Etonné devant le nombre de mots dans le livre, il a regardé son éditeur un peu suspicieux: vraiment j'ai écrit toutes ces pages, mais il n'a rien dit, reconnaissant à cet homme qui lui fait confiance et dont l'amitié lui est précieuse. Il y a là un mystère: l'écrivain retardataire devant son livre s'étonne et ne sait qu'une chose, le livre désormais a une existence, non plus virtuelle mais réelle, un poids même, une densité physique dont il ne soupçonnait rien tant que le livre n'existait que dans son ordinateur.

Et une couverture et.
Un poème aussi.
Et des présences.
Un livre rouge et blanc.
Reznikoff dont les premiers livres ne se vendaient pas.
Et qui fit une lecture à Central park où les gens le découvraient, étonnés d'entendre leurs vies, là, dehors, dans la rue, qui passaient dans le poème lu à haute voix.
Se reconnaissant.
Walter Benjamin et Bruno Schülz.
Virginia et sa façon d'aller vers le phare sans y aller.
Mandelstam et son Arménie bleue de mots.
Tous écrivains retardataires.

N'y aurait-il que ce mot, repris de Baudelaire et de Rongier, que ma journée aurait son rythme.
Un seul adjectif pour le dire.
Et joyeusement le chanter à tue-tête, oui.


lundi 25 septembre 2017

"-le petit espace de ciel qui dort à côté de la lune." Virginia Woolf

Lisant Virginia Woolf.

Un loup dans son nom, un phare au loin, une phrase aussi.



Une amie demandant: vous vous souvenez de cette page dans Vers le phare de Virginia Woolf?
Et nous cherchant.
Non, oui.
Une femme de ménage, une vieille femme qui époussète et réfléchit au destin des maisons et de leurs habitants. Une merveille, cette page.
J.B., lui seul, se souvenant.
Et moi, tordant ma mémoire blanche, non.

Plus tard, eux tous partis, pieds nus, aller dans la bibliothèque et prendre le livre et lire.
Encore ce matin, commencer  tôt le jour avec Mrs Ramsay, sa beauté, son humanité et surtout l'écriture de Virginia Woolf lumineuse d'intelligence. Un peu abasourdie par tant de finesse, de justesse aussi, s'effrayer de vouloir encore écrire après elle.

Un peu comme vendredi soir, au concert, voyant des gens s'agiter, les entendant bavarder sur cette suite de Bach pour violoncelle que j'aime tant sans la comprendre tout à fait ne connaissant pas la musique, je me sentais à la fois agacée par ces applaudissements mal à propos et en même temps irritée contre moi-même. Après tout, j'en savais à peine plus que ces gens venus là pour se montrer aux autres, bien davantage que pour la musique de Bach.

Lisant les pages de Vers le phare, je voyais ce que voyaient les autres personnages qui regardaient Mrs Ramsay et Virginia Woolf leur donnant à la fois vie et regard. Et de penser à ce qui parfois plaît à mes contemporains reste déroutant: que trouvent-ils dans la plupart de ces romans un peu vides pour la plupart? Relisent-ils Virginia Woolf? De temps en temps, j'ouvre des livres récents. Mais à part les poètes, qui, vraiment?

Et je reste là face au jardin dégoûtant de rosée, doré et vert encore.
Avec cette sotte envie d'écrire qui ne me lâche pas.
En silence, en voix chuchotée en face des merveilles écrites, comme celles du jardin.
En face.
Solitude voisée de la lectrice.
Jardinière armée seulement de ses mains.
Le ciel est invisible encore à cause de la brume.

J'écris en chuchotant parce que c'est le matin et que d'autres ici dorment encore.
Un fils est parti travailler.
Alors un peu de broderie au miel sur la tartine et sur la page.
Ce sera ça, écrire, or et neige?

"-le petit espace de ciel qui dort à côté de la lune."

Virginia l'a bien vu, ce petit espace par lequel entre la poésie.
Je ne l'aperçois que le matin, très tôt, ou le soir, à nuit noire.
Comme Mrs Mc Nab, la vielle femme de ménage ouvrant les placards et apercevant les invisibles habitants de la maison abandonnée, les livres, ..."des habits dans toutes les chambres...", Mrs Ramsay morte pourtant mais encore partout présente et les enfants. "C'était trop pour une femme seule, trop, beaucoup trop."

Or et neige.
Les mots.







vendredi 22 septembre 2017

...j'aurai du retard...Jean Prod'hom

Va si tu le veux,
j'aurai du retard,
j’ai fait le choix de l'oiseau qui picore.


Ces mots de Jean Prod'hom sont une réponse.
A la question qui reste une question.
Où vas-tu ce matin?

Voyage immobile sur le Rhône-Volga. 
En compagnie du Petit.
Héron juché sur bâton noir et cygnes en famille. 
Sur l'eau des lignes de Vesaas, en barque, filent doucement vers le delta.
En face, il y a des pêcheurs dont les voix traversent le fleuve.
Un instant la patrie n'est plu une question.
Seulement un mot flottant sur l'eau.
Nous sommes en retard. 
Nous nous attardons.
Travaux d'hiver.


Plus tard.
Départ dans le Transsibérien arrêté. Heimat éclaté. 
Lignes de fer et de bois. Et toi, là, qui regardes et restes écrivain retardataire. 
Tu te demandes pourquoi tu as fui ta mer natale. 
Quelle énergie il t'a fallu pour lui échapper.
Comment tu as évité d'y habiter, comment tu as résisté.
Aucun héritage ne t'a attaché. Rien à te léguer, tes parents 
eux-mêmes déshérités.
Marseille a fait de toi une retardataire exilée.
Mais pas trop loin.
Sans audace, sans rupture.
Pauvrement.
Le costume à endosser, tu n'en as pas voulu, trop petit ou trop grand pour toi. 
Comme ces Bavarois et autres Autrichiens dont parlent à la fois Améry et Sebald, qui se sont mis à arborer une culotte de cuir pour avoir l'air bien de leurs pays, tu as observé autour de toi, sur la Canebière de l'enfance, des gens costumés en provençaux et tu t'es demandée où cette nouvelle folie vestimentaire allait conduire ta ville natale.
 Dans le livre de Sébastien Rongier, la figure de Benjamin troue l'espace du livre. Et te fait comprendre pourquoi Port-Bou t'a si fort requise. Et peu à peu, tu fais la part de l'exil de l'un et du retrait de l'autre (toi?).
Personne ne t'a interdit Marseille.
Sauf toi. Alors tu as inventé un possible sauvetage.
La moindre fenêtre ouvrait une taïga, une steppe et un départ. 
Dans une trouée, appelée ici clairière, tu as longtemps cherché des yeux un cerf et un renard. 
Tu n'as pas renoncé. 
Et peut-être, sur la table, un travail s'annonce.



Mais tu seras en retard.
Un écrivain retardataire?

jeudi 21 septembre 2017

Un écrivain retardataire, Walser, mais aussi tous les aimés.

Être en retard.
Comme Walser.
En étant ponctuel sur le chemin.
Comme Roud.
Être en retard.
Marche en plaine.
Sans peine.

Regarder courir les livres de la rentrée en rang serré.
Se demander.
Pourquoi ce mot.
Retardataire convient si bien.
Aux gens que j'aime.
Aux poètes que je lis.
Aux amies.

Baudelaire en homme pressé, en dandy, écrivait en poète retardataire.
Benjamin avançait avec difficulté, gravissant les pentes des collines en respirant mal.
En retard ou en avance, même chose?
Un jour de plus, un de moins?
Port-Bou aurait-il conservé la trace de son passage si Walter Benjamin avait pu fuir vers le Portugal?
Le matin reste une chance.
Avant que se déclenche la suite.
Il y a dans cette fraîcheur dorée un espoir.
Puis la journée avance.
Et nous fait don de ce qui doit advenir.
L'ennui en prime.
Comment retarder sa montre alors?
Just in time, disent les anglophones.
Mais justement non, impression vive de n'être pas à l'heure.
Suis-je un écrivain retardataire?

Mais il ne s'agit pas de moi.
Seulement du temps que nous mettons à parcourir la distance imposée.
Certains rapides, Khlebnikov, d'autres plus lents.
Mais il y a d'autres questions.
Par exemple, les soldats de retour du Vietnam et d'Afghanistan, comme les rescapés des camps et des guerres du XX° siècle, n'ont rien à dire. Ne peuvent faire part de ce qui a littéralement pulvérisé le savoir qu'ils avaient sur le monde. Tout ce qu'ils avaient appris de leurs parents, de leurs maîtres, du pays dans lequel ils vivaient, des paysages mêmes, a disparu.
Que dire alors au retour?
Que dire qui ait encore une chance d'être entendu?
Tous retardataires.

La beauté du jour.
Qui s'annonce.
Dans la fenêtre.
Célèbre le présent.


Traîner les pieds dans la lumière du matin, ce serait ça, être retardataire?
Voilà peut-être l'explication.
Et d'ailleurs ma montre s'est détachée de mon poignet cette nuit.
Est restée là-haut.
Dans la chambre.
Où la nuit s'attarde.
Avec le dormeur.

mercredi 20 septembre 2017

La question d'un lieu et de son désordre/fantôme de Benjamin/Sébastien Rongier

D'un monde entre deux mondes.
Plus exactement Port-Bou où mourut/disparut Walter Benjamin.
Lieu traversé, troué, lieu silencieux.
Juste après Cerbère la porte s'ouvre. C'est l'Espagne catalane.
Une première fois en 1989. Avec mon fils aîné.
Nous avons attendu au noeud ferroviaire de Cerbère que l'Espagne nous arrive.


Je suis revenue d'autres fois ensuite dont le périple vers Port Lligat.
Dali bien sûr mais aussi la Retirada. Et Benjamin.
Avec la plongée de Port-Bou vers le bleu.
La mer, bien sûr, mais aussi l'oubli.
Le livre de Sébastien Rongier nous donne à lire cette plongée vers la disparition que fut la venue de Walter Benjamin à Port-Bou.
Il n'y a pas de tombe ici.
On a perdu la trace du corps du philosophe.
Peut-être parce que son nom avait été inversé en Benjamin Walter.
Une manière de disparaître encore davantage?
Namenlosen.

La mort du philosophe est un long sommeil que l'écrivain retardataire (c'est ainsi que se définissait Baudelaire et que Rongier définit W.B.) avait envisagé avec l'aide de la morphine. Le médecin appelé à son chevet n'a pas compris que son patient avait choisi de se donner la mort. Et l'agonie fut longue.

"Les morts de Port-Bou sont allongés au-dessus du sol".

On serait tenté d'ajouter : comme partout ailleurs. Mais à Port-Bou, le cimetière marin est fait d'étrange manière, des tiroirs alignés où est noté le nom du mort. Le tiroir où fut glissé Walter Benjamin s'est retrouvé vide et le fantôme libéré a pu rejoindre les autres morts.

Les lieux frontaliers sont plus que d'autres émouvants, on y ressent le peu que représente une frontière et aussi sa puissance puisque d'elle dépend la liberté ou la mort. A un jour près, Benjamin aurait pu être sauvé.

J'ai gardé longtemps une photo prise à Port-Bou du monument conçu par Karavan pour marquer dans le paysage et la mer l'absence du philosophe. On sombre dans l'absence bleue, notre ombre ricoche sur le ciel et la mer.

"Chaque marche serait une manière de signifier la catastrophe dans laquelle l'histoire a poussé Benjamin", écrit Sébastien Rongier.

Les rues montent et descendent en silence.
Il n'y a plus personne. Tous repartis.
Le feu a brûlé les collines.
Un feu venu de très loin, un feu de catastrophe et d'exil.

Quand on va vers le monument de Karavan, on est seul.
Les marches continuent dans la mer mais une vitre nous retient de ce côté.
Frontière encore. On s'approche le plus possible mais on ne peut pas passer.
"Quand on arrive en bas, on est au bout de rien".
 Le lieu est à la fois désert, lumineux et silencieux.
Pour toujours.


vendredi 15 septembre 2017

Crapaud et drapeau





Crapaud crapaud
Drapeau drapeau
Un crapaud puis deux
Un drapeau puis deux
et plus encore

Sur le chemin du village
de quoi faire un repas
aubergine pourrie tomate finissante
et même un oignon paille
à pêcher au fond des fossés

Crapaud disait la mère à sa petite fille
ajoutant mon crapaud
pour adoucir le mot
à l’enfant un peu gros
dans le jardin des jeux

L’autre crapaud mort écrasé éclaté
était lui aussi un peu gros
mais bien mort étalé
sur le goudron
informe et laid

Quel drôle de nom crapaud
Mais sur le bord des routes
on trouve de tout et même
enfant vivante crapaud mort
des poèmes à deux sous