vendredi 28 octobre 2016

Lettre de couture pour Régine qui aime coudre ensemble ce qui est séparé, entre France et Portugal



J’ai acheté des aiguilles à coudre à Beja.
Le fil, je l’avais acheté chez les chinois de Mértola.
Manque à présent la toile pour broder/écrire.
Je ne l’ai pas acheté à Milfontes.
Où aucune fontaine ne chante.

Ceci n’est pas un poème.
Juste l’impossibilité.
À la fois du poème et de la couture tant que manque la toile.

Nous sommes allés jusqu’à l’océan, avons mis nos pieds dans la mer, avons vu d’étonnantes choses. Belles et moins belles, et parfois épuisantes à force de tristesse.
Il y a tout de même eu cette rencontre avec les cairns, édifiés par des mains anonymes.
Une belle surprise, émouvante de ceux que peuvent des mains humaines occupées à un travail gratuit, avec le seul désir de la beauté.


Mais il y a aussi la laideur que provoquent les hommes. La pauvreté à côté du tourisme, à Lagos, les tentes et les masures en bordure d’autoroute, un monde de tristesse et de ruine.
Nous avons visité l’ancien marché aux esclaves et le musée qui lui est consacré, d’une grande modernité. On nous a donné des tablettes et expliqué leur fonctionnement. Nous étions si maladroits que les gardiens ont dû nous réexpliquer. Je crois que la triste réalité de ce qu’a été le Portugal des découvertes nous avait un peu anéantis.
Tant de richesses, tant de misères, et nous là-dedans à chercher notre place, la raison de notre présence en ce lieu peut-être. Dehors, les touristes achetaient des souvenirs. Et nous, impossible.

Heureusement Beja nous avait donné sa religieuse portugaise et ses lettres.
Après avoir traversé des déserts tristes, me reprend l’envie de vous écrire une lettre.
Adressée d’abord à Régine, dont le prénom royal est un cadeau fait à une femme magnifique et donc plaisant à écrire ici, la lettre d’aujourd’hui parle du silence de la couture.

Coudre d’abord les collines d’ici, oliviers et chênes liège, aux plages et aux rochers de Vila Nova de Milfontes. Aucun fil n’est assez fort pour les lier ensemble. Mais les mots peut-être.

Et puis il y a à nouveau le chant de Louie ce matin.
Une célébration du présent.
Encore du silence.
Auquel je peux facilement joindre deux tessons d’azulejos, bleu et jaune, trouvés sur le chemin de la belle igreja bleue. Rescapés des travaux subis par le bâtiment ? Non loin de l’église, un autre chemin s’enfonce dans les terres, il mène à une exploitation agricole et rappelle que les latifundias existent toujours dans l’Alentejo. Celle-ci porte un nom italien, buona madre.
Deux cigognes, sur la route de la mer, aperçues dans un espace découvert ont rejoint la petite cigogne de bois que mon père m’avait ramenée d’un de ses voyages.



Nous avons retrouvé notre maison, ici, au convento.
J’ai déposé les aiguilles à côté des deux bobines de fil, noir et or.
Comme la chapelle mudéjar/manueline de Beja. Une manière de souvenir.

Aujourd’hui, le matin est blanc. Pourtant certaines feuilles d’eucalyptus brillent, le soleil n’est pas loin et la chaleur persiste. Les moustiques s’en donnent à cœur joie. Tout reverdit et refleurit.

Comme la couture est impossible, j’ai lié ensemble une plume de paon trouvée ici, un anneau de fer qui ressemble à une vieille boucle d’oreille et un morceau de liège. Totem de Mértola. À défaut d’avoir travaillé le texte en suspens à propos de Marcel Bascoulard, sur lequel pèse un étonnant silence, il est pour l’instant la preuve tangible de mon impuissance.

Retrouver Mértola inchangée, calme et bien vivante, ramène aux marges, seul endroit où se tenir en ce moment. Je pense aux marges de Jean, si loin et si proches. De l’autre côté du Vidiana, l’Espagne, presque voisine. Plus loin, la Suisse.

Et la jubilation demeure.
Sans raison.
Ou plutôt, le voyage à venir au Grand Saconnex.
Juste avant Dijon. Et Grenoble.

Frontières à traverser.
À l’intérieur de soi.
Entre trois pays au moins.
La ligne est un fil.
Les pays sont des toiles à assembler.

Nous irons peut-être à Castro Verde ou à Serpa.
En fin de semaine.
Y aura-t-il de la toile de texte là-bas ?

SD






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