mardi 25 octobre 2016

Lettre d'après la pluie, After the rain, pois a chuva, no convento pour Gabriele Hasler




Hier soir nous sommes allés dans la chapelle du convento.
Gabriele a chanté. Tout le monde la comprenait. Sa voix montait et descendait dans la voûte. Nous étions envoûtés et derrière elle, dans l’oculus et la porte, se voyait la lumière de l’orage. Les gens étaient restés après le cours de yoga qu’anime Géraldine et les verres étaient sortis qui attendaient le vin rouge.
Nous avons écouté la voix et entendu le corps de Gabriele.
Puis ce fut mon tour. Je n’ai pas chanté.
Je ne sais pas chanter et la pluie en ce moment tombe facilement. Ce qui rend le sourire à Geraldine et à ses fils, particulièrement Louie.
J’ai lu un poème-chanson, Je veux être un cavalier, et un autre sur les armoires remplies des vêtements des morts. J’avais emporté avec moi Chaussures vides. Plusieurs fois, j’ai répété ce vers d’Emily Dickinson : Où vont les morts, et je me suis demandée si les présents me comprenaient.
À mon tour, ma voix a rempli l’espace, sans hésitation, en face des anges peints sur la fresque du chœur, et au milieu des objets créés par Christian, le fils de Geraldine.
Ensuite nous avons bu ensemble.
Deux femmes m’ont serrée dans leurs bras et parlé en français. Elles ont dit qu’elles avaient tout compris.
Elles m’ont dit merci.
Je ne leur ai pas dit que moi, je ne comprenais pas tout de ce qui arrivait ici. La beauté de l’orage pendant nos lectures, les séparations et les langues que nous tentions de parler les uns avec les autres.
Mais j’étais heureuse.
Il y avait entre nous, les présents, un vrai plaisir à partager vin et poésie, dans un lieu si fortement ancré dans un jardin et un paysage si anciens.

Cette nuit la pluie est tombée si violemment qu’elle a traversé le toit par endroits.
Jusque sur notre lit. Dans la maison de Gabriele, l’eau a mouillé son visage. Après la soirée dans la chapelle, je suis rentrée pour être un peu seule et j’ai essayé d’écrire un poème pour G. qui sait si bien écrire sur les machines. La langue allemande permet de réunir plusieurs mots en un seul, ce qui n’est pas possible en français. Dans la journée, nous avions passé un moment dans la véranda qui surplombe le Guadiana pour échanger à propos de notre travail respectif. Nous avons lu chacune quelques textes. Même si je ne connais pas bien l’allemand, j’ai pris plaisir à suivre sur son texte, le poème qu’elle a composé à partir du mot machine. J’aime beaucoup cette émulation que permet l’échange entre poètes. Nous avons évoqué nos enfances respectives et les jardins que nous avions eu la chance de parcourir enfants, y trouvant là peut-être ce qui nous avait conduites à l’écriture poétique. Et ce matin, nous avons accompagné Gabriele prendre son car pour Lisbonne. J’ai relu le poème. Il n’est pas très réussi. Mais le voilà tout de même :

La mouche écoute la radio.
La pluie tombe très fort.
La mouche reste sur la radio.
La pluie redouble dehors.
Elle tombe aussi dedans.
Ploc ploc ploc ploc.
J’écris la voix de Gabriele :
Schaue schaue schaue.
La mouche s’envole.
La pluie s’arrête.
Ploc.

Pendant que j’écris, la pluie oblique a repris et joue avec un timide soleil.
Je vais aller dans la véranda et envoyer mon texte par internet car c’est de cette manière que circulent les lettres depuis que nous sommes au convento.
Selon les jours, je parle mieux portugais. Hoje, je ne sais pas. Ces derniers jours, à force de parler anglais avec G., je me suis surprise à rêver en tentant désespérément de parler anglais avec ma famille qui ne comprenait pas pourquoi je ne parlais pas français. Le convento, tour de Babel ?

I stop here.
Ploc.

SD



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