samedi 22 juin 2013

SD expose demain son travail!

courir à Ste cécile!

Accrochage presque fini!

maison du sanpatri et Bona Dea

Divine diva et reflet...
Bonzoms brodés



Mais là, ces mots bleus et dorés...

Imbécillité de ce choix.
Un premier mot!
Toute idée de collection est restriction.
Dit Boseigne, en colère ce matin.


Si tu es seul, reprend-il, tu ne parleras pas, alors...Foutaises! Je ne comprends pas ton besoin de construire, quelles que soient les circonstances, des choix impossibles.
Ce matin, c'est Al Coran, qui est venu et que j'ai prononcé à voix haute et distinctement, comme si tu pouvais m'entendre depuis la terrasse.
Décidément j'ai bien raison de dire que.
C'était bleu et doré, écrit sur de la mosaïque, je l'ai d'abord lu, puis dis à haute et intelligible voix.
Il y a de fortes chances, quoi que tu argumentes, que le premier mot soit bonjour et que les suivants soient bien dormi. Banalités que nous reprenons sans fatigue tous les matins que nous sommes en compagnie, tant le langage est commun.
Et les préoccupations identiques. Oui, bien sûr, mais là, ces mots bleus et dorés, Al Coran.

Bosseigne n'est pas enclin à m'accorder la moindre parcelle de territoire aujourd'hui. Capituler, renoncer à poursuivre serait sage.

Aussi abandonner ce collectage périlleux me paraît une solution raisonnable, reprend-il.
Ou alors.
Oui, je crois que tu vas trouver une manière de dériver autour du point nodal. Par exemple, les images ou inventer on ne sait quelle règle nouvelle pour commencer la journée sans inquiétude, c'est bien ça, n'est-ce pas?
Toute entreprise a sa nécessité au départ, puis...Du premier geste au dernier. On pourrait.
Tu pourrais...
Collecter le premier geste, tousser, mettre les pieds sur le sol, regarder un objet. Selon les matins.
Le ciel à travers la fenêtre dont tu ne tires jamais les rideaux.
La grande vague verte et bleue du peintre Henri Darasse.

Et puis il y a ce crapaud que j'ai trouvé en me promenant, près de la fontaine.
Tu en étais enchantée comme d'un trésor!
Pourtant la mort.
Mais tu voyais le geste vif, non?
Encore présent dans le corps séché. Et puis le dessin.
Tu y vois encore l'élan, le saut.
Comme le premier mot. Un élan à vivre.
Tous les matins.
Oui.

Bosseigne n'avait plus l'air fâché.
Il souriait de ma naïveté, ai-je pensé, mais de la constater l'avait revigoré.
Oui, dit-il enfin, tu as raison, la vie vaut bien qu'on ramasse un crapaud mort pour en faire un dessin.
Et en mon fors intérieur, j'ai ajouté:
aussi mauvais soit-il.
Pensant que mon parant, s'il avait pu entendre ma remarque serait tombé d'accord avec moi.
La vie vaut bien ça,
ai-je encore pensé, avant de boire la dernière tasse de café du matin.

jeudi 20 juin 2013

SD expose son travail!

Maison d'amis de Béatrice Viard
à Ste Cécile les vignes (84)
au pays des eaux et du bon vin!
vernissage 23 juin à partir de 18.30
contact:
BV06 99 70 83 78
SD: 0626417042
broderies

encres
broderies et encre
exposition maison d'amis, installation
dernières broderies
petites bonzams brodées

lundi 17 juin 2013

C'est ce qu'on appelle, dirai-je à Bosseigne, un événement.

Il est question de la marche.
Des menhirs aussi.
Il est question de suivre un chemin, vu du ciel ou vu du sol.
De repères pour la marche.
Il était question d'aller jusqu'au village voisin.

Et puis deux hirondelles sont entrées dans la buanderie.
C'est ce qu'on appelle, dirai-je à Bosseigne, un événement.
Un tout petit événement, bien entendu. Mais de cette sorte que nous aimons, mon parent et moi.
Provoquant de toutes petites révolutions sans lesquelles lui et moi ne saurions vivre. Ce sont des aides précieuses pour un temps laisser de côté le fauteuil hérité de ma mère et toujours pas réparé à ce jour, ou  mes inquiétudes récurrentes sur l'avenir qui nous est réservé.


Le jardin apaise bien des incertitudes, particulièrement en été, les oiseaux. Ce matin, les hirondelles.
J'ai lu ce matin qu'en haut des pierres érigées par les hommes dans l'Antiquité, il y avait souvent une petite forme ailée: une huppe sans doute. J'en ai été réconfortée après une nuit un peu désagréable.

C'est ainsi que nous vivons, Bosseigne et moi.
Dans une existence faite de travail et de petits riens, la visite de deux hirondelles est un signe amical. Non pas révélation de quelque présence divine et haut placée, mais plutôt une main amie qui se pose sur votre épaule. Le premier mot à venir a été tout de suite merci. Merci, ai-je dit, aux petites hirondelles que ma présence inquiétait un peu. Elles cherchent à faire un nid, me suis-je dit, dans un lieu banal comme notre buanderie. Merci, oui, de cette charmante façon de commencer la journée, leur ai-je encore dit, petites messagères légères. Et j'ai cessé d'avoir envie de marcher.

La contemplation des feuillages a remplacé l'avancée dans le paysage. Et la conscience de mes impuissances.
Je me suis tenue face à la colline un long moment, me demandant pourquoi le mouvement était pour moi lié à la contemplation immobile, au silence, au matin et au soir. Quelques nuages floconnaient gentiment. Dessous leurs ventres le soleil créait d'amusantes boursouflures dorées. J'ai essayé de me souvenir du premier mot pensé ce matin lorsque je me suis échappée hors de la maison. Mais l'odeur du jasmin a chassé tout souvenir pour envahir le jardin. Et les hirondelles.

J'ai repensé aussi à ces poèmes d'Adeline Olivier lus avant de dormir.
Me suis demandée comment lire la poésie. Me l'étais demandée hier soir déjà.
D'eux me revenaient quelques mots, une vague, une figue, un amour, mots de douceur et douleur liés. J'avais éprouvé les lisant une proximité et une étrangeté qui m'avaient touchée.
Et maintenant, loin d'eux, restés sur le tapis de la chambre, qu'en ai-je conservé si ce n'est cette humeur moins sombre, comme le ciel et ses nuages, comme l'herbe, comme les fruits noirs du figuier pas encore mûrs, en attente de ce qui va venir?
J'ai repensé aussi à cette interrogation sur le temps trouvée à la fois dans deux livres que je venais de lire, l'un de Joël Vernet et l'autre de Pierre Bergougnoux, sentant à la fois tout ce qui faiblit en nous (nos corps) et aussi ce que renforce la poésie. Si je ne marche que peu, trop peu, c'est à cause de cette faiblesse du corps heureusement nourrie de mots, d'images et de rêves.

Je n'en dirai rien à Bosseigne.
Il est jeune et fort, mon parent.
A la vie devant lui, comme disent les gens.
Pourtant, malgré mon âge, chaque réveil me fait croire à un commencement.

Il était question de marche ce matin.
De deux bras arrondis vers le ciel.
D'un merci aussi aux hirondelles.

Temps de partir vers la journée?
Oui, y aller d'un bon pas!




Par hasard vivants/Travails

Les poètes?
"Ils rêvent qu'ils rêvent."
C'est un poète qui l'a écrit alors il sait de quoi il parle.
Comme moi des textiles, non?
C'est un poète syrien. Enfin le pays d'où il vient, où il est né, la langue qu'il parle...
L'arabe.
Oui, il parle d'une terre lourde de sang, la sienne, et je me dis que toute patrie est lourde de sens.
Dehors le vent se lève. Tu entends? ça roule dans les arbres et c'est chaud...
Comme en Syrie.
La patrie, tu crois que ce mot a derrière lui autre chose que des larmes?
Des armes aussi, oui.
J'ai remarqué que textile rime avec exil et à l'intérieur on y trouve à la fois le texte et son exil, dit Bosseigne, fier de sa trouvaille.
Quand tu commences à lire de la poésie, la patrie montre son nez d'une tout autre manière que dans les journaux nationalistes.

photo F.Ridard

Au-dehors un vent du désert soufflait.
Bousculant le paysage coutumier, nous emportant sur un tapis volant vers l'est de la Méditerranée.
Ce n'était pourtant pas l'heure de dormir. Ni sieste ni nuit devant nous. Sur la table, j'avais posé quelques livres et je m'apprêtais à sortir.

Par hasard, nous sommes vivants aujourd'hui.
Par hasard aussi, nous sommes français.
Le recueil de Nazîh Abou Afach s'appelle Par hasard vivants.

Bosseigne a jeté un regard sur un autre livre posé là, entre nous.
Il y a une erreur dans le titre, a-t-il remarqué surpris.
Ce n'est pas une erreur.
Comment ça? Tu vas me parler de licence poétique?
Le travail est au singulier et au pluriel en même temps, rien à voir avec les travaux d'Hercule, ai-je commencé.
Pourtant, a essayé Bosseigne, puis il a préféré se taire. Il avait lui aussi du travail. Ce mot comme patrie..., a-t-il tenté, puis mon parent s'est ravisé. A plus tard, a-t-il dit en s'éloignant. Il boitait un peu, fatigué sans doute par ses heures de recherche, assis sur une chaise inconfortable, dans l'attente du précieux fauteuil.

Il faut que je contacte Joker, me suis-je dit en quittant la maison. Dans mon sac, j'avais glissé Travails, du poète Hervé Bougel. Evidemment un chercheur comme mon parent ne pouvait laisser passer une telle erreur. Mais ce n'en était pas une, avais-je tenté assez maladroitement je le confesse, de lui faire admettre. Mon parent aime rire. Mais il aime encore plus raisonner. Surtout avoir le dernier mot, c'est sa faiblesse. Et cette thèse a de quoi lui retirer son humour.
Tout en marchant dans le vent chaud, je continuais à réfléchir.

Bosseigne se fatigue en ce moment, ai-je conclu. Je dois lui alléger certaines choses le plus possible. Mon parent a beau être une force de la nature, il lui arrive tout de même de s'épuiser.
Oui, la patrie, le travail, ce sont de gros mots.

Ce soir pour le détendre, je lui lirai quelques poèmes.
Du poète syrien et du poète grenoblois.
Il y aura un équilibre à trouver.
Et Bosseigne s'en trouvera revigoré, oui.
D'un pays à un autre, d'une patrie à une autre.

Nous rentrons
A la maison.

C'est Hervé Bougel qui l'écrit à la fin d'un de ses poèmes.
Et ce soir nous serons, Bosseigne et moi, à la maison.
Je lui lirai Travails et il ne sera pas fâché que le poète fasse des erreurs.
Parce que tout est exact dans ce recueil, dira-t-il, après avoir entendu la lecture.
Comme chez le poète syrien Nazîh Abou Afach.
Voilà.



samedi 15 juin 2013

Durbec, c'est breton, non?

C'est le premier mot.
Aujourd'hui celui seul dont je me souvienne.
A peine.

Et aussi du chapeau blanc sur la tête de l'homme, au restaurant.
Il y a des choses comme ça, on ne sait pas pourquoi on les garde en mémoire, bien en vue.
Ce chapeau blanc par exemple.
Ou ce mot quelle ce matin.
Quelle quoi? demande Bosseigne.
Joie, peine, heure, tristesse, saison?
Oui, quelle, ça ne suffit pas à faire un souvenir.


C'est comme la voix du médecin hier.
Et aussi tout à coup sa question chuchotée: Durbec, c'est breton, non?
Je ne vois pas où tout ça mène, ronchonne Bosseigne.
Eh bien ce matin, mon premier mot aura été celui-là.
Lequel? Tu en dis tellement de mots!
Quelle, justement, mais je ne sais plus quel nom féminin le suivait, et j'ai oublié si c'était une exclamation ou une interrogation.
Tu dormais encore.
J'ai oublié. Tout, sauf ce petit mot, quelle.

Hier j'étais chez le médecin pour mes yeux. C'est un homme à la voix silencieuse. Il est nécessaire de tendre l'oreille, de bien écouter et même de scruter ses lèvres qu'il bouge à peine pour comprendre un peu ce qu'il veut dire. Mes yeux vont bien. Murmure-t-il.
C'est le principal, non?
Je n'ai pas osé lui demander quelle était l'origine de son nom qu'il m'a épelé pour que je ne fasse pas d'erreur, tout en me montrant l'étiquette collée sur le bureau avec son patronyme calligraphié en majuscules.
Et tu en as fait quand même.
Oui, j'ai dû déchirer mon chèque et en refaire un autre.
Les banques se moquent bien de l'orthographe de nos noms, a commenté Bosseigne.
L'argent ne fait pas de faute.

Bosseigne m'écoute, la tête appuyée sur la main. Il sourit. Mes histoires d'aujourd'hui l'amusent. Il connaît l'opthlamo à la voix chuchotée.
Et toi, ton premier mot?
M'en souviens plus ai-je repris, c'est de ne pas savoir de quel mot ce quelle était suivi.
Quelle joie, quelle catastrophe, belle journée ou quelle heure.
C'est bien. Un seul mot suffit. Règle numéro un. Demain, nous verrons quels sont ceux dont nous nous souviendrons.

Je suis d'accord, ai-je répondu à Bosseigne.
Demain.
Ulysse.
Ce pourrait être le premier : demain est le 16 juin.
Et alors, questionne mon parent.
Voir Joyce que tu devrais au moins une fois ouvrir pour le citer dans ta thèse. Molly Bloom parle assez bien des tissus légers que mettent les femmes pour séduire les hommes.
Demain?
Oui, le 16 juin. On approche de l'été. On ira se baigner à la rivière. Si tu as assez travaillé. Oui, on ira dans l'eau se laver des erreurs et des horreurs.
Bosseigne rit.
Une famille bretonne, les Durbec, pourquoi pas?
J'y retourne, dit-il. Travailler.
Moi non.






jeudi 13 juin 2013

Oiseau ou Algérie, derniers mots?

Et si c'était plutôt le dernier, demande Bosseigne.
Tu veux dire que les mots collectionnés seront les derniers, ceux du matin, premiers prononcés?
Non, rit Bosseigne, non.
Explique-moi, explique-toi.

Nous restons le nez en l'air. Beaucoup d'étoiles au ciel. Un vertige stellaire, après la maladie nucléaire.

Ce serait plus simple de choisir le dernier mot prononcé ou même pensé avant le naufrage dans le sommeil.
Ce n'est pas un naufrage, dormir, plutôt voyage.
Une deuxième vie après celle du jour?
Pour moi, oui, ça se vit, la nuit, comme le jour. En dormant.
Je parlais comme ça.
Trop souvent, on.

Je me suis tue. Qu'est-ce que j'allais dire. Une sottise. Faire la leçon à mon parent. Alors que.

Je pense que ce serait mieux de collecter le dernier mot du soir. Parce que le matin, tout s'embrouille avec la nuit et les rêves, a ajouté Bosseigne.
Pourquoi pas, ai-je dit, pourquoi pas. C'est comme les étoiles que je ne sais toujours pas nommer.
Je ne vois pas le rapport mais si tu veux, oui, comme les étoiles mais à nommer et à conserver.

Nous nous sommes quittés. Chacun regagnant sa chambre de voyage. Sa pièce de nuit. Je sais que mon parent travaille souvent assez tard. Le dernier mot pour lui sera peut-être le nom savant d'une moisissure ou d'un agent pathogène qui s'attaque au texte. Ou au textile.

Le rossignol s'est mis à chanter. Nous approchions de l'été, ai-je pensé. Le dernier mot ou le premier?
Les draps étaient frais, la fenêtre ouverte, je lisais un livre sur la marche en ville en pensant que je préférais marcher dans les campagnes et les forêts. Pourtant, Marseille avait été mon domaine d'arpentage durant des années. Mais en ces temps de dure merveille, je marchais pour agrandir la prison maternelle, en en disjoignant les bords jusqu'à les faire craquer. Notre famille en fuite n'avait-elle pas cru bon de se concentrer dans un périmètre restreint comme pour se protéger du reste de la ville? Choisissant les hauteurs comme par désir de se hausser au-dessus du peuple. Ma mère évoquait toujours le reste des habitants comme des gens ordinaires. Ceux qui ne cessent de pleurer misère et ne font rien pour s'en sortir, disait ma mère. Gens ordinaires, donc. Ce mot était une façon de distinguer qui était fréquentable de qui ne l'était pas. Quitte à me pousser vers des jeunes gens à la peau blanche, gage de bonne éducation. Et à m'éloigner de Zohra. La guerre d'Algérie était encore bien présente dans notre maison. Bosseigne le sait, mieux que moi, lui dont le père a fait son service militaire dans les Aurès.
Eprouvant le besoin de bouger, je suis allée à la fenêtre largement ouverte sur la nuit parfumée de jasmin.
Dans le silence des étoiles et du chant du rossignol, tout d'un coup s'était glissé un pays au nom de douleur. Je suis restée accoudée à la fenêtre, me demandant si Algérie serait mon dernier mot du soir.

Mais juste avant de tomber dans le noir délicieux de ma nuit, un mot a surgi.
Oiseau.
Et je me suis endormie.
Avec lui pressé palpitant sur ma poitrine.
Ni rossignol ni huppe.
Oiseau seulement.






mercredi 12 juin 2013

Un mal nucléaire, dit Bosseigne

A la tête.
Mal à la tête.
Et toi?
Je t'ai écouté, alors, j'ai dû te répondre: moi aussi.


Nos premiers mots aujourd'hui, nous les collectionnerons.
On verra avec ceux de demain.
Quel est le premier, mal ou tête? Ou vont-ils par deux?
En un seul mot-douleur.

Bosseigne n'est pas convaincu. Il me regarde un peu bizarrement. Est de mauvaise humeur. Son travail. N'avance pas.

Bizarre de commencer une journée par le mal et la tête. C'est ce que doit penser Bosseigne. Mais c'est un garçon qui travaille avec, justement, sa tête. Ce qui ne veut pas dire qu'elle le fasse souffrir. Pourtant il devrait comprendre le mot-douleur. Nous venons d'une famille, mais je n'ai rien dit. Nous étions sur un banc, dans le jardin.

Tu travailles de la tête, comme on dit, à toujours ressasser des obsessions. Après le fauteuil, une collection de mots, pourquoi pas, mais choisir les premiers prononcés le matin, c'est une idée farfelue.
Mon parent emploie le mot farfelu mais n'a aucun sourire sur les lèvres. Pourtant, il ne souffre pas de migraine, lui.

C'est une manière de rompre l'ennui.
Tu t'ennuies en ce moment?
L'ennui, c'est lorsque je perds de vue la grande peinture verte et bleue sur le mur blanc.
Et le réveil, c'est une sacrée aventure. on sait qu'on est vivant, c'est tout.
Et le silence est dans la bouche avant la parole, non?
Tu comptes collectionner tes silences aussi?

Bosseigne se moque de moi et ça ne le fait pas rire non plus. Bosseigne est morose. Il doute que sa parente la plus proche soit sensée. Ou que sa présence lui apporte un réconfort puisque je ne parle que de migraine. Il est agacé. Et finit par l'exprimer.
Tu souffres en ma présence?
Le café apaise le mal à la tête.
Au fait, j'ai lu des choses amusantes sur les champignons. Et les textiles.
Pour ta thèse?
Plus ou moins. Si je te donne un mot comme champignon, tu en ferais quoi? propose Bosseigne, l'air sérieux.
A manger, à cueillir, à nettoyer, à éviter?
Eradiquons les moisissures des textiles. Ensuite voyons ce que nous pourrons récolter.
Ma mère disait que j'avais poussé comme un champignon. Je ne comprenais pas ce que ça signifiait.
Atomique, tu étais!
Et ton mal est nucléaire!
Et là, enfin, Bosseigne éclate de rire à l'idée d'avoir une parente pleine d'énergie nucléaire. Notre famille en fuite n'avait rien d'une famille nucléaire, ai-je pensé brusquement, au souvenir du cours de sociologie.
Tant de membres dispersés et au centre, ma mère trônant sur son fauteuil.

Ton mal à la tête vient de là, ne cherche plus, conclut-il en souriant d'aise.

C'étaient les premiers mots de la collection, ai-je pensé.
Un mal nucléaire.




mardi 11 juin 2013

Humour de Bosseigne


Normalement c'est un mot.
Qui?
Démarre la journée.
On devrait les collectionner.
Les mots? Déjà fait, dans les dictionnaires.
Humour de Bosseigne.

On devrait, je reprends, collectionner tous les premiers mots...
Ceux des enfants? On a dû le faire, leurs parents. Ta mère.
Non, je parle des mots prononcés en premier, au réveil.

Dessin SD

Bosseigne ne réagit pas. Trempe sa tartine dans son café. Regarde au loin la colline. S'agace d'une mouche posée sur sa manche.
Tu te souviens, toi, du premier mot que tu as prononcé ce matin? Et hier, et avant-hier?
On peut essayer à partir d'aujourd'hui, non?
Bosseigne dit qu'il n'a pas que ça à faire, que c'est idiot, que.

J'attends un peu. Puis. 
Si on voit ça comme une collection?
Mmm.
Tu faisais des collections quand tu étais petit?
Oui, presque tout. Surtout des bêtises.
Eh bien.

Dès demain, ai-je pensé, je noterai son premier mot et le mien. Et ensuite et ensuite. Et puis une fois que j'en aurais suffisamment pour une collection digne de ce nom, je les lui montrerai. 

Patience, sera le dernier mot de ce matin, me suis-je dit en laissant Bosseigne à ses pensées.
Tu pourrais me dire.
Au revoir, à plus tard?
Oui, par exemple.
Eh bien, voilà, au revoir.
Et je suis sortie prendre l'air.




lundi 10 juin 2013

Recopier des poèmes, dit la vieille dame, et hop!

Tu vois, Bosseigne, il arrive que.
Mais je ne suis pas  sûre de ce que je vais dire à mon parent.
Nous restons en silence.
Tu es partie depuis trois jours, on dirait un siècle, dit enfin Bosseigne.
Lui ai-je manqué.

C'est de plus en plus difficile.
Quoi?
Parler, ne pas parler.
Nous rions, un peu.
Partir, ne pas partir.
C'est revenir qui est le plus difficile, on a déjà eu cette conversation, non? interroge Bosseigne, un peu distraitement.

oeuvre brodée de Rieko Koga, 2012

Le jardin est couleur or, ce matin. Bourdonnements, vols, silences.
Difficile d'interrompre ce qui se passe là, sans nous, mais de manière très active. Nous continuons à nous taire en aveugles tellement la lumière est puissante.

Je ne sais pas comment tu fais, dit Bosseigne.
Quoi?
Prendre des trains, des moyens de transport fatigants, des visages.
Hein?
Bosseigne s'éclaircit la voix. Il y a une fatigue des yeux, tu sais, à enregistrer tant de visages. Je ne suis pas prêt à faire des voyages! Même mené par l'amour.
Il faudra bien pour le fauteuil!
Nous prendrons une auto, ce n'est pas pareil et les Cévennes, ce n'est tout de même pas une ville capitale.
Il a raison. Bosseigne a raison: je ne sais pas comment je fais. Mais il y a : Rivière.

Comme s'il m'avait entendue, Bosseigne reprend la parole.
Il est vrai qu'une rivière ouvre un peu une ville, l'aère et justement, Paris.
Je n'expliquerai pas à mon parent que ce n'est pas de la Seine qu'il s'agit. Ce serait un effort et l'or du jardin m'en empêcherait de toute façon. Vous l'appellerez: Rivière. Edith Azam.

Et puis, il y a ces sortes de ciseaux pour moucher les chandelles, tu vois ce que c'est, cet objet? ai-je demandé à Bosseigne pour que nous quittions ensemble le lieu de mon étouffement.
Ta mère en avait, dans une vitrine, non?
Au milieu de quelques autres objets.
Non loin de cette vitrine, mon fauteuil, reprend triomphalement Bosseigne, tu t'en souviens? Et hop!
Ciseaux à bougie.
Tu as toujours aimé les outils.
Et les fauteuils à écrire, les chaises, les tables. Et le tissu et le papier. Nous arrêtons la liste. Rivière.

C'est comme cette dame qui recopiait des poèmes sur ses genoux. L'éditeur lui a proposé une table.
Et puis finalement lui a donné le livre.
Vous l'appellerez: Rivière.
Non, ce n'est pas vrai.
Mais si. Un ami m'a dit que ce que nous écrivions du passé pouvait le transformer. Par exemple tu ajoutes une personne qui n'était pas là et tu racontes ce qui s'est passé avec elle et les autres personnes qui, elles étaient réellement présentes.
Tu répares le passé, c'est ça?
Oui, ce qui n'a pas eu lieu a lieu. On peut raccommoder le monde comme une grand-mère reprisait nos chaussettes quand nous étions enfants.
Aujourd'hui on les jette.
Qu'est-ce qui est vrai dans ton histoire de dame qui recopiait les livres?
Justement ça, elle copiait dans son cahier les poèmes avec un stylo bleu, j'ai remarqué ce détail et le cahier était quadrillé, un cahier d'écolier. C'est entièrement vrai. Elle avait l'air un peu craintive des gens qui ne sont pas à leur place et le savent.
Et?
L'éditeur lui a vraiment donné un livre. Pour la faire partir. Pour en finir.
Et hop, c'est ça?
C'est ça.



mercredi 5 juin 2013

Creuser une route entre Limonov, Cendrars et le Baïkal?

Tu vois un rapport entre eux?
Bosseigne pose la question en baillant.
Ne semble pas très intéressé par la réponse.
Toujours cette question du bonheur, hein, qui n'arrête pas de travailler sa route.

C'est la Russie, ai-je marmonné.
On ne peut pas l'oublier, la Russie.
A cause de la littérature? Limonov?
Pas seulement, non. Mais cette ligne rouge qui va de Moscou à Vladivostock.
Et ces gens qui sans arrêt dépassent la limite. Qui brouillent notre compréhension des choses.
Oui, Limonov mais aussi Tsevetaïeva.
Voilà bien ton amour des noms de lieux qui ressurgit.
Pas seulement l'amour des noms. Des gens aussi.
Vladivostock, c'est un enfer!

Evidemment, évidemment. Bosseigne voudrait me faire entendre raison. Alors il ajoute en guise de conclusion.
Et Sakhaline et Oulan Bator etc.


Mais il y a cette cabane au bord du Baïkal, ai-je tenté.
Les cabanes, on peut en construire où on veut. On n'est pas obligé de risquer sa vie par moins trente.
C'est la question de l'espace qui travaille là. Route ou pas route.
Et le Goulag?
Personne ne peut rien en dire après Chalamov.
Il y a des écrivains français qui se réfugient dans une cabane au bord du Baïkal pour s'entendre vivre. Tu comprends ça, vivre!

Je ne comprends rien, Bosseigne, ai-je eu envie de lui répondre.
C'est l'espace, son froid de neige mortel, sa langue, son immensité muette.
Les couleurs peut-être aussi, blanche et rouge. Et Cendrars.
Alors, courageusement, je prononce ce nom: Cendrars.
Encore un russe?
Non, un suisse.
Nous y revoilà, ricane mon parent.
Vers l'est toute, à présent. Tu sais au moins vers quoi tu vas, au risque de beaucoup de souffrances?

Ma première émotion poétique, je la dois à Cendrars, un suisse parti à Moscou et qui a écrit la Prose du transsibérien. Pour dire cette phrase, il a fallu que je fasse un effort. Ce n'est pas une conversation, mais une véritable lutte. Bosseigne est armé jusqu'aux dents aujourd'hui, un guerrier. Je me sens pitoyable devant lui quand il est rempli de cette force guerrière.

Rêveuse, va! s'exclame Bosseigne. Encore un livre que tu vas devoir me prêter.
Ella Maillart aussi et Anne-marie Schwarzenbach étaient suisses, et Nicolas Bouvier.
Je n'ai pas énuméré ces noms aimés de peur de me faire traiter de pédante.

Pour bien lire, a soudain déclaré Bosseigne, il faut un bon fauteuil.
J'attendrais pour Cendrars d'avoir récupéré mon héritage.
L'avais-je fâché? Il ne souriait plus.
Sans un mot de plus, il est reparti vers son bureau.
Et moi vers les bouleaux blancs qu'on aperçoit du train quand on approche de St Petersbourg.



mardi 4 juin 2013

Deuil de la musique, Bosseigne?

Musiciens vêtus de noir, comme en deuil de la musique.
Classique, précise Bosseigne, classique. Les musiciens classiques.
Tu n'as pas besoin de me répéter trois fois la même chose.

casa di Genova, dessin SD

Tu es agacée.
Davantage parce que tu n'aimes pas leurs vêtements noirs ou parce que tu n'as pas aimé le concert?

Ou pire, hasarde mon parent, tu n'as pas aimé de ne pas entrer dans la musique comme tes compagnons.
Cette histoire de vêtements, un peu absurde, non?

J'ai eu envie de lui répondre que la conversation était une variété de la lutte gréco-romaine et que.
Bosseigne est un lutteur. Je le sais depuis longtemps. Il ne peut laisser les paroles en l'air.
Deuil de la musique.
Je sais que les questions sont plus importantes que les réponses. Mais en ce cas, le noir n'est pas celui du deuil, au contraire, je dirai que c'est une tradition. Le vêtement noir est l'habit du musicien, comme est noir celui de la religieuse. Par esprit d'humilité?
Il a ri. Pas moi.

Je n'avais pas envie de m'expliquer. Je n'avais pas d'envie du tout. J'avais rêvé d'autre chose. La neige s'affalant par paquets sur le toit de la cabane du jardin. L'été allait arriver. Nous étions le 4 juin, martelait le calendrier. Et puis je me soupçonnais d'être en train de tomber amoureuse. Ce qui n'est pas une chose simple. Non, pas de mon parent, évidemment. Amoureuse d'une fille de mon adolescence. A nouveau, je ressentais le sentiment délicieux et douloureux lié à nos déambulations urbaines. Nous allions ramasser des fleurs après le marché et nous les portions dans nos cheveux. Des femen avant l'heure.

Il y a de ça longtemps. Commente Bosseigne.
Cette fille, tu ne sais pas ce qu'elle est devenue.
Non.
Si tu la voyais là.
Je ne serai pas amoureuse, si c'est ce que tu veux dire.

Bosseigne a raison. C'est comme le fauteuil. Ne reste de lui qu'une image à présent qu'il a déserté la maison familiale pour une hypothétique rénovation. Mon amoureuse est un souvenir, une image en mouvement d'un temps disparu, une Albertine jamais retrouvée. Et c'est tant mieux, ai-je conclu.
Ensemble nous avions ri, marché, conspiré même.
De cette jeune fille à la dent cassée, que reste-t-il. Peut-être s'est-elle fait arranger les dents. A-t-elle jamais su que cette ébréchure dans le sourire avait eu sur moi un effet puissant. Encore une fois, comme le fauteuil de Bosseigne, hérité de ma mère de son vivant, ai-je pensé avec aigreur.

Tu n'aurais pas dû sortir hier soir, ça t'a mis de fort mauvaise humeur.
En te rappelant à ta condition.
A ma surdité, sans aucun doute.  Le temps grisaille, ça doit être ce qui me rend aigrie.
Aigre, plutôt, ce n'est pas le même état. Pense aux cornichons puisque tu rêves de taïga russe.

Bosseigne, raison encore une fois. Echec et mat.
Je suis aigre comme un cornichon.
En deuil de la musique et de l'amour.
Voilà de quoi faire rire toute une compagnie de noirs musiciens classiques.
Sauf moi.









dimanche 2 juin 2013

Et là, maître Eckhart, au supermarché, fort comme la mort

Comme tous les gens, j'ai poussé mon chariot jusqu'à la caisse.
Remords au dernier moment. Qu'ai-je acheté. Alors je refais un tour, pour chercher ce qui ne peut se trouver ici, dirait Bosseigne.
Je me suis souvenue qu'une fois, en pleine panique dans un hypermarché, la découverte du livre de Marguerité Duras, Ecrire, m'avait sauvé la mise. J'avais pu ressortir, munie du précieux viatique, et ayant accompli le devoir des courses, c'est-à-dire rempli le chariot de comestibles et détergents, je m'étais senti soulagée comme si j'avais reçu une tape amicale sur l'épaule.

Et là, maître Eckhart.
L'amour est fort comme la mort.
C'est le titre. Folio 2 € sagesses.
Je ne connaissais pas cette collection, sans doute à l'usage des bacheliers, ai-je pensé.
Est-ce une manière d'acquérir vraiment un peu de sagesse dans les supermarchés. La caissière a souri en passant le code barres du livre au scanner. Et avant que j'aie pu ouvrir la bouche, elle a soupiré: ça fait un mois que je n'ai pas ouvert un livre. Ce que je suis malheureuse, vous pouvez pas imaginer. Et ce livre-là, je ne savais pas qu'il était au magasin sinon.
Tout en parlant, la caissière me regardait en souriant.
Fort comme la mort, maître Eckhart.
J'étais contente. La caissière aussi. On a regardé le livre toutes les deux. la photo de couverture était très laide. Je me suis bien gardée de le faire remarquer. Le titre, sur le tapis de la caisse, claquait comme un espoir. C'était bien. elle a ajouté: la lecture, c'est mon vice. Alors j'ai approuvé et dit : le mien aussi. Nous avons ri, j'ai pensé à ce que j'allais raconter à Bosseigne. Presque rien à dire.

cabane en Cévennes, 1, la salle de bain

Dans l'auto, j'ai rangé les courses et j'ai pris le petit livre avec moi. La rose de couverture était affreusement bleue. En écho à Novalis peut-être. Ou Celan. Je l'ai trouvé très laide. Sans pourquoi. Puis j'ai ouvert le livre de Maître Eckhart.
"La mémoire a le don de conserver ce qui est donné - tout ce que les autres puissances apportent en elles."
Elles au pluriel, pas la mémoire.
Je suis un peu perplexe. Tout ce que conserve ma mémoire est souvent en désordre comme mes affaires. Quelles puissances sont à l'oeuvre, je ne saurais le dire. La puissance du souvenir du fauteuil est si forte qu'elle a contaminé toute notre existence récente, ai-je pensé, et jusqu'aux recherches de Bosseigne. En effet, ne travaille-t-il pas sur le textile? A-t-il été influencé par le choix du tissu qu'il a fait pour recouvrir le siège dont il a hérité du vivant de ma mère, je ne saurais le dire. Et ma propre mère, dans quelle mesure, son souvenir. Là, j'ai démarré l'auto.

Notre maison est une sorte de cabane, ai-je pensé en reprenant l'avenue qui conduit chez nous. Bien sûr, elle est très grande, ne fait pas 3 mètres sur 3. N'est pas au bord du Baïkal non plus. Encore que dans notre jardin, il y a une vraie cabane de bois au sol de terre battue. De temps en temps je m'y retire. Un retrait dans un espace clos ouvert sur les arbres. Mais aujourd'hui, non. Trop de vent en furie. Avec Bosseigne nous avions envisagé de la transformer en sauna. Ou en bureau. Ou. Pour l'instant quelques outils de jardin y sont entreposés. Une table faite d'une planche et un tabouret font un bureau. Et un observatoire pour les oiseaux de passage.



Le bonheur est le meilleur des remèdes. Ce n'est pas le Maître qui le dit, mais un médecin que j'ai écouté hier à propos du cancer. Soyez heureux et vous ne serez pas malades.
Je me suis ressouvenu d'un homme qui se croyait, se disait sage. Une sorte de bouddhiste des plaines. Le même qui avait demandé à une de mes amies malade, comment une personne comme elle avait pu laisser entrer le mal dans son corps.
Si tu ne sais pas être heureux, c'est de ta faute.
Comme si. J'avais raconté ça à Bosseigne qui avait hurlé de rire et d'indignation ensemble.
Un peu facile, non?
Il faut boire au Léthé alors.
Oublier sa vie, non?

Bosseigne m'attendait. Il semblait inquiet. J'ai eu un coup de téléphone.
Un coup, ai-je ricané. Sur la tête?
Oui, Joker.
Aïe.
Ce n'est pas ce que tu crois. Il neige en Cévennes.
Au mois de juin?
Oui et ça va tout retarder.
L'été ?
Non, la Tapissière, je le crains.
Et nous voilà au plus près de nos inquiétudes.
Résumées en un seul mot: fauteuil.

Viens, ai-je dit à mon parent.
Je vais te lire quelques pages de Maître Eckhart. Sûrement lui aussi s'est posé la question du siège où s'assied le philosophe.

Un tronc d'arbre.





samedi 1 juin 2013

C'est comme cette histoire avec Javier Marias,

ai-je pensé en remontant l'avenue vers l'endroit où j'avais garé mon auto.
Ce genre de choses dont on se dit qu'elle n'arrive jamais. Eh bien, c'est arrivé, me suis-je encore dit en ouvrant la portière. Oui, le grand écrivain espagnol invité à la Médiathèque de la ville d'A. avait tout de suite demandé à me rencontrer, à cause de Thomas Berhard.


Je n'étais rien qu'une abonnée et un écrivain espagnol  mentionnait mon nom! La stupéfaction avait dû être grande parmi les bibliothécaires. J.M. et moi entretenions une correspondance. J'avais évoqué l'écrivain autrichien à son propos, écrivain que lui et moi admirions. Il m'avait trouvé perspicace. Lui même avait écrit un essai sur Thomas Bernhard.

Je n'en ai jamais parlé à Bosseigne, me suis-je encore dit. Je suis restée un moment, là, dans l'auto à me repasser le film de cette étrange histoire vraie. Comme la rencontre avec Fernando Pessoa à Braga. Comment en étais-je venue à repenser à cette rencontre, si ce n'est parce que tout à coup la réalité de la Médiathèque avait effacé le temps et que nous étions revenus vingt ans en arrière. Les locaux n'avaient guère changé et surtout une sorte de qualité particulière de l'air, ce que certains nommeraient une atmosphère.

Il y avait eu ce coup de téléphone d'une bibliothécaire.
M. Javier Marias souhaite absolument vous rencontrer à l'issue de sa lecture.

Voilà encore de quoi faire rire mon parent, ai-je pensé en démarrant l'auto. L'écrivain espagnol m'avait envoyé un autoportrait de Picasso que je pouvais regarder comme un portrait de Javier Marias lui-même. Tout écrivain est vaniteux, ai-je constaté, qui sait si moi-même. Sûrement que dans ce combat contre la disparition, il nous faut dresser des effigies. Au dos de la carte postale, l'écrivain avait noté à l'encre rouge une phrase qui disait sa situation et ce n'était pas joyeux.

Est-ce un secret, me suis-je demandé tout en remontant l'avenue.
Après sa lecture, l'écrivain espagnol avait voulu que je partage sa soirée.
Si Bosseigne apprend que j'ai refusé son invitation, il me traitera d'idiote.
Mais là tout à coup, en présence de cet homme à l'accent séduisant, je me suis retrouvée en un tel état d'impuissance que j'ai préféré m'appuyer sur des obligations prétendues.
E comme souvent, j'ai fui. Ma jeunesse d'alors ne m'a nullement aidée.
Même si visiblement l'écrivain avait envie de ce temps passé avec une française pas très bavarde, il m'a semblé impossible, après le miracle qui venait d'avoir lieu, rencontrer un auteur admiré, de poursuivre une relation qui aurait pu devenir plus amicale encore.

Plus tard, rangeant des papiers ou plutôt les dérangeant pour ne jamais arriver à les mettre en ordre (en ordre de quoi?), je suis tombée à nouveau sur ses lettres. Tentée par le fait de lui écrire, j'ai recopié son adresse à Madrid.

M'est revenue une autre histoire en m'arrêtant devant le supermarché.
Une amie américaine, sachant que je me rendais en Finlande avec Bosseigne, m'avait confié un petite paquet léger à envoyer à une adresse à Helsinki. Il faut impérativement le poster d'Helsinki. Je veux que ce salaud (son ancien amant) croie que je suis en Finlande, tu comprends. Je veux lui faire peur.
Ce que j'avais fait. Plus tard, elle m'avait révélé le contenu du paquet: une chemise de nuit lacérée en étroites lanières. Son amant la lui avait offerte il y avait de ça bien longtemps. Je n'ai pas dit à cette amie que peut-être son ancien amant avait tout oublié de leur histoire.

A Madrid, je n'ai envoyé aucune lettre ni paquet quelconque à l'adresse qui figure dans mon agenda à la lettre M.
Il était temps de faire quelques courses.
Bosseigne sera content s'il y a du jambon pour le petit déjeuner, ai-je pensé.
Et je suis entrée dans le magasin.