Un enfant là-bas a mis un aimant dans une bassine pour recueillir
la poussière de météore contenue dans la pluie.
Et c’est le fils de Thoams.
Enfant au nom de nuit.
Pendant ce temps, je lis un roman qui raconte une
expédition en vue de récupérer au plus profond de la Sibérie, dans la région de
la Toungouska une gigantesque météorite tombée le 30 juin 1908.
Thoams, merci de ta lettre.
Tout se continue.
Les preuves abondent.
L’enfant chinois dormant dans un fauteuil en plastique
tandis que sa mère, très jeune mère, enregistrait les achats que nous venions
de faire. Un bel enfant de début du monde.
La chouette effraie, le grand duc, la chevêche, les
faucons vus à la foire de la chasse étaient aussi bien vivants.
Et la pluie de cette nuit m’a enchantée qui a crépité
comme un feu sur les tuiles de la petite maison où nous dormons.
L’insomnie elle-même est une preuve de cette continuité
entre travail et temps arrêté parce que se sont bousculés dans ma nuit blanche
Bosseigne le fictif et Bascoulard le réel et tout ça grâce à la lettre
majuscule de leurs noms qui est aussi celle de mon plus jeune fils.
Le travail m’a repris. Ou plutôt Bascoulard m’a tiré par
les pieds pour que je revienne vers lui, resté à Bourges. Même ici, tu peux
parcourir les rues de la ville. Et Bourges commence par la bonne lettre, a-t-il
ajouté à mon intention. Allons !
La lettre aux deux petits ventres est bonne fille et
bienveillante.
L’absence de sommeil a permis que Bascoulard survienne et
me presse de me remettre au travail.
Ne pas dormir la nuit m’arrive rarement et me met dans un
drôle d’état : je me sens fautive et ai envie que personne ne s’aperçoive
que je ne dors pas, comme enfant, je me cachai au fond de mon lit en simulant
un profond sommeil, dès que ma mère s’approchait.
Nous grandissons si peu, Thoams !
À Mertola, il y a trois magasins tenus par des Chinois.
Magasins fouillis, tristes et abondants en couleurs vives
et laides.
Le miracle de ce petit enfant chinois aux cheveux noirs
bien coupés dormant tranquillement enroulé dans un tissu rose efface la laideur
de ce qui l’entoure.
Je me demande comment vivent ces familles chinoises, ici,
au sud de l’Alentejo.
À Montalegre, dans le Tras-os-Montes, même chose.
Vendant toute sorte de choses utiles et inutiles,
fabriquées ici et ailleurs.
Au Nord, avec la neige et le froid.
Au Sud, avec l’extrême chaleur de l’été alentejan.
Plus loin dans la journée, en compagnie de Gabrielle, nous
avons rencontré l’horreur industrielle, la pollution durable et le travail des
mineurs de Sao Domingos. Un dimanche comme les autres, avec chasseurs,
visiteurs des installations abandonnées, la mine à ciel ouvert dont les eaux
empoisonnées réfléchissent le ciel. Beauté de la catastrophe. Tout s’est arrêté
en 1965 même si la catastrophe continue sans les mineurs qui ont payé cher pour
l’extraction de la pyrite, du cuivre et du soufre. La personne qui nous sert de
guide nous explique que ce sont des ingénieurs et une compagnie anglaise qui
ont exploité les gisements connus depuis l’Antiquité.Cette femme est impressionnante de savoir et de gentillesse. Elle répète souvent en français à notre intention: comprenez-moi.
Chaque mineur et sa famille avait droit à une maison qui
ne possédait qu’une porte et pas de fenêtre. Les ingénieurs avaient de belles
et vastes maisons avec de grands jardins. La séparation était nette. On ne se
mélangeait pas. Le terrain de foot porte le nom d’un anglais, Cross Brown, qui le fit construire en
1952. Il y avait aussi un ciné-théâtre, aujourd’hui salle d’exposition et de
projection. La compagnie avait prévu les loisirs culturels et sportifs pour que
les mineurs ne sombrent pas dans le désœuvrement qui conduit à la révolte.
Malgré cela il y a eu de nombreuses grèves très dures.
Je n’ai pas vu d’enfants à Sao Domingos.
Il y a eu jusqu’à 6000 mineurs ici.
Chaque famille comptait 7 à 8 enfants.
Un hôpital pour les hommes s’occupait des blessés et celui
pour les femmes, des naissances.
Tout était bien organisé.
Maintenant le lieu hésite entre village de vacances et
lieu de mémoire.
Nous rentrons à Mértola.
Mais l’enfant repu est endormi.
Comme une forme d’espoir tranquille.
Qu’il nous faut garder avec nous.
Petit chinois aux yeux clos.
Dors bien.
En compagnie de la lettre aux deux petits ventres.
Dans le ciné-théâtre devenu salle d’exposition, il y
avait des photos du Brésil et des poèmes qui les accompagnaient. Clarice
Lispector, Eugenio Drummond de Andrade et Cecilia Meireles. J’ai recopié un
poème de cette dernière :
No mistero do sem-fim
équilibra-se um planeta.
E, no planeta, um jardim
e, no jardim, um carteiro,
no carteiro, uma violetta,
e sobre ela, o dia inteiro.
Je n’ose pas traduire la simplicité avec laquelle tout
est dit.
L’enfant au nom de nuit, je lui offre la planète et la
violette.
Il saura quoi en faire.
Et à son père, o
dia inteiro, la journée entière.
Et les premiers de Geraldine rencontrée ce matin
sont :
Everybody is happy to-day, no ?
La pluie fait sourire le paysage.
SD
Beau texte, vraiment. Qui m'emporte chez mes chinois de Montalegre. Dans les mines de Borralha, près de Salto ! aussi !
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