lundi 24 octobre 2016

Lettre avec deux petits ventres pour parents et beaux enfants de début du monde No mistero do sem-fim



 



Un enfant là-bas a mis un aimant dans une bassine pour recueillir la poussière de météore contenue dans la pluie.
Et c’est le fils de Thoams.        
Enfant au nom de nuit.
Pendant ce temps, je lis un roman qui raconte une expédition en vue de récupérer au plus profond de la Sibérie, dans la région de la Toungouska une gigantesque météorite tombée le 30 juin 1908.

Thoams, merci de ta lettre.
Tout se continue.

Les preuves abondent.
L’enfant chinois dormant dans un fauteuil en plastique tandis que sa mère, très jeune mère, enregistrait les achats que nous venions de faire. Un bel enfant de début du monde.
La chouette effraie, le grand duc, la chevêche, les faucons vus à la foire de la chasse étaient aussi bien vivants.
Et la pluie de cette nuit m’a enchantée qui a crépité comme un feu sur les tuiles de la petite maison où nous dormons.

L’insomnie elle-même est une preuve de cette continuité entre travail et temps arrêté parce que se sont bousculés dans ma nuit blanche Bosseigne le fictif et Bascoulard le réel et tout ça grâce à la lettre majuscule de leurs noms qui est aussi celle de mon plus jeune fils.
Le travail m’a repris. Ou plutôt Bascoulard m’a tiré par les pieds pour que je revienne vers lui, resté à Bourges. Même ici, tu peux parcourir les rues de la ville. Et Bourges commence par la bonne lettre, a-t-il ajouté à mon intention. Allons !
La lettre aux deux petits ventres est bonne fille et bienveillante.

L’absence de sommeil a permis que Bascoulard survienne et me presse de me remettre au travail.

Ne pas dormir la nuit m’arrive rarement et me met dans un drôle d’état : je me sens fautive et ai envie que personne ne s’aperçoive que je ne dors pas, comme enfant, je me cachai au fond de mon lit en simulant un profond sommeil, dès que ma mère s’approchait.

Nous grandissons si peu, Thoams !

À Mertola, il y a trois magasins tenus par des Chinois.
Magasins fouillis, tristes et abondants en couleurs vives et laides.
Le miracle de ce petit enfant chinois aux cheveux noirs bien coupés dormant tranquillement enroulé dans un tissu rose efface la laideur de ce qui l’entoure.
Je me demande comment vivent ces familles chinoises, ici, au sud de l’Alentejo.
À Montalegre, dans le Tras-os-Montes, même chose.
Vendant toute sorte de choses utiles et inutiles, fabriquées ici et ailleurs.
Au Nord, avec la neige et le froid.
Au Sud, avec l’extrême chaleur de l’été alentejan.


Plus loin dans la journée, en compagnie de Gabrielle, nous avons rencontré l’horreur industrielle, la pollution durable et le travail des mineurs de Sao Domingos. Un dimanche comme les autres, avec chasseurs, visiteurs des installations abandonnées, la mine à ciel ouvert dont les eaux empoisonnées réfléchissent le ciel. Beauté de la catastrophe. Tout s’est arrêté en 1965 même si la catastrophe continue sans les mineurs qui ont payé cher pour l’extraction de la pyrite, du cuivre et du soufre. La personne qui nous sert de guide nous explique que ce sont des ingénieurs et une compagnie anglaise qui ont exploité les gisements connus depuis l’Antiquité.Cette femme est impressionnante de savoir et de gentillesse. Elle répète souvent en français à notre intention: comprenez-moi.



Chaque mineur et sa famille avait droit à une maison qui ne possédait qu’une porte et pas de fenêtre. Les ingénieurs avaient de belles et vastes maisons avec de grands jardins. La séparation était nette. On ne se mélangeait pas. Le terrain de foot porte le nom d’un anglais, Cross Brown, qui le fit construire en 1952. Il y avait aussi un ciné-théâtre, aujourd’hui salle d’exposition et de projection. La compagnie avait prévu les loisirs culturels et sportifs pour que les mineurs ne sombrent pas dans le désœuvrement qui conduit à la révolte. Malgré cela il y a eu de nombreuses grèves très dures.

Je n’ai pas vu d’enfants à Sao Domingos.
Il y a eu jusqu’à 6000 mineurs ici.
Chaque famille comptait 7 à 8 enfants.
Un hôpital pour les hommes s’occupait des blessés et celui pour les femmes, des naissances.
Tout était bien organisé.
Maintenant le lieu hésite entre village de vacances et lieu de mémoire.
Nous rentrons à Mértola.

Mais l’enfant repu est endormi.
Comme une forme d’espoir tranquille.
Qu’il nous faut garder avec nous.
Petit chinois aux yeux clos.
Dors bien.
En compagnie de la lettre aux deux petits ventres.

Dans le ciné-théâtre devenu salle d’exposition, il y avait des photos du Brésil et des poèmes qui les accompagnaient. Clarice Lispector, Eugenio Drummond de Andrade et Cecilia Meireles. J’ai recopié un poème de cette dernière :

No mistero do sem-fim
équilibra-se um planeta.

E, no planeta, um jardim
e, no jardim, um carteiro,
no carteiro, uma violetta,
e sobre ela, o dia inteiro.

Je n’ose pas traduire la simplicité avec laquelle tout est dit.
L’enfant au nom de nuit, je lui offre la planète et la violette.
Il saura quoi en faire.
Et à son père, o dia inteiro, la journée entière.

Et les premiers de Geraldine rencontrée ce matin sont :
Everybody is happy to-day, no ?
La pluie fait sourire le paysage.


SD

1 commentaire:

  1. Beau texte, vraiment. Qui m'emporte chez mes chinois de Montalegre. Dans les mines de Borralha, près de Salto ! aussi !

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