dimanche 16 février 2014

oreiller de paresse/platane de Syrie


Au chauffeur de taxi qui me demandait comment je pouvais voyager sans bagage, j'ai répondu que je venais de la ville d'à côté et que j'y avais passé la journée.
Il a répondu qu'un voyageur sans bagage n'était pas un voyageur. 
Je n'avais rien à répondre.
Si ce n'est ces mots que je n'ai pas prononcés: oreiller de paresse, sur lequel devait s'endormir mon interlocuteur chaque fois qu'il croyait avoir déclaré une vérité incontestée.


Si j'avais évoqué la Suisse, aurait-il repris les paroles de Boris Vian:" Les Suisses vont à la gare mais ne partent pas." 
J'étais un voyageur, j'avais pris le train le matin et étais revenue le soir. L'allée de platanes me parlait de voyages en Syrie. Il suffisait de marcher sur l'avenue et le voyage venait vers nous.

Mon premier suisse a été Cendrars. Transsibérien. Et beaucoup d'autres suisses voyageurs ont suivi, Ella Maillart, Anne-Marie Schwarzenbach.
J'étais un voyageur, j'avais pris le train le matin et étais revenue le soir. 
Au soir, de retour à la maison, j'ai ouvert mon Nicolas Bouvier que rien ne peut me faire oublier. Pas même Bosseigne.


C'est à Nicolas Bouvier que nous devons cet oreiller de paresse où ne pas sombrer trop vite.

Mon parent n'était pas rentré. Me laissant la maison comme un espace à réfléchir.
J'avais fini par dénicher dans les photos que prenait de lui Bascoulard à l'aide d'un retardateur ou qu'il faisait prendre à d'autres, un morceau de miroir qu'il tenait négligemment dans la main droite, parfois, plus rarement dans la main gauche, le tenant presque dissimulé dans les plis de son vêtement, regardant droit devant lui.
Lors de ma visite chez mon amie de la ville d'à côté, j'avais beaucoup parlé de Bascoulard.
Et je n'en savais pas plus, revenant dans la ville où je demeure avec mon parent, ni sur lui, ni sur mon engouement pour l'artiste.
Car pour moi, cet homme au miroir restait au centre de mes préoccupations, si l'on peut dire. Un grand livre à lui consacré sur les genoux, j'ai regardé (scruté serait plus exact) ses dessins et ses textes pour y trouver une réponse que je savais ne pas pouvoir trouver.
Il était mon voyage, ai-je pensé. Comme les récits que je lisais sur la Laponie, les Tchoukches, Bascoulard me proposait un voyage immobile. N'avait-on pas évoqué l'errance minuscule de Bascoulard dans la ville qu'il avait quadrillée de ses dessins?
"Le Suisse est errant", écrit Bouvier.
Et il ajoute que le voyage permet l'oubli de soi. Ou une manière d'en finir avec soi-même dans une solitude irréductible. "Le voyage où, petit à petit, tout nous quitte..."
Bascoulard n'était pas suisse.
Mais à sa manière voyageait, d'une langue à l'autre, d'une rue de Bourges à l'autre, d'une cabane à une cabine, d'une vie à une autre.
C'est certainement ce qui me conduit vers Bascoulard, dans la bascule de son nom et de son existence.

Ce miroir tenu, ces robes dessinées et endossées, ces dessins précis dans le trait au point de croire que ce sont des gravures, sont-ils un chemin au milieu des décombres de la mémoire?

La porte a grincé, une voix connue, et aimée, a crié.
Tu es là?
"Un miroir promené le long d'une grande route".
Qu'est-ce que tu dis, a crié encore Bosseigne en entrant dans le salon. Ah, tu es là.

Mon parent avait les bras chargés de nourriture.
Je me suis arrêté à l'épicerie orientale, on va se régaler, a-t-il conclu.
Eh bien, c'est une bonne idée. J'allais faire du feu. On mangera ici.
Tu lisais encore ton Nicolas Bouvier, tu vas le connaître par coeur!
C'est un compagnon, surtout quand tu n'es pas là.

Nous avons ri. Mon parent a déballé ses délicieuses nourritures. A débouché un vin de Turquie et la soirée a commencé.
Ai rangé Bascoulard et Bouvier, remarquant au passage que leurs noms commençaient par la même lettre. Mais le classement de notre bibliothèque n'obéissait pas à ce genre de règles. A aucune d'ailleurs.
Même si mon Bosseigne de temps en temps évoquait la possibilité de classer nos livres.
Puis, à quoi bon, puisque nous seuls nous les lisons.
Un regret, mon Bosseigne, dans tes mots.
Mais aussi une certitude.

Nous avons commencé à déguster nos merveilles orientales.

"Le but ultime(...) devenir plus léger que cendres."
Où Bouvier rejoint Walser sur le chemin de poussière.
Me suis-je encore dit devant le feu joyeux.
Encore de la route devant nous.
Alors j'ai levé mon verre à la belle couleur dorée.
Et j'ai bu, longuement.
En compagnie de Bosseigne,
une fois encore.


vendredi 14 février 2014

Pour répondre à une question sur Bascoulard

Bascoulard n'avait aucune famille. Sa mère avait tué son père. Il ne se maria jamais. Eut des chats. Travailla sans relâche. Pour dévorer le temps, l'absence, n'aimant rien tant que l'hiver, jambes nues dans ses bottes. Il apprit le russe et le suédois, cartographie et couture. Il se fit fabriquer un étrange tricycle dont il avait dessiné les plans. Sa vie ne ressembla à aucune autre. Il mourut assassiné. Et je ne sais pas pourquoi je m'attache à ses pas

Voilà ce que j'ai répondu à Bosseigne hier soir qui me demandait pour la énième fois pourquoi. Puis je me suis enfermée dans ma chambre. Nuit, pleine lune.

Il y a des choses, on ne se les explique pas. On les fait. Comme acheter cette photo.  Une image de plus, de moins? En tout cas qui n'éclaire rien, n'apporte aucune réponse. Mais qui se tient debout, appuyé au mur, sur mon bureau.

Bosseigne s'agace de mes manies.
Mais il en a, lui aussi. Plus invisibles que les miennes. 
Je suis de mauvaise humeur. A mon tour.
Je ne voudrais plus des nuits, mais seulement des journées, longues, sans fin, de ces journées nordiques où le jour et la nuit se confondent.


Dessins SD

Je n'ai pas fait de café, ni mis de pain à griller.
Ce matin je vis comme Bascoulard, dans le rien absolu.
Ou presque.
Mon parent et moi possédons ensemble cette maison, héritée de notre famille en fuite pour que nous cessions de traverser trop vite le monde.
Bascoulard vivait dans une cabine, cabane de guingois.
Cabine de camion, cabane de jardin à l'abandon.
Bosseigne et moi partageons une famille et une maison. 
Mais nous avons de nombreux différends.
Et ce matin je n'ai pas envie de partager un début de journée dans la bonne odeur du café et du pain.
A vrai dire, le dénuement de Bascoulard m'atteint comme une maladie, de plein fouet.
Si Bosseigne m'entend penser, il va me questionner sur l'emploi de cette expression.
Je ne le supporterais pas. Tant de questions. 
La vie de cet homme errant et en même temps immobile rend la nôtre désespérément pathétique.
Notre belle existence bien réglée.
Où seul manque un fauteuil.

On se rattrape comme on peut, dit Bosseigne en entrant dans la cuisine.
Je vais faire le café, ajoute-t-il. Tu as mal dormi.

Ce n'est pas une question. Mon parent voit clair dans mon jeu. Je suis un peu ridicule, je le sais.
Mais Bosseigne ne prononce pas de paroles blessantes, ne me plaint pas, sachant à l'évidence que ce n'est pas ce que j'attends de lui.

Tu veux du pain grillé, je vais en faire pour nous deux. 

L'odeur chasse ma peine. Mais quelle peine, quel chagrin?
Ne suis-je pas en compagnie?
Un parent, presqu'un frère, un ami.
Il fait bon et nous avons à manger.
L'hiver n'entre pas ici. 
J'ai des chaussettes aux pieds et tout va mieux aller dès que Bosseigne aura servi, dans les jolies tasses bleues rapportées du Portugal, le café que j'ai ramené du torréfacteur.

Pourtant ce Bascoulard.
Bois ton café tant qu'il est chaud et assieds-toi.
On ne doit pas boire son café debout, souviens-toi.

Bosseigne a une fois de plus le dernier mot.
Ma mère, toujours, disait cette phrase:
on doit boire son café assis et le déguster.

Ils ont gagné, je me suis assise et la journée a pu commencer.




jeudi 13 février 2014

Le fauteuil de Bascoulard

N'avait pas de fauteuil, me dit Bosseigne ce matin, descendant de sa chambre.
N'avait rien. Pas de maison. Rien.

Comme je ne sais pas quoi répondre, je poursuis le travail du café et du pain grillé.
L'odeur a le mérite de chasser la mélancolie dont semble empreint mon parent. J'ai choisi avec beaucoup de soin le café et ai sorti pour l'occasion le beau service de ma mère, aux étranges dessins rouges et bleus.

Bosseigne se laisse lourdement tomber sur sa chaise. Face à la fenêtre, face au jour, face à la tempête. J'attends de voir de quel bois il va nous chanter sa chanson. Je le sens prêt à tout. Sans doute est-ce à cause de la photo qui traîne sur le buffet.

Photo Morlet. A la gauche de Bascoulard, une de ses peintures.

J'ai envie, reprend Bosseigne, de partir vers la mer. De marcher pieds nus sur le sable. La mer manque, soupire-t-il.
Je suis assez d'accord, l'odeur, le contact de l'eau, oui, ça me manque aussi.
Et puis il y a cette photo, claque Bosseigne.

(Claque, oui, c'est le verbe parce qu'en prononçant cette courte phrase, frappe du plat de la main la table, devant lui.)

Je n'ai pas pu m'empêcher de l'acheter.
Tu l'as acheté?
Je ne vois pas comment.
Oui. Mais elle est si étrange, cette image de Bascoulard.
Son regard d'abord.
Pas seulement, son corps surtout, enveloppé dans ces habits noirs et brillants.
Du skaï, à défaut de cuir, je suppose. Trop cher et difficile à travailler.
Travailler?
Il dessinait ses vêtements féminins et les faisait exécuter, dit-on, par des religieuses. Le skaï se découpe et se coud facilement.
Ses mains de dessinateur sur le dossier du fauteuil Louis XV  semblent puissantes.
On aperçoit ses bottes dont on dit qu'il aimait les mettre à l'envers. En accord avec le monde qu'il s'était choisi. Il signait ainsi, à l'envers.
La soie du fauteuil rejoint les arabesques du tapis, étrangement.
Et lui, posé là, de sa propre volonté. Il porte un pansement à l'index de la main gauche.
Homme blessé, ce Bascoulard et son fauteuil.
N'est pas le sien.
Ni le mien, ajoute Bosseigne, en prenant sa tasse entre pouce et index.

Le silence rejoint l'odeur de pain grillé.
Et le craquement dans nos bouches qui croquent les tartines.

Il y avait plusieurs photos dans le magasin, j'ai choisi.
Celle-là, oui. Pourquoi?
La moins chère!

Nous rions. Je ne dis pas que celle que je rêverais de posséder le montre vêtu en femme, mais redoublé, faisant de lui une figure double, siamoise et jumelle. De plus la photo est en couleur et me rappelle une photo de moi enfant, où, bizarrement installée derrière la courbe d'un bassin, je n'ai plus qu'une jambe. Les couleurs sont plus proches de l'aquarelle que du kodachrome.

Il y en avait qui le montraient plus jeune, devant une espèce de cabane où il logeait dans le vieux quartier d'Avaricum. Brandissant je en sais quel lambeau de tissu. Mais j'ai choisi celle-là. Parce qu'elle est posée, mise en scène par l'artiste lui-même, travesti en un autre qu'il s'est choisi. Le contraste est saisissant entre l'allure masculine, fruste qui est la sienne, et la tenue qu'il a  choisie.

Il y a de la fatigue dans le visage, remarque Bosseigne.
On trouve des photos de lui jeune, où il est plein de vigueur et de drôlerie. Mais là.
On n'a pas la date?
Non, c'est une reproduction d'une photo ancienne et il y a juste l'indication du cliché numérisé.
Il est mort en quelle année?
1978.

Avaricum est un trou.
Trou de mémoire.
Et dans la vitrine du photographe, ces images de Bascoulard,
mauvaise conscience d'une ville?
Je ne dis pas ces mots. Ne sais pas s'ils sont justes.
Me contente de prendre en main la photo de l'artiste.
La pose sur la table comme si.

Tu l'invites à prendre un café et après tu lui demanderas de dessiner notre maison?

Bonne idée, mon Bosseigne.
On va lui demander.
Et puis, j'ai oublié de te dire.
Au musée j'ai vu.
Mais non, trop.
Seulement deux petits bois de renne.
Fossilisés.

Laponie centrale, pays de ceux qui n'en ont pas.
Bascoulard, ici.






lundi 10 février 2014

Bascoulard, cabane de guingois: journal d'un corps


Même si je ne m'adresse pas à mon cher Bosseigne, en lui rappelant notre lien de parenté et d'affection, ce matin, j'ai envie de lui parler de tous ces corps errants dans nos mémoires, ceux de nos proches, le corps de ma mère qui lui a légué son fauteuil, celui de mon père exposé nu en salle de réanimation, ses parents en feu dans l'accident, mais de ceux-là je ne peux parler. Il y a les autres corps, si nombreux, si vifs, parfois si nus, si terriblement abandonnés.

A cause sans doute de mes lectures sur les Lapons et les Tchouktches. Leur manière d'envisager la mort et les corps des morts. Fait que.


Ce corps de Bascoulard.
Qui est-ce, maugrée mon parent.
Le café est à ton goût?
Meilleur que celui d'hier, même si c'était un café du dimanche.
Eh bien, avant que nous commencions ce jour de travail, j'avais envie de.
Oui? Pénible ta manière de rester en suspens comme si.
Je sais, mais je ne sais pas commencer une histoire. Il me faut la prendre au milieu.
Milieu du corps, milieu du monde. Centre?
Bascoulard vivait au centre. de son histoire d'abord, entre père et mère, violence et colère. De la France.
Son nom?
En trois tronçons: bas, cou et lard. Il avait voulu en changer. Pour celui de la mère. Mais non.
Bas corporel, comme disait Bahktine?
En tout cas, une histoire de la chair: la mère tue le père, le fils est assassiné, les corps saignent.
Bascoulard?
Oui, basculé. Le ton de la tragédie et en même temps une certaine bouffonnerie dans le travestissement du nom d'abord, du corps ensuite.
Il se travestissait?
Oui, en peintre, en femme. Il dessinait la ville, beaucoup, et très bien, vêtu d'un sarrau qui lui arrivait aux mollets. Il se faisait photographier ainsi. Il aimait sa mère. Voulait lui rendre justice à sa manière. Signait de leurs deux noms, à l'envers. Pendant la guerre, mettait un tréma sur le U de Mulet.
Ce qui te retient là.
Ce parcours, entre ville et campagne, entre père et mère, entre rien et tout.
Rien?
Oui, disparu. Errant. Sans patrie. Et tout.
Tout du dessin?
Tout d'une pièce. Construite. Il a fait faire à son usage une carriole et une sorte de vélo pour transporter son matériel. Vivait dans une cabane de guingois.
Son corps. Et son refus.
Du monde normal, du travail tarifé, de l'habiter aussi une maison, une généalogie.
Tu as vu ses dessins?
Oui, ils sont parfaits et en même temps, à travers un dessin académique ou presque, apparaissent des traits qui imperceptiblement font vibrer le paysage bien connu des habitants de Bourges. Bascoulard refusait l'ombre et aimait l'hiver.

Nous nous taisons.
Je ne dis pas que je vais peut-être rencontrer une personne qui l'a connu et possède un dessin de lui.
Je ne dis pas non plus qu'une de ses descendantes serait en chasse de tout ce qui se rapporte à l'artiste que fut son parent.
Je ne dis pas qu'un Cahier Dessiné (le numéro 2, 2002) montre des dessins de Bascoulard.
J'ignore pourquoi je ne dis pas ces choses à Bosseigne.
Je n'ai pas trouvé toute seule le nom de Bascoulard.
C'est un ami qui me l'a donné.
C'est ainsi que nous vivons.
De dons et de contre-dons.
Je retourne chez les Lapons.

tu es le maître de la toundra
et non d'une cabane de guingois.

Askold Bajanov, poète lapon cité par Marius Wilk dans son livre, Dans les pas du renne.


dimanche 9 février 2014

Beauté des bottés?


Mon cher Bosseigne, ai-je eu envie de commencer, mais on n'écrit pas une lettre à la personne avec qui on vit.
Et on ne s'adresse pas à elle, après une nuit passée dans la même maison, celle héritée de nos parents, de cette manière en se mettant à table pour prendre le petit déjeuner.
Mon cher Bosseigne.
Ce serait ridicule.
Et mon parent se demanderait ce qui m'arrive.
Soleil ce matin, après tempête nocturne.
Tempestade.

Le café est trop léger pour entreprendre une telle aventure, ai-je pensé en reposant la tasse bleue achetée à Lisbonne.
Quelle origine, a marmonné Bosseigne, visiblement contrarié par la qualité du breuvage.
Un mélange, ai-je avoué, trop doux. N'ai pas eu le temps (l'envie!) de passer chez le torréfacteur acheter notre café du Mexique.
Mis trop d'eau, non? Va pas nous mettre en train...
C'est dimanche, ai-je soupiré, en guise d'excuse. Mais j'ai du grain à moudre, si tu veux.
Tu en as acheté?

J'ai ri; non, non, c'est une manière de parler. Comme chez les Tchouktches du Détroit de Béring.
Nous voilà loin du Mexique, s'est exclamé mon parent, sur un ton d'agacement prononcé.
Eh bien, parlons-en, ai-je dit, enthousiaste.
On ne peut rien refuser à une femme qui vous fait un café, même mauvais, pour commencer la journée.
Femme, justement. Les Tchouktches ne se nomment pas ainsi, mais vrais hommes, soit Lygorevetlat. Et ils distinguent une prononciation pour les hommes et une spécifique au parler féminin. C'est très étonnant et en même temps, il ne s'agit pas de l'accord dû au genre, mais d'autre chose encore. Aujourd'hui, et sans doute sous l'influence des russes, leur mode de vie et leur langue, le "parler féminin" est en partie abandonné.
Effectivement, c'est curieux.
Oui et ça rejoint certaines des questions que je me pose depuis longtemps sur la voix. Puisqu'ici il s'agit bien de prononcer les mots à la façon des femmes.
Y a-t-il une façon féminine de parler français?
C'est ce qu'on pourrait se demander. Mais non.
Non?
Nous n'avons pas une prononciation pour dire tel ou tel mot comme morse par exemple. Les Tchoukches hommes disent ryrke et les femmes tsytse. Elles remplacent le phonème r par s ou ts.
Du coup le morse n'a pas le même goût!
C'est sans doute une des raisons qui expliquent que les Tchoukches ne le mangent pas.
Nous avons ri. Enfin. La langue délivre de bien curieuses leçons, ai-je pensé. Et nous revenons toujours vers la table, là où à la fois nous écrivons et mangeons.

Quant aux Lapons, ai-je repris, leur nom est Saames et signifie aussi les vrais hommes, de l'ouest à l'est, de la Norvège à la mer de Barents.
Oui? a questionné mon parent surpris.
La toundra est une table où le renne se déguste et parfois rend addict celui qui le consomme. La langue saami existe-t-elle, ai-je murmuré. Et la fascination pour la mort de l'animal.
Quignard, a demandé mon parent.

Le téléphone a sonné.
C'est une amie, ils sont partis empoissonner leur étang, ai-je annoncé.
Bosseigne me regarde surpris.
Ai-je mal prononcé? Est-ce qu'une prononciation féminine m'aurait fait dire empoisonner?
Nous rions. Encore.
Mon amie m'a dit que les bottés les avaient arrêtés sur le chemin du retour.
Comprends rien, a marmonné Bosseigne.
Moi non plus. Alors j'ai posé la question, quoi, la beauté du paysage vous a arrêtés ? A son tour de rire. Mais non, les bottes des policiers! Les "bottés", tu vois?

La langue, plus d'un tour dans son sac.
Poisson dans la bouche de l'étang.
Coup de vent, la nappe du dimanche envolée.
Nuage posé sur l'herbe.
La journée a commencé.