mardi 30 avril 2013

La suite de Bosseigne et son fauteuil!

Comme on me demande la suite des aventures du fauteuil de Bosseigne, eh bien, il ne reste qu'à poursuivre!

Donc, nous en étions aux hypothèses et différentes tentatives que fit Bosseigne pour donner un sens à ce qui, à ses yeux, n'en avait guère.  Car, en effet, rien de plus banal que faire recouvrir un fauteuil et ensuite, après avoir acquitté le prix du travail de restauration, de le récupérer!

Bosseigne et le fantôme

Un détail important, c'est que Bosseigne habitait assez loin de la personne qui recouvrait son fauteuil. Mais comme je la lui avais chaudement recommandée, il n'avait pas hésité à faire les kilomètres le séparant de la tapissière. Bosseigne est une personne confiante. Et là, il pouvait se fier à la fois à quelqu'un de sa famille et ensuite à une amie proche de ce dernier. On ne confie pas un fauteuil comme celui dont avait hérité Bosseigne à n'importe qui. Il y avait de quoi être rassuré. Ai-je dit que Bosseigne avait longuement mûri sa décision de changer le tissu qui recouvrait son fauteuil? Ma mère n'allait-elle pas regretter de le lui avoir légué, m'avait-il demandé. Je l'avais rassuré sur ce point comme sur d'autres, par exemple, emmener ce fauteuil si loin de la maison familiale, était-ce vraiment une bonne chose? A toutes les interrogations de Bosseigne, j'avais opposé ma certitude que nous faisions le bon choix, le seul possible, tant la couleur verte qui le recouvrait nous déplaisait à l'un comme à l'autre.

Donc emmener ce fauteuil à la montagne était une solution rationnelle. Bosseigne récupérerait son fauteuil d'ici quelque temps, un fauteuil à la fois nouveau, à cause du tissu choisi et qui révélait une certaine audace esthétique de sa part, et ancien, celui qu'il avait vu chez nos grands-parents et ma mère ensuite. Un fauteuil de mémoire, pourrait-on dire, et de mémoire ancienne et familiale.

Or, dès la fin de l'été, Bosseigne se demanda ce qui se passait. Aucun coup de fil de la tapissière, alors qu'elle avait promis à Bosseigne de le tenir au courant. L'hiver passa sans apporter la moindre nouvelle du fauteuil, ni de la tapissière. Interrogée, je ne sus que dire à Bosseigne. Une carte pour le jour de l'an n'eut aucun effet. Rien.

La neige recouvrait le plateau, rendant les communications difficiles, me renseigna une autre amie qui habitait non loin de l'atelier de tapisserie.

Au printemps suivant, je décidai d'appeler moi-même la tapissière chez qui Bosseigne avait conduit son fauteuil. Nous avons devisé de tout et de rien et j'ai fini par aborder le sujet. Oui, elle y pensait, mais avait eu beaucoup de travail et pris du retard. Tu sais ce que c'est, me confia-t-elle. Je ne sus que répondre, n'ayant jamais de ma vie eu de fauteuil à recouvrir. Dès que possible, dis à ton parent, je m'occuperai de son fauteuil.

Bosseigne fut un peu rasséréné par la conversation dont je lui fis part. Et, ajoutai-je, comme je monte en juin en Cévennes, j'en saurai davantage, et qui sait, te ramènerai peut-être ton héritage rénové. Je ne sais pas s'il fut convaincu mais il arbora le grand sourire dont il est coutumier quand il est serein.

Mais, en juin, je n'eus aucune nouvelle du fauteuil par mon amie, comme si le sujet était dérisoire ou oiseux, en tout cas, le sujet ne fut pas abordé et elle ne m'invita pas dans son atelier. Patience, me dis-je, patience. Juin est la saison des mariages et je savais que mon amie avait du travail à cette période. J'avoue que je fus un peu lâche, me disant que de toute façon ce n'était qu'une question de temps, à présent.

Quatre ans plus tard, le fauteuil de Bosseigne n'était toujours pas revenu.


lundi 29 avril 2013

Bosseigne et le fauteuil disparu

En revenant de mes pays perdus, je songe à la promesse faite à une amie chère de raconter l'histoire de Bosseigne et de son fauteuil disparu.


Mais ce n'est pas chose facile de raconter une telle aventure.

D'abord parce qu'on ne peut s'empêcher de se demander qui pourrait avoir envie de lire une histoire de fauteuil.

Et puis ce nom de Bosseigne peut-il donner le désir d'en savoir plus sur l'objet lui-même, à part aux lecteurs originaires du Puy en Velay et de sa région?

Et puis, dans la liste des arguments pour ne pas raconter l'histoire du fauteuil de Bosseigne, il y a que le dit fauteuil a appartenu à ma mère, à mon grand-père et avant lui à son propre père. Tous membres de la même famille à laquelle appartenait aussi Bosseigne.

A qui le fauteuil revint en héritage. Ce qui en fait une affaire familiale. De là à l'exposer en public, on comprendra ma réticence. Et celle de Bosseigne, toujours enclin à la discrétion et à la modestie.

On pourrait objecter que, pour qu'un fauteuil disparaisse, il faut qu'il ait une existence concrète avérée.
Existe-t-il au moins une photo qui en prouve l'existence?
Sans doute, mais je ne sais où la trouver, n'en ayant jamais prise moi-même et encore moins le malheureux Bosseigne qui ne pouvait soupçonner que ce fauteuil tant aimé en viendrait à disparaître.
Non qu'il ait été volé, entendons-nous bien sur ce point.

Il est vrai que c'est une étrange histoire.
Et que le nom de Bosseigne tombe à pic pour nommer le dernier propriétaire du fauteuil.
Bosseigne, il est vrai, possède peu. Et même ce fauteuil, il aurait été prêt à l'oublier si les circonstances ne poussaient à en savoir plus car, après tout, il lui appartenait et c'était une chose sur laquelle il n'y avait pas à revenir.

Tout de même, depuis quatre ans au moins, le fauteuil avait déserté la maison de Bosseigne. Entre temps, ma mère, l'ex-propriétaire du fauteuil était morte. Elle l'avait légué à Bosseigne de son vivant pour qu'il en profite. Oui, ce sont ses propres paroles. Qu'il en profite, lui, ce lecteur passionné!

oeuvres de Heini Delafont

Mais le fauteuil était recouvert d'un vilain velours. Vert.
Ce qui poussa Bosseigne à chercher un artisan pour le recouvrir.
Et c'est là que l'aventure du fauteuil commence.
Car si Bosseigne trouva facilement une personne capable d'exécuter le travail avec goût et compétence, une de mes amies au demeurant, ce fut le début de la disparition du fauteuil et d'une suite rocambolesque de non événements qui rendirent Bosseigne fort triste et incapable de retrouver le siège dont il avait hérité de ma mère.

Le fauteuil, ai-je dit qu'il s'agissait d'un Voltaire?- fut apporté chez l'artisan et le tissu choisi en un rien de temps. Tout se présentait pour le mieux. Mon amie semblait enthousiaste, ce qui plut à Bosseigne qui aimait le vieux fauteuil par un de ces attachements bizarres qui se nouent parfois entre un humain et un objet. Le vieux Voltaire appartenait à un monde lui-même disparu et donnait à Bosseigne l'illusion d'en conserver une petite partie, comme une pièce d'échec dont tout le jeu aurait disparu.

A partir de ce moment-là, Bosseigne ne revit plus le fauteuil. Il téléphona, écrivit, fit part du décès de ma mère comme d'un argument donnant encore plus de valeur au fauteuil. Rien n'y fit. Soit il recevait des promesses, eut même droit à un rendez-vous où il se rendit et ne trouva personne.

Le temps passant, sa confusion augmentait car il ne savait pas ce qu'il devait entreprendre pour au moins récupérer le vieux fauteuil. Il argua de la mort de ma mère à plusieurs reprises, de son désir vif de revoir son vieil ami, le fauteuil. Puis se lassa.

Mais Bosseigne ne pouvait oublier ni le fauteuil, ni sa disparition.

C'est alors qu'il commença à élaborer une théorie des causes possibles de la disparition du Voltaire. Comme une sorte de consolation, pour tenter d'expliquer rationnellement ce qui ne l'était pas.
Comme disparaître dans un paysage de neige, à la tombée du jour.

Plateau ardéchois, avril 2013, photo SD


samedi 27 avril 2013

Mansikka/Mustikka: une langue pour le sans patrie?


De retour de loin, mais si loin, je reviens, avec dans la besace légère, quelques mots et images.



Des Cévennes d'abord, outre couleurs et amitié, je ramène un proverbe finlandais que le sans patrie se répète à mi voix, tentant d'en saisir la mystérieuse mélancolie:

oma maa mansikka
muu maa mustikka
Mon pays a goût de fraise
Autre pays goût de myrtille...

On en revient encore une fois au pays et donc à la langue.

On m'a donné dans la Haute-Loire un mot: bosseigne dont je me réserve merveilles à venir.
Annette la wallone m'a donné aussi craille dont elle ne sait comment l'écrire, mais m'explique le sens en me montrant un intervalle de lumière entre le cadre et la fenêtre.

Il y a aussi l'expression écarter le linge sur le fil que me donne Babeth.

Et la neige sur le plateau comme dans Un roi sans divertissement.



La veille, il y avait eu, près du Puy en Velay, à la Médiathèque de St Vincent, une exposition de collages récents, une lecture de Soutine, des rencontres et de l'amitié, en compagnie du poète Jacques Estager.



Sans oublier quelques brouettes, vides ou pleines, c'est selon. Ni le Mont Lozère.





mercredi 24 avril 2013

Poéture/peinsie: Demain au Puy en Velay avec le poète Jacques Estager

Aller au nord pour la poéture et la peinsie...
Se jouer des règles et arriver à l'heure en se disant que tout commence.

collage SD

Comme le printemps qui recommence chaque année à jouer sa partie, jouer la nôtre en se démasquant:
désormais ne plus cacher ce qui se fait là, entre images et textes, une poéture peinsie, une poésie pensive, une peinture poésique.
Et toujours y coller des mots comme ce LAST trouvé dans un vieil exemplaire du Chasseur français.
LAST, mais encore des corps comme dans le texte de Rémy Checchetto.
Y aller de sa pointe sur le plexi ou le cuivre pour en extraire des corps qui s'y seraient cachés.
Tout en sachant que...
Tout en se disant que...
Toutes choses égales par ailleurs.
Mais y aller parce que.
A cause que.
Et voilà tout.
Hélène Sanguinetti dirait: Et voilà la chanson!
Ma petiote dirait que je suis au milieu de ma vie.
Et voilà tout, encore une fois.
Jacques Estager a inventé les Sommeilles et les Sommeils et je n'en reviens pas, de ces personnages qui peuplent les livres des poètes.
Ce matin, envie simple.
Nommer quelques poètes, juste pour les saluer, parce que, comme tous les matins, L'Enceinte de Michaël Glück se réveille, colline après colline et se déplie, tel un poème de Paul Eluard.
C'est une envie simple.
Une amie chère écrit:

ma mémé maternelle relevait les coins de son tablier noir -porté sur un sarrau noir avec des petites impressions blanches- et y mettait des oeufs encore chauds, elle -effectivement- les mettait dans sa dorne...Et elle traversait la cour de la ferme avec sa dornede plus en plus pesante, et elle la posait délicatement sur la table pour la vider. Elle mettait alors sa récolte dans le panier tressé par mon pépé!
Elle faisait cela en toute fin d'après midi c'était la "dressier" (sais pas l'écrire)...Enfin la dressier c'est l'après-midi sais pas si c'est plutôt la fin ou pas...Voilà, ma mémé vivait dans la campagne poitevine et j'ai encore plein de famille là-bas... je me souviens d'un autre mot aussi "dezard" ortho ? et je ne sais plus ce que cela veut dire, désormais peut être...

Je n'ai quasiment pas connu mes grands-mères. L'une est morte trop tôt et venait de Suisse. L'autre vendait à la criée sur le cours Julien à Marseille et avait un statut particulier de vente au détail et était partisane.
Marseille continue d'occuper mon terrain de langue.
Un pays portatif, imaginaire que je ferai commencer par les îles du Frioul si le projet avec Cécile Ordartchenko aboutit.
Y jongleront les mots et la mémoire et la mer.
En attendant, voyage!
encre SD

Pourquoi dorn, dol, dorne et djokhar entrent en nous comme dans un moulin!

D'un mot on passe à un autre, sans besoin ici de consulter le dictionnaire.
Juste des voix amies qui vont de la dorne au dorn, du Poitou de James Sacré à la Bretagne de Lou Raoul. Voix de poètes.
En passant par Dol (de Bretagne).

Et en rejetant loin de soi toute idée de douleur. Même si le nom de Djokhar reste visible sur les écrans. De la Tchétchénie à Boston, en passant par les mots de Jacottet. (Un fils dont la mère est absente?)
En restant sur le fil du voyage.
En saluant l'usage que faisaient les italiens du pourquoi à la place de parce que, les trahissant mieux encore que leur accent et causant à leurs enfants des rougeurs de honte. Denis Montebello en a parlé mieux que tout autre.
La langue nous fait défaut, elle nous fait "manquer" comme on dit à Marseille. Et nous défait aussi par cette sorte de défaite qu'on éprouve à se découvrir parlant une langue fautive.
En public, c'est une expérience cuisante: on en rougit.
Seul, la honte fait pâlir le sans patrie.
Pourquoi use-t-il de tournures si fautives et dont il sait qu'elles le feront à coup sûr remarquer pour ce qu'il est: un usurpateur linguistique.
Car la langue française exige une totale soumission.
Et pour ceux qui disent rue de chaussée en lieu et place de rez de chaussée, ou j'ai tombé mon livre au lieu de je l'ai fait tomber, ou pire, je lève ma veste pour j'enlève ma veste, que reste-t-il à parler?
Peuvent-ils reprendre leurs mères quand elles emploient certaines tournures?
Se taire est ce que leur conseillent les savants, telle cette psychanalyste me conseillant de corriger (?!) ma langue, comme sans doute on corrige ses enfants.
Lou Raoul me donne la main (dorn) et je lui ai donné la dorne que m'avait donnée James Sacré. Etranges sont les poètes qui échangent des mots comme d'autres des boutures. Y aurait-il un printemps des langues?
Et c'est exactement de ça qu'il s'agit: bouturer la langue, bourgeonner les mots, franchir la frontière.
Le sans-patrie le sait bien, lui qui est aux prises avec langue maternelle et paternelle, pays portatif et patrie portative, dont les souvenirs passent par la langue comme d'autres par le sang, et qui s'efforce de s'éloigner de tout centre pour aller flâner aux bordures.
Et pour lui, la langue a la couleur de la mer, remplie d'épines d'oursins et de méduses qui brûlent la peau. Poète du bord de mer, voilà ce que pourrait devenir le sans patrie. Si son corps de vingt ans se mettait à repousser sous l'écorce plus ancienne.
Me voilà revenue à la doulou de Daudet, à cause que je ne peux m'empêcher d'emprunter ces expressions qui me semblent dire autre chose que ce qu'elles signifient au premier abord.
Cette douleur de Daudet si terrible qu'elle a été est en quelque sorte adoucie par le provençal doulou.
Et la colère de ma mère m''appelant sartan au contraire était plus forte dite ainsi que si elle m'avait appelée démon. Ne disait-on pas de moi petite que l'été je devenais une négresse? La sartan, c'est la poêle noire où l'on frit le poisson ou les encornets. Noir démon, voilà ce que ma mère criait en m'appelant sartan!

En face de moi, le jardin et son calme apparent, parcouru d'abeilles et de papillons.
En peu de jours tout a changé beaucoup plus vite que les humains qui s'efforcent de tailler, arroser, replanter. Nous nous ressemblons encore, nos visages de l'hiver sont à peu près nos visages du printemps. Mais ni le platane, ni l'arbre de Judée sont semblables à ce qu'ils étaient il y a 15 jours.
Qu'est-ce qui change en moi de manière imperceptible? Mes genoux, mais c'est un long et lent déclin. Le printemps ne les a pas fait refleurir!
Pourtant, quelques petits changements sont à l'oeuvre en moi: déjà deux mots nouveaux ont fait naître de la curiosité et une envie de les utiliser. Deux mots qui se ressemblent et sans doute ont une origine commune, la dorne, n'est-elle pas un tablier en forme de main?

gravure SD, 1/2

Ce matin, joie de travailler dans l'atelier d'Ingo. Redécouverte du travail à plusieurs.
La gravure est une forme d'écriture. Et puis on peut imprimer plusieurs fois. Tout semble neuf.
Comme si je n'avais rien oublié de ce que j'avais appris.

gravure SD, 2/2


Un peu de vent parfume le jardin.
Souvenir du beau livre de Gerhard Meier, Habitante des jardins.
Mais aussi des oliviers en feu dans le film vu hier, Cinq caméras brisées.
Le petit jardin devant la maison est tranquille. La chatte y a déposé ses petits.
Le chaos fait rage, aussi bien dans le monde que dans la langue.
Et parfois il semble que la petite porte en fer, grinçante et rouillée, qui permet d'accéder au petit jardin, est la frontière du paradis.
Parfois.




lundi 22 avril 2013

"Car/ pour peu de choses/était désaccordée, comme par la neige/la cloche...


la toilette

Ce que je découvre en lisant le journal de Philippe Jacottet (Taches de soleil, ou d'ombre, Le Bruit du Temps), c'est combien tenir compte/le compte de ce qui arrive de petit comme de plus grand réenchante le présent de celui qui le re-découvre.
Et voilà que je me décide à observer une sorte de discipline que m'avait enseignée la résidence de Rennes (et surtout la chère Françoise Bauduin). En me demandant de tenir le blog de la résidence, elle savait que mon travail d'écriture en serait nourri, que ma quête d'images me donnerait envie de parcourir le quartier du canal st Martin et la ville, que ma recherche de la patrie exacte et portative se ferait ainsi au jour le jour puisque le journal, c'est d'abord se plier au temps, lui donner sa place et ici, sur un blog, c'est voir s'inscrire la date en haut à gauche, comme pour rassurer celui qui le tient que, oui, le temps existe.
Et lire a de quoi éveiller le désir.
Tous les matins, ouvrant les yeux sur le calme de la chambre, la question se pose: si je suis en vie, ai-je encore envie (de vivre, d'écrire, de marcher, de manger etc...)?
Et jusqu'à maintenant, la réponse est oui, après avoir fait doucement le tour de ce qui est sur les murs, la grande vague verte et marine de la toile d'Henri Darasse, le papillon de Kerstin Tillberg, le rideau blanc que le vent agite, les photos des enfants, tout invite à vivre encore.
Parfois pourtant, et surtout le soir, l'écoeurement guette. Trop de livres, trop de poètes, trop. Comme si la certitude venait de n'être pas en mesure. Ni de lire et d'aimer, ni surtout de retenir les mots, à part ici et là une image, la pomme verte sur la table de la mort de Zrika, la neige qui touche la cloche et la fausse, évoquée par Jacottet dans le poème d'Holderlin, quelques mots d'Edith Azam,dont ce titre dernier, Décembre m'a cigüe. Bizarrement certains tableaux restent présents, obstinément, l'Idiot de Soutine par exemple que l'on peut voir (que je peux voir, mais y vais-je si souvent? Non...) au musée Calvet d'Avignon. Peut-être, en ce cas plus précisément, l'image est si terriblement présente parce que je l'ai aussi reproduite, prise en photo et regardée tant de fois...
Lisant Jacottet, je vois aussi l'immense distance entre une écriture narcissique et ces réflexions passionnantes. Et une inquiétude vient aussi, à se demander alors pourquoi tenir un blog, journal abâtardi que permet la modernité, dont la lecture est partagée, à la différence des écrits de Jacottet qu'il vient de décider de rendre publics, après les avoir relus et revus.
Car il y a
là de quoi
s'interroger.
Ce qui m'a mise sur la voie, c'est le visage de Djokhar, sa jeunesse, sa chevelure, ses yeux. Il m'a semblé voir un fils. Avant tout, c'est un fils que j'ai vu à la une des quotidiens. Un fils et un frère. Mes enfants sont des fils et des frères.
Et l'écriture de Jacottet a fait le reste. A quoi bon écrire si ce n'est pour mettre en relation ce qui semble ne pas en avoir?
Et l'évocation du poème de  Malherbe a renforcé ma décision. Mais aussi celui de Machrab, attendant de voir la porte de la maison pour savoir si sa mère est encore vivante:
"Machrab, depuis ton départ, dix-huit ans ont passé, vois d'abord si ta mère est vivante..."
Il s'agit de ne pas désespérer de la porte. L'ouvrir ouvrira un jardin. Un paradis clos comme une maison maternelle ou ouvert comme le pré qui descend vers la rivière?


Les deux vers de Mallarmé que cite Jacottet à la fin de son livre me donnent envie de courir au jardin surprendre la huppe entrevue seulement sur l'île de Kerkennah, au mois de mai.

"L'oiseau qu'on n'ouït jamais
qu'une fois en la vie."

Une dorne pour un pays portatif


Une dorne
 
dessin SD
Pendant que le poète James Sacré lisait, tantôt se tenant de profil, tantôt face au public qui l’écoutait, un mot a été lâché dans la rue, AÉRODRÔME, caillou jeté au travers de la vitre de la librairie, qui s’est aussitôt superposé au poème lu et l’a emporté avec lui – au dehors, dans le ciel d’avril.

Plus tard, j’ai remarqué que le jeune poète Y.M., à côté de qui j’étais assise, portait des souliers noirs dont l’un des deux avait perdu sa boucle.

Encore plus tard, le poète J.S. m’a fait remarquer à son tour que les parisiens se moquaient de son emploi du mot souliers, lorsqu’il disait une paire de souliers. Nous avons évoqué ensuite nos mères et leur manière de parler, moi me rappelant l’usage que faisait la mienne de l’expression rez-de-chaussée qu’elle prononçait rue de chaussée, et lui, me donnant le mot DORNE comme exemple de ce parler à la fois local et maternel issu du patois poitevin que sa mère utilisait pour désigner le tablier tenu par les pointes, le transformant en une sorte de panier dans lequel elle transportait aussi bien les œufs que les grains ou encore les salades. Ce mot n’a pas d’équivalent en français. Je me suis ressouvenu du verbe s’embroncher pour l’emploi duquel je me faisais rappeler à l’ordre à l’école. Ce verbe non plus n’a pas d’équivalent en français.

Plus tard, le lendemain, nous avons parlé de poésie et de prose. Et aussi des titres de nos livres. Je lui ai fait part de mes doutes au sujet du titre du prochain recueil qui doit être publié, patrie portable, portative, patrie à emporter avec soi bien pliée dans la dorne ?

Puis le train a emporté le poète.

Et encore bien plus tard, j’ai mis un tablier pour ramener du petit bois pour le feu, car l’hiver était revenu dans la maison que le poète avait quittée.

Et le mot dorne est resté à affruiter à côté de la cheminée.

















Mères et fils



Et voilà que lisant Jacottet ce matin, je reviens vers cette image de la mère qui traverse nos vies. Mort des mères. Mort de la mère, celle des hommes, celle des femmes, fils et filles de mères devenues absentes telles couteau jeté lame d’acier froide sur le lit et que leurs enfants ne reconnaissent plus.
 
Collage SD, émigrant


A l’occasion d’un événement tragique, attentats aux Etats-Unis, c’est la figure de la mère pleurant son enfant qui me vient. Non plus des enfants autour du lit funèbre où est tombée leur mère. Mais elle, la Pietà.

Et lisant Jacottet, je la retrouve intacte chez Malherbe évoquant la mort de jeunes hommes tombés sur des champs de bataille et dont il fait des héros dont leurs mères peuvent s’enorgueillir.
Dans ces vers que Jacottet cite :
« Leurs pieds qui n’ont jamais les ordures pressées,
un superbe plancher des estoilles se font… »
je retrouve aussi le protagoniste du Plancher de Perrine Le Querrec, mais en quelque sorte renversé par la mère et tenu d’inscrire sur ce sol, le plancher du titre, le récit d’une vie de douleur. Un frère, une sœur, et la terrible figure maternelle, la Mater.

Et voilà le reste de la famille : deux frères. La tragédie est prête à fonctionner.  De loin s’entend la voix d’un père en colère.

Mais surtout, c’est le visage du très jeune homme, presque mort, qui me tient en alerte. Le visage encore enfantin d’un fils éloigné de sa mère par des milliers de kilomètres mais aussi par le nom qui lui est donné de terroriste désormais puisqu’il a participé aux côtes de son frère plus âgé à un attentat meurtrier, frère aîné tué par les forces de police. Il n’a pas droit aux éloges funèbres que les jeunes morts de Malherbe ont reçu pour leur courage et sa mère, lointaine, ne peut être appelée « trois fois, quatre fois bien-heureuse(s),
De ces jeunes amours, les mères amoureuses… ».
Pire, il mourra après avoir été interrogé sur les motivations de ses actes et à aucun moment ne viendra de consolation.
Pourquoi, dès que j’ai appris son âge et surtout qu’il avait agi avec un frère plus âgé, ai-je pensé qu’il avait été sacrifié ? Et que personne sans doute n’oserait de si loin parler de sa jeunesse puisqu’il y avait parmi les victimes, une au moins qui était encore un enfant ?

Et la mère là-bas, en ce moment, de ces fils qui sont partis depuis si longtemps, que garde-t-elle en son cœur si ce n’est, peut-être, regret de les avoir laissés partir ?
collage SD, enfant