jeudi 30 juillet 2015

Vite, ai-je dit au chien, vite. Partons. Plus au nord, en Suisse.

La veille, Bosseigne était allé se coucher de fort méchante humeur.

A minuit, je suis allée me promener sous le ciel chargé. Le chien espérait que ce serait davantage qu'une simple balade autour de la maison. Je n'ai pas eu le courage de lui expliquer que ce serait une manière rapide d'envisager la suite, c'est-à-dire la nuit à vivre allongée en attendant le sommeil. Il n'avait pas ce genre de problème. Préférant courir devant moi, en silence, mais toutefois assez bruyamment pour que je l'entende rire intérieurement. Ces derniers temps, nous ne nous étions pas souvent promenés, lui et moi, à cause de la chaleur écrasante.
Le chien n'avait aucun problème avec la chaleur.
Bosseigne, oui.
Moi aussi.
Et puis l'été ramenait cette histoire de fauteuil entre nous de manière pressante.
Nous n'en parlions pas.
Nous évitions même le mot.
Fauteuil.

Nos journées étaient remplies de l'absence d'un mot.
D'un meuble.
D'un siège.
A la vérité plus propice à la rêverie devant le feu en hiver qu'à présent.
Mais tout de même l'absence.
Du fauteuil.
De la fraîcheur aussi.
De ce qui donne prix à la rêverie.
Un temps plus frais, le vent d'automne, les nuages.

Dessins SD


Mais ciel bleu inexorable, me disais-je, en trottant derrière l'animal. Et toujours pas de nouvelle de ce foutu fauteuil.

Au retour, trop vite venu pour le chien, j'ai eu tout de même un peu de plaisir à me glisser entre les draps de toile. Un peu, c'est toujours ça, ai-je encore pensé, tandis que le chien, lui, se glissait sous le lit, à son habitude.

Le lendemain matin, surprise. Le ciel avait toutes les tonalités de gris dont on rêve lorsque l'été est brûlant. Allait-il enfin pleuvoir? La poule blanche qu'on nous avait offert picorait joyeusement dans l'herbe encore verte du jardin. Le chien me regardait perplexe. Qu'allait nous réserver une telle journée, si grise en son commencement?

Belle surprise, me suis-je dit. Qui allait me laisser (nous?) un peu de répit et rendre mes mains moins engourdies. Le mauvais temps me (nous?) ferait une cabane où respirer serait plus aisé. Et surtout, ai-je pensé, je vais pouvoir m'habiller en chemise et pantalon, enfin! Nouvelle occasion de sourire. L'été avait un peu asséché ma bouche. Et j'aime bien sourire quand je suis seule. Comme ça. En repensant à ce que m'avait dit un enfant à propos de son dessin. Un bonhomme sans bras. Juste une petite tête sur une boule. Et deux traits sur le côté. Tu ne vois pas ses bras, c'est normal. Ils sont croisés dans son dos. Mais sa maîtresse n'avait pas compris, m'a-t-il expliqué encore. C'est pour ça qu'elle a écrit que j'étais mauvais en graphisme. Nous avions ri.

Et là, en y repensant, j'ai souri. le chien a dû entendre parce qu'il a levé la tête vers moi. Oui?
Tout va sa route, le chien, ai-je murmuré. Bosseigne dort encore. Chut.

Alors ce matin, chemise et pantalon et tout de suite Patti Smith.
Hein, a encore demandé le chien.
Plus jeune aussi, ai-je ajouté à son intention.
Mais le chien n'a pas bronché. Il ne connaissait pas l'artiste new-yorkaise et surtout ne voyait aucun lien entre elle et une chemise et un pantalon, ou entre elle et moi, plus simplement. Ou comment des vêtements pouvaient rajeunir quelqu'un qui n'était plus jeune.

J'ai filé dans la salle de bain récupérer ma vieille chemise en lin et rétablir un semblant d'ordre dans ma tignasse. Une fois de plus, j'ai constaté qu'elle (la chemise) tombait en lambeaux mais que sa texture et sa couleur étaient ce dont j'avais besoin aujourd'hui, plus que toute autre, pour entreprendre le jour avec vivacité. Bosseigne l'avait achetée pour lui, il y a longtemps, je ne sais plus où, lors d'un de ses déplacements (en Chine? au Japon ou en Italie?) et rapidement l'avait délaissée. Je lui avais alors proposé de la lui racheter sachant qu'il me la céderait volontiers. Et depuis des années, cette chemise (dont j'avais refait le col qui s'effilochait) m'appartenait. Je la portais désormais le plus souvent à la maison, pour travailler à l'atelier ou au jardin.

Avec mon vieux pantalon bleu tout déformé, lui aussi en lin, j'étais ce matin femme nouvelle.
Chemise et pantalon devenaient cabane où vivre un été plus frais, plus gris, plus doux.
Un été où écrire par exemple serait aisé, mais aussi dessiner, coller, respirer.

Le chien a cru un moment que cette tenue signifiait aussi aller dans la colline, courir, renifler, bondir.
Mais a vite compris que sa maîtresse n'avait rien de tout ça en perspective.
Un vieux vêtement, rien de tel pour se sentir rajeunir, ai-je encore pensé, songeant à Diderot et à sa vieille robe de chambre. Dans cette chemise de lin, mon ventre (qui n'avait rien à envier aujourd'hui à celui de Pouchkine, dont parle si bien Marina Tsvetaïeva) s'épanouissait tendrement contre le tissu frais.
Dehors le vert de l'herbe brillait contre le gris du ciel.

Enfin.
Diderot, Pouchkine, Tsvetaïeva.
Revivre en chemise de lin et pantalon.
Mais oui.
Sans fauteuil.
Et Bosseigne encore endormi.
Vite, ai-je dit au chien, vite.
Partons. Plus au nord, en Suisse.
Et là, il a souri.
A son tour.