dimanche 24 novembre 2019

Sanglier, mot du jour


Sanglier, mot du jour.
Avec lui, tout s’interrompt.
Le réel absolu s’écarte. Toi, non, panier à la main, tu écoutes.
Ton entrée dans le monde se fait à l’aide d’un panier.
Déjà tu avais découvert l’importance de cet objet chez un poète aimé.
Le poème comme panier. Dans lequel tout se transporte, les nourritures et les mots
Paniers d’Amérique et d’ailleurs. Filet à provisions.
Tu es entrée dans le magasin rouge.
Tu as hésité en regardant la viande.
Le rouge pourtant t’es-tu souvenu.
Mais la faiblesse du matin a rendu ton choix difficile.
Tes jambes flageolent un peu, ta vue est brouillée.
Tu as préféré les boudins blancs aux escalopes et autres biftèques.
Concession aux modes du temps, à la pluie, à la neige ?
Le monde est une boucherie et la bouchère est jeune et jolie.
Joues lisses et les yeux bordés de noir.
Jambon blanc, dis-tu, quatre tranches fines.
C’est là qu’entre en scène le sanglier invisible des chasseurs.
L’homme qui en parle est grand et beau. Il l’a vu, lui, le sanglier.
Plus d’un mètre, dit-il, on y va cette après-midi.
Il propose à demi-mots, la bête au boucher.
La bouchère se tait. Moi aussi.
Le chasseur répète plus fort sa phrase : l’animal est géant.
Le boucher semble ne pas vouloir de la bête.
Pour lui comme pour nous, le sanglier reste invisible.
On y va cette après-midi, tu n’auras qu’à m’appeler,
Si ça t’intéresse, reprend le chasseur qui sort, muni d’un grand récipient blanc, en plastique.
Rien à voir avec un panier.
Deux cuissots y tiendront à l’aise, et Noël approche.
Tes yeux te gênent, à trop voir ce qui existe là.
Alors tu les fermes, hop.
 
dessins sd

mardi 19 novembre 2019

Jounal, fin, 15, départ


15, départ




Nuit blanche d’éclairs.
Pluie énorme.
Départ.
Embarquement sur la mer grise.

24 octobre


dimanche 17 novembre 2019

Journal de Corse, 14, oiseau


14, oiseau
(oeil de Lucie?)




La liste est presque complète. Une liste pour Bernard Bretonnière ? Peut-être la lui enverrai-je.
Pour l’instant j’ai recopié tous les mots, 14 au total. Il en manque un. Celui du jour.
Mais je le tiens par les ailes.
Venu ce matin, entré dans la pièce où je me tenais en silence pour mieux l’observer, ressortant et filant vite loin de moi ensuite.
Que faire d’une liste, que faire de 14 mots auxquels s’ajoutera demain un quinzième ?
Œuf du jour, dit-on, pour qualifier un œuf frais pondu et qui est destiné à l’enfant de la maison.
Mot du jour, auquel il est nécessaire d’en adjoindre d’autres pour en faire une phrase qui tienne sur ses pattes.
L’oiseau en a deux, comme l’enfant.
Le chien et le cheval en ont quatre.
Aujourd’hui, on le voit, je fais le compte de ce séjour insulaire.
Il y aurait des phrases à recopier, une en particulier : (…) de Flaubert.
Une fois quelqu’un a dit de moi que je ne savais pas compter.
Poète ?
Non, tu ne sais pas compter.
Je ne compte pas ?
Un poète, ça compte.

On n’en finit pas de jouer à ça, cache-cache.
D’un pied blessé à l’autre.
Deux ou plus. Boiterie de la poésie.
Poème boiteux.
Le vent glisse sous les oliviers et les agite doucement comme un qui soulèverait la robe des filles.
Oiseaux en débandade.
Tu es un ou une ?
Jamais les deux. Souviens t’en.

La pluie a stoppé la toupie de béton et tout, dans le paysage, s’est arrêté.
Une douceur grise nous a enveloppés.
Pour notre dernier jour, la Corse s’est voilée en hôte délicate.
Tu n’auras pas de regret de t’en aller, semblent dire les arbres et les nuages.
Tout va disparaître avec ton départ.
Demain sera une autre traversée.
Un seul mot clôt en voletant ton séjour.
Il n’y a pas de frontière pour lui entre dedans et dehors.
C’est le mot qu’il faut pour s’en aller.

23 octobre



samedi 16 novembre 2019

Journal de Corse, 13, Béton


13, Béton

On approche.
Séjour bientôt fini. Campo Santo refermé. Un bateau hier échoué sur les rochers, blanc sur la mer grise. Récits d’autres échouage en tête.
Echouage, échec.
Ce matin, la bétonnière bleue est en action, ça tourne. La grue est arrimée et porte toujours un U dont j’ignore à quoi il sert. La nécessité obsédante de construire rejoint-elle l’obsession des humains et leur peur de la disparition ?
Je découvre qu’il y a en fait deux toupies à déverser le béton sur le chantier.
Sans doute faut-il aller vite avant le vrai hiver ?

Nos provisions s’épuisent et nous évoquons plusieurs possibilités.
J’en arrive à dire que je n’aime pas la chambre où nous dormons, pour atténuer la séparation d’avec ce lieu. Nous attendent deux autres, l’une à Lucca et l’autre à Nervi.
Chambres italiennes dont on rêve et où on s’imagine dormant paisiblement, tourments éloignés, laissés derrière soi.
Bel état de vacance aujourd’hui. J’ai terminé deux carnets et commence à me demander s’il est judicieux de les montrer à la galeriste de Gênes.
(Elle en gardera un… pour l’exposition de décembre.)


Suis-je déjà une vieille dame ?
C’était les mots de C.K. hier que j’ai lus avec un peu d’inquiétude. Parce que mon amie est toujours la jeune fille que je n’ai jamais connue.
Mon corps m’apprend que la jeunesse est partie.
Alors ?

Marcher sur une plage inconnue réveille des sensations bien connues. Ravive une jeunesse qui n’est pas celle du corps. Je fais partie des gens qui trouvent que le temps déborde. Il y a du temps dans une vie. Mais nous ne savons pas toujours de quelle manière l’aborder et en faire usage. La mer et son roulement de vagues apporte une réponse : regarder et regarder encore les changements de lumière et de couleur. S’en contenter surtout. Rester béant, béat, en attente. La nuit viendra de toute façon. Avec ou sans nous.

Les nuages sont extraordinairement présents. Plus que la mer, le ciel. Un jeu mouvant et permanent où les formes changent très vite.

Le mot choisi sera béton, à cause qu’ici, peu échappe au béton. Le granit a nourri la vie des anciens habitants de la Corse et leur a permis de construire leurs maisons. Aujourd’hui, le dieu granit ne sert plus qu’à décorer le bord d’une piscine. Ou à devenir sable pour le béton. C’est un peu triste. Un peu, parce qu’il reste la mer et le ciel.
Et des granits dans la mer.

22 octobre






mercredi 13 novembre 2019

Journal de Corse, 12, Levier


12, Levier

"Le lieu donne le récit".
Peter Handke

Et aujourd’hui pluie fine, enfin.
Ce qui redonne désir de dessin.

Un peu désolée d’avoir du mal à lire le gros opus d’un ami. Attendre le bon moment ?

Le besoin d’air, le besoin du plein air, dehors, plus vif que jamais.
Je lis des livres de plein air, ceux de P.H. par exemple.
J’aurais aimé, ici, avoir une chambre au milieu des chênes liège, dormir à la belle étoile.
Sans les murs. Une fenêtre ne suffisant pas à les faire disparaître.

On comprendra la nécessité du mot du jour.
Je me répète ce titre de Naipaul qui m’accompagne souvent, L’énigme de l’arrivée, pour comprendre aussi celle du départ et de sa nécessité. Nous allons quitter une île pour en retrouver une autre, familière, notre maison. Et traverser au passage des villes et un pays étranger. 
Le voyage serait-il un levier pour soulever nos pesanteurs, la mienne en particulier ?

Je soulève ce qui peut l’être, un dessin, une carte et parfois un livre.
Et mon corps hors de l’ennui du monde.
Heureuse de me soulever au-dessus du sable où je me tenais assise ce soir, regardant la mer s’emballer toute seule.
Le choix est fait.

21 octobre




mardi 12 novembre 2019

Journal de Corse, 11, Lisière


11, Lisière



Et aujourd’hui ?
Chaque jour écrit devient un jour passé à l’écrire.
Le présent reste.
On attend à nouveau la pluie qui ne vient pas. Ce matin la chaleur m’a sauté au visage, dehors.
Nous avons dormi la fenêtre ouverte pour échapper à la maison et à ses murs, passer au travers des nuits par la fenêtre reste une nécessité.
Le temps fait semblant d’être immobile.
Le manuscrit de Animal(s), je l’enverrai dès mon retour à Fabienne Raphoz. 
Mais est-il fini ?
Léger balancement des feuilles du chêne-liège. 
Annonciateur de pluie ? Ou plutôt transcription de mon incertitude devant ce que j’écris ?
Incertitude, inquiétude.
Sebald nous a accompagnés hier dans la forêt de Bavella. 
Comment avancer dans un paysage sans lisière ? Le ciel et la mer mêlés.
Entre les arbres, les chiens courent et hurlent. Battue au sanglier. Au bord de la route, un homme armé d’un fusil. Ce serait une guerre sans ennemis ? Dans ce pays de rocs et de chênes, où peuvent-ils se terrer ?
(Au retour racontant au Petit cet épisode, il m’a demandé ce que c’était, les ennemis. 
Difficile à expliquer.)
La géologie interroge celui qui parcourt l’île. Le sud extrême est calcaire, falaises de craie.
Le reste est granitique ou schisteux.
Il va me falloir décider si j’écris granit ou granite.
Et marcher en lisière, encore.
Plage ou forêt, il y a un seuil pour passer de l’une à l’autre.
Du sable à la mer, de la clairière aux arbres.
Lisière, donc, terme de couturière.

20 octobre




lundi 11 novembre 2019

Journal de Corse, 10, aiguilles




10, Aiguilles

Lorand Gaspar est mort au début du mois.
Nécrologie dans le Monde, enfin. Qui pleure un poète si ce n’est d’autres poètes ?
Quant à la vague de haine contre Peter Handke, elle court sur les réseaux sans vraiment convaincre. On se rend compte aussi de la vanité des jugements émis de la part de personne n’ayant rien lu de l’écrivain autrichien, vacuité conviendrait encore mieux.
Personne sur le chantier ce matin. C’est samedi.

La mer emplit les poumons. Donne à voir et à respirer.
Mais on reste à terre, à court de mots. À court de souffle.
Pourtant ce journal se poursuit, après une décevante incursion dans une librairie où la poésie avait été mise au rebut, plus bas que terre pourrait-on dire.
C'est d'ailleurs fréquent, la poésie est mise au plus bas.
J’y ai tout de même trouvé un beau livre de Paule du Bouchet que j’offrirai aux amis italiens. La libraire ne se doutait pas qu’il se trouverait un acheteur pour un tel livre. Savait-elle-même qu’il vivotait dans son magasin depuis un an ?

J’ai aimé apprendre que le poète André du Bouchet préparait à ses deux enfants des nourritures en forme de poèmes conçus avec ce qu’il trouvait là où ils passaient leurs vacances. L’attention qu’il leur portait faisait qu’il pouvait s’interrompre à tout moment pour se consacrer à eux. Un père. Le mien aussi ne m’a donné que ce qu’il avait sous la main et c’est beaucoup. Un peu d’opéra, du bel canto, opérettes aussi, quelques livres, le goût des nourritures en couleur. Et sa bonne humeur.
Poèmes à manger, à dévorer, à déguster.

Le chantier abandonné laisse place au silence.
Et à la forêt des aiguilles.
Bavella.
Le mot est trouvé.


19 octobre

samedi 9 novembre 2019

Journal de Corse, 9, rondiner





Début de journée.
Un oiseau et ses amis ont joué trop vite, trop fort.
Et un seul, le premier, gorge rouge, a chu sur la terrasse.
Réchauffé dans un petit sac mexicain en laine,  il a pu repartir.
Mais pas avant d’avoir eu une bonne conversation avec le petit peuple.
Ragaillardi il a rejoint ses amis.

Qu’aura-t-il à leur raconter ?
Juste un mot : rondiner.

18 octobre

vendredi 8 novembre 2019

Journal de Corse, 8, oeil de Lucie



8, œil de Lucie




Fumée noire ce matin en dessous du chantier. Nouvel engin bleu qui rivalise avec la grue. Ici on a besoin de beaucoup de machines pour faire sortir de terre des maisons qui ne seront habitées que quelques mois dans l’année. Plus personne ne se sert des granits si ce n’est pour les éliminer, les disposer là où ils ne gêneront pas. Leur rôle est au mieux décoratif, au pire ils deviendront du sable et des gravats.
Coup de téléphone de D. Le D. 
Appels ou coups, la langue ne démêle rien d’autre que son désordre.
Me fait compliment. Me touche là où la petite Virginia fait sa blessure. Je lui ai promis de lui envoyer le livre dont sont extraits les poèmes qu’elle a aimés. Me répète encore quelle poète je suis, enfin presque si…Il me semble entendre ce que sa voix amicale me dit.
Me suis demandée hier soir en lisant Russell Banks à quoi servait de traduire ce livre qui ne peut guère intéresser que des américains. Ou des amateurs de ses livres. Le titre Voyages est trompeur et l’ensemble a peu d’intérêt. 
Heureusement Lidia Jorge et son Estuaire m’ont donné à penser et à lire.

Journée de plages, l’une puis l’autre. Belles et intactes. Trois cadeaux donnés par l’ami J.F.A. : Œil de Lucie.
Escargot qui me fait penser aussi à l'amie Anne Calas Et à l'escalier de mon grand-père à Marseille.
La beauté intacte de l’eau, du sable, comme si nous étions les premiers ce matin à la découvrir.
Le soleil commence à descendre, j’écris face à lui. Immobilité douce du couchant, angoisses presque réduites à rien.
J’ai pour l’instant une liste de 7 mots pour 7 jours.
Est-ce que ça fera un poème corse ?
Dans une semaine nous serons à Lucca en Italie. Qu’est-ce qui aura changé ici et là-bas, que nous sera-t-il arrivé, je n’en sais encore rien.
Mais j’éprouve l’envie d’écrire et de dire combien le prix Nobel attribué à Peter Handke me fait du bien. Je l’ai répété à mon amie D. Le D.
J’ignore pourquoi je tiens ce carnet, et pour qui. Il sert à marquer le temps avec un mot pour chaque jour. Et le soleil prêt à disparaître m’accorde celui d’aujourd’hui !

17 octobre



jeudi 7 novembre 2019

Journal de corse, 7, l'échaufadage



7, Échafaudage

Vent qui fait tomber les feuilles.
Texte corrigé pour l'anthologie du Castor Astral.
Suppression de plusieurs je ne sais pas. 
Il ne faut pas exagérer l’ignorance des bêtes. Il y aurait le risque de la banaliser.
Cette nuit, ai trouvé le titre définitif de ce que je suis en train d’écrire. Animal(s).
Belle ignorance.
En dormant, sans doute. La maison continue à se construire. La grue est actionnée par des travailleurs invisibles. Celui qui est vêtu de rouge se tient à part, dans la pente terrassée.
Le vent va me redonner un peu de souffle.
Et toujours cette idée de la condensation nécessaire pour faire exister un texte.
Relu avant de dormir Sebald. Retrouvant sa proximité.
Campo santo.
Rien n’est évident. Récupérer une bouteille à la mer. 
Les plus vieux objets du monde ont servi à contenir, transporter, retenir.
Paniers, amphores, et filets de pêche.
Avec les mots de chaque jour il faudrait établir un échafaudage solide pour résister au temps.
Ce mot ?



16 octobre

mercredi 6 novembre 2019

Journal de corse, 6, Cheville


6, Cheville

Sixième jour.
Ma cheville gonflée s’apaise un peu ; en tout cas m’interdit de marcher longuement. Je suis assignée à résidence.
En face d’une grue en plein travail.
Pas de pluie mais du rose et du bleu dans le ciel, des rayures de soleil sur l’oliveraie, des oiseaux bruyants.
On aperçoit encore les montagnes de l’Alta Roca.
Voulant absolument trouver un sens à ce qui n’en a pas (piqûre à la gorge, cheville enflée), je me prends pour la nonne Citrouille amère vissée à son rocher. En l’occurrence un tabouret. En italien, le mot nonna ne veut-il pas dire grand-mère ?
La pluie n’est pas venue, ne viendra pas.
Je me suis mise à dessiner des lignes sur un carnet, des points et des carrés, des croix et des triangles.
Désoeuvrement à l’œuvre.
Ce pourrait être ça, les vacances. Un extrême désoeuvrement.
À moins que ce ne soit le mot tiré du sac pour aujourd’hui.
Le parcours des mots est le seul que je puisse faire puisque je ne parcours aucun chemin. Cheville toujours gonflée. Signe avant-coureur de l’arrêt total ?
En tout cas une interruption du mouvement de la marche. Alors je lis. Beaucoup. Sans vraie joie. Bizarre. Je pense à l’ami J.P. et à ses découvertes. Les miennes sont petites. En aucun cas joyeuses. Bizarre impression.
Peut-être suis-je en état d’attente tout simplement ?
Cheville, donc.


15 octobre

mardi 5 novembre 2019

Journal de Corse, 5, pluie



5, Pluie

Et la grue s’est remise au travail.
La lumière diffuse du matin s’est peu à peu affirmée.
En face on travaille; de part et d’autre du paysage, tout le monde se remet à l’ouvrage.
Les mûriers devant la maison commencent à avoir un feuillage jaunissant. Quelques feuilles tombent. Travail du temps.
Sagement j’attends de mes nouvelles.
Me souviens que Peter Handke a eu le Nobel.
Et une femme écrivain aussi que je vais découvrir. Deux raisons de sourire.
On aimerait être simplement joyeux.
Le plus aisément du monde.
Se réveiller tranquillement et s’endormir de même façon.
Mais la secrète inquiétude reste vivace sous les doigts. Tandis que je parcours le chantier, le vrai et le mien, je lance des lignes vers le futur, moi qui devrais savoir que j’en suis à la fin. Le manuscrit travaille. Je ne sais pas si je l’enverrai à mon retour.
Hier nous avons vu beaucoup de granits aux formes extraordinaires. Mais ce qui me reste présent, c’est la désolation du barrage de l’Ospedale.
Je ne sais pas pourquoi ces troncs décapités dans cette terre grise m’ont découragée.
Comme si le travail des hommes ajoutait à la destruction, toujours. Et que le découragement m’attendait au détour du texte.
Il y a eu aussi les bains sulfureux me ramenant au soufre de l’enfance à Marseille.
À la souffrance ?



Il faudrait ce soir que j’extraie du sac un mot joyeux.
Peut-être vais-je y parvenir aujourd’hui.

Pluie ? On dit qu’elle viendra demain.

14 octobre

lundi 4 novembre 2019

Journal de Corse (suite) 4, Corps



4, Corps

Ce sera rapide comme un dimanche.
Routes zigzagantes. Forêts. Granits.
Il y aura aussi un étrange lac de Patagonie aux eaux en partie évaporées.
Surplombé par des roches griffées par des monstres géants.
Un dimanche en tours et détours. Lecture aussi, par instants.
Nagazaki d’Éric Faye.
Jusqu’aux bains sulfureux de Caldane.
Une renaissance.
Puis un retour.
Et le mot ?
En face la grue n’a pas bougé. La nuit noire occulte toute lueur.
Il sera temps du repos, d’embrasser un lieu pour y déposer la douce fatigue des corps.
Mot retrouvé dans l’eau à 37°.
Corps au repos, corps du texte.
Corps, encore.


13 octobre

dimanche 3 novembre 2019

Journal de Corse, 3, Destruction


3, Destruction

S’en tenir là.
Là, c’est déjà un mot.
Un mot simple, monosyllabique, qui exprime le lieu.
Mais aussi l’endroit du texte où ça s’arrête.
Où hier je me suis arrêtée sur le granit.
Où ça s’interrompt.
Ça, autre mot simple, autre monosyllabe.
À quoi ça tient ?
À peu.
Emaz a-t-il écrit un recueil portant en couverture ce titre sec : Granit ?
Il faudrait faire une recherche. Lichen, Cambouis. Granit ?



Quel sera à la fin du jour le mot restant de la suite d’heures, d’impressions, de paroles échangées ?
La pluie avance. Mais pas encore jusqu’à la grue.
Aujourd’hui personne ne travaille. Pause, trêve, arrêt.
Le Petit a demandé quel âge nous aurions quand nous reviendrons à la maison.
Comme si ces vacances corses allaient durer si longtemps que nous changerions d’âge.
Le temps est la grande question pour les petits et les vieux. Comment on le mesure, comment on l’apprivoise, comment on le perd et parfois le gagne.

Retarder le moment de se remettre au travail, au vrai, pas celui-là qui ne consiste qu’à noter ce qui se passe et n’arrive pas.
Sur la très petite table d’écriture, en face de la grue au repos, j’attends.
Ou plutôt j’évite de prendre la décision de travailler réellement. En lieu de quoi, j’écris ce qui pourrait être une suite de lettres, un journal, des impressions de Corse. Une gymnastique nécessaire et presque joyeuse, une reprise des doigts sur le clavier, une danse légère des mots, qui ne prêterait pas à conséquence.
Aujourd’hui un bain de mer, comme disait ma mère. Vivifiant, régénérant.
Bain de soleil aussi.
Puis retour aux nuages gris, lourds, vont crever peut-être au-dessus des plages.
Pour l’heure, la fenêtre, la grue, l’absence d’horizon noyé dans la brume.
Que fait le paysage aux hommes qui l’habitent ?
Et à leur tour que font les hommes au paysage eux qui n’hésitent pas à déplacer des granits millénaires ?
On arrache, on coupe, on détruit.
Pour construire.
D’autres essaient de contrarier la destruction.
Jeune oliveraie plantée par notre hôte dont les oiseaux se repaissent.
Voilà que je me mets à voir davantage la destruction à l’œuvre que la construction.
Destruction, donc.

12 octobre

samedi 2 novembre 2019

Journal de Corse, 2, Granit



2, Granit

J’aperçois encore de la place où je suis la grue immobile et les nuages qui recouvrent presque tout, sauf la colline où elle se trouve.
Ce matin je m’amuse d’une coïncidence. Religieusement j’ai tenu à emporter une bibliothèque choisie pour nous accompagner en Corse. Après hésitation, j’ai laissé Handke sur la table. Et emporté Sebald et son Camposanto dont les quatre premiers textes évoquent son voyage en Corse.
Ce qui m’a amusée tient en peu de mots. Sebald lisait comme moi Corse-matin et y trouvait de quoi nourrir sa mélancolie. Il y a plus. Il a eu à commenter une photo et traînait les pieds pour le faire. Ne retrouvant plus l’image, il a cru être libéré de sa tâche. Mais sa logeuse corse la lui a renvoyée en lui donnant quelques précisions. Ce portail, écrit-elle, est celui de l’école que je fréquentais enfant à Porto-Vecchio. Nous le verrons tout à l’heure.
Que Sebald lise Corse-matin n’a en soi rien d’étonnant en Corse, me direz-vous.
Pour moi c’est source de joie. D’abord parce que cet écrivain m’importe beaucoup, ensuite parce que je ne lis que très peu le journal, enfin parce qu’il y est question de vie locale. Des menus événements qui constituent la trame d’un lieu, croisés avec l’espace dans lequel ils se déroulent requièrent l’attention des habitants de passage.
Nouvelles en mots, nouvelles en images.
Handke a reçu hier le prix Nobel.                                
J’ai vu son visage sur l’écran de la télévision, un homme âgé et d’une étonnante jeunesse.
Une de mes amies parle de lui (ou moi ?) comme de son voisin le plus proche. Dans nos géographies, la littérature permet ces rapprochements. Comme elle habite en banlieue parisienne, non loin de lui, je veux croire qu’ils se sont croisés, lui, le marcheur infatigable et elle qui sort si peu.



La grue lentement se remet au travail. En dessous d’elle les hommes sont tout petits. Les fenêtres sont béantes et les balcons toujours sans rambarde. Le monde continue à construire. Nous sommes vendredi 11 octobre. Le soleil découpe encore des lignes obliques dans l’oliveraie.

J’ignore ce que sera le mot du jour.
Nous n’en sommes encore qu’à son début.
J’avais noté sur un papier carré dans un exemplaire de Figures qui bougent un peu, « du mort dans le vivant », et je ne sais plus s’ils se rattachent à un poème de James Sacré ou à un texte d’un autre écrivain. Parce qu’il me semble, là, en face de la grue et de la maison trouée, que J.S. aurait plutôt écrit le contraire. Il me faudra revenir vers le livre et chercher.
Pourquoi me suis-je fixée sur cette grue davantage que sur un de ces oiseaux qui parcourent le jardin ? Sans doute parce qu’elle est un instrument de construction. Dans la discussion que nous avons eue hier avec un poète sur la plage, je retiens mon optimisme face à son désenchantement. Serait-ce que je crois au recommencement permanent de la vie ?

« …se ménager une prairie (…) s’y allonger afin de continuer à souffrir, certes, mais en paix… »

Qui a écrit cette phrase ?
Je ne sais pas. Elle donne à voir un lieu de repos après le lieu de fatigue dont parle Jaccottet. Mais laisse peu de répit à celui qui la lit. Après tout peut-être est-ce la même chose, un lieu de repos et un lieu de fatigue, un lieu où fatiguer sa peine.

Les oiseaux se battent dans l’olivier pour dérober ses fruits.
En face d’eux, en face de la grue qui se remet lentement en branle, je reste immobile.
Un oiseau au ventre très rouge attaque le tronc d’un autre arbre.
La vie s’active tandis que nous sommes immobilisés à écrire, à lire.
Un lézard rapide grimpe le long du tronc d’un mûrier.

On parle du droit des uns et des autres, des humains et de ceux des animaux. Même les arbres ont la loi pour eux. En Corse, dans certaines parties du paysage dévasté par les travaux de construction incessants, je m’interroge sur le droit des rochers. Qui s’en soucie ?
Ici les pierres sont des blocs de granit, souvent arrondis et cyclopéens.
On défonce à coup de bulldozers des terrains chargés d’énormes granits qui ont pour seul tort de gêner la mise en chantier d’une villa saisonnière. Parfois, quelques propriétaires ont cru bon d’en conserver quelques-uns mais ils les ont fait déplacer pour être, selon eux, à la bonne place. Une sorte de mauvais-bon goût tiré d’une connaissance hâtive des jardins japonais leur a donné l’envie de ces blocs définitivement apprivoisés. Mais surtout disposés au bon endroit ! Habitants ingrats qui ne savent pas se reconnaître dans le paysage qui les entoure.
Ont-ils seulement remarqué l’anagramme du granit ?
Je ne serai jamais tailleur de pierre et pour cause, mais le travail de la langue à tailler (en pièces) m’incombe.

Vers le rivage, certains blocs de granit rose semblent des ruines d’une ville disparue. Protégés par la loi, on peut les observer en suivant les sentiers du littoral. Aucune villa de parpaings ne peut être construite à côté d’eux, sans doute pour éviter la comparaison.

Mot tiré du sac ce soir, en regardant décliner la lumière mousseuse sur la grue à l’arrêt, mot aussi doux qu’il peut être rude, le mot sera granit.