vendredi 24 mai 2019

Ce que je peux dire de mieux sur la musiqu, Robert Walser!


Hier en route.
Pour lire en public, entre livres et lecteurs. Dans une librairie.
Y aura-t-il du monde, s’inquiète le libraire.
Nous ne sommes pas seuls, ai-je envie de lui dire. Deux poètes à lire ensemble.
Mais lui, inquiet. Moi, non.
Happée par la présence des livres plus que par celle des gens venus nous écouter ?
Peut-être.


Sur une des tables, un nouveau livre que je ne peux laisser derrière moi.
Ce matin, avant de repartir dans une autre librairie, le livre m’accompagne dans ce moment si particulier du réveil. Hier j’avais commencé à dormir joyeusement en compagnie d’une phrase walsérienne si belle que j’avais espéré dormir en sa compagnie. Un brusque réveil peu de temps après l’endormissement m’avait replongée dans un état d’anxiété puis le sommeil avait repris ses droits.
Et ce matin, je retrouve le sourire en ouvrant le livre.
Ce que je peux dire de mieux sur la musique.
Je suis revenue vers cette phrase qui m’avait enchantée la veille. Ai lu tout le récit. Ai encore souri. Suis allée donner à manger aux poules et libérer le chien avant de repartir pour une nouvelle lecture dans une nouvelle librairie. L’herbe a mouillé mes espadrilles. J’ai souri encore une fois en me disant que décidément les libraires avaient raison de vivre au milieu des livres. Il y a là une bonne médication pour les os douloureux et les têtes tristes. Ce qui fait qu’on vient là se guérir en emportant un livre tel un remède merveilleux.
(J’ai repensé à un livre de Mircea Eliade lu il y a longtemps. La lecture pour lui constituait une sorte de relation nouvelle au mythe. En tout cas lire obsède et ravive en soi une jeunesse prête à disparaître à tout moment. Chaque lecteur crée un univers où vivent éternellement pour lui quelques livres nécessaires. Babel.)
Mais revenons à Robert Walser.
Je joue du luth souvenir. C’est un instrument très simple qui donne toujours un seul et même son.(…) Il est triste et gai. 
Jouer de ce type d’instrument me permettra peut-être de me rendre tranquillement dans une nouvelle librairie lire à des auditeurs amicaux une partition poétique. En espérant qu’elle soit aussi légère que celle de Walser et les fasse sourire.
25 mai

dimanche 19 mai 2019

Le compagnon blanc d'Emily


Rencontre du compagnon blanc au jardin, autrement appelé silène. Plante que certains qualifient de mauvaise herbe, à arracher et que je contemple avec amitié.
Plantes sauvages, renards du jardinier.
Dernières pivoines s’effeuillent au sol, sous une petite pluie qu’ailleurs on nommerait crachin.
Hier j’ai marché sur le mot pinède et tout de suite odeur des bois, petite joie des forêts d’enfance. Quelqu’un a dit : ici la forêt pique.
Royaumait la poésie dans cette pinède.
Assise sur un tronc, je me suis mise à rêver à mon tour.
Du mot colline, mot que nous utilisions enfants pour dire l’endroit où on jouait.
À Marseille. Dans les achélèmes des Tilleuls.



Ici, plus loin, plantations au jardin, fleurs, plants de framboisier et de tomate, sans oublier un cerisier pour notre petite dernière, cerise sur le gâteau familial.
Hier aussi, un chêne étrangleur de pin presque arrivé à ses fins dans la pinède amicale.
Entre combat et plaisir, en lisière, au bord du potager à rêver.

Un poème d’Emily Dickinson pour l'amie revenue :
To make a prairie it takes a clover and one bee,
One clover and a bee,
And revery.
The revery alone will do,
If bees are few.

Pour faire une prairie il faut un trèfle et une seule abeille,
Un seul trèfle et une abeille,
Et la rêverie.
La rêverie seule suffira,
Si les abeilles se font rares.

Le ciel restera blanc jusqu’à la nuit.
Où écrire un nom, des fleurs, un peu de trèfle.
Une lettre aussi.
Et ce sera suffisant.
Peut-être.
19 mai


vendredi 17 mai 2019

Roses pivoines et Marseille


En voiture, ralentissant pour mieux voir, je les ai vues. Pivoines roses dans le champ abandonné au trèfle et autres herbes folles. Les aristocratiques pivoines sont cachées par le peuple des graminées de toute sorte. Ensuite, j’ai traversé la route et rejoins le champ.
Pour voir les fleurs en boutons, et certaines, largement ouvertes, sous l’effet de la pluie légère d’hier. J’irai les revoir demain.

Hier encore, nous avons bu et mangé (un peu) dans un beau café à l’ancienne à Nîmes, après la lecture de Florence Pazzottu. Marseille tout entière entrée dans la Médiathèque, entre les mots, a salé les pages des livres et a donné une crudité particulière à la lumière du soir. On aurait presque entendu les voiles claquer dans le port. Je me suis demandée ce qui restait de mes arpentages dans la ville natale. Un livre. Marseille éclats et quartiers. Une grande ignorance ? En tout cas, je viens de là, mais ça ne dit rien, ça. 
Sur mon bureau, il y a toujours cette phrase de Derrida : « Se porter au-delà de son lieu de naissance… »
Je ne sais pas si je suis au-delà, mais curieusement éloignée d’elle et remplie d’un murmure confus de mots et de signes que la ville m'a laissés et que la lecture a ravivés.


Reconnus dans l’écriture de F.P. comme autant d’indices que ni Marseille ni moi ne sommes séparées. Vivre loin, marcher loin, ne m’éloigne pas autant que je le crois. Les promenades adolescentes qui me faisaient sillonner la ville ne sont pas perdues entièrement même si la configuration de Marseille n’est plus tout à fait la même. Ni moi non plus.

Au café, nous avons évoqué avec Y.M. la lecture de la semaine prochaine, un voyage dans la couleur, l’ignorance et l’effacement. D’un livre à un autre. J’aime l’idée que nous croisions nos regards, sa jeunesse vive et mon âge se rejoignant presque simplement.

Bleu Marseille, bleu Rhône.
À suivre.
18 mai

mercredi 15 mai 2019

Pivoines et renardeaux


À la nuit tombée, je suis allée dans le champ aux pivoines. Il y a deux ans un homme l’a retourné et y a planté une centaine de bulbes de pivoines. N’est jamais revenu. Cette année, herbes folles, trèfles abondent et cachent les jeunes pivoines qui montent en boutons.
Ce sont des pivoines rouges.
Une a fleuri, je l’ai cueillie presque fanée. Emportée dans ma veste comme renardeau blessé, caché au regard. À soigner en urgence avec un peu d’eau. Très peu, a dit Denise.
Le long de son champ, l’homme a aussi planté des tiges ligneuses qui sont devenus de jeunes amandiers, certains même portent des amandes. Ils sont de guingois et bougent en tous sens à cause du mistral. Le velours de l’écorce rappelle les jeunes bois des chevreuils ou les cosses de glycine. Un ami m’en a envoyé une, que je garde à portée de regard. Et de caresse.
L’abandon et le désordre ont prévalu dans le champ voisin. Mais les plants de pivoine ont survécu et fleurissent en toute discrétion, cachés par la pousse des herbes sauvages.
On n’a qu’à traverser la route pour voir ce champ. Il y a matière à réfléchir.
On a arraché les fruitiers dans la parcelle mitoyenne et la terre croûteuse blanchit et salit les chaussures. D’un côté, herbes en tous sens. De l’autre, sillons secs.
C’est là que nous vivons.
Je me demande à quoi a pensé l’homme en plantant les pivoines et les amandiers. Et pourquoi il les a abandonnés.
En attente.
Il a entassé une dizaine de sacs d’écorce de pin sur le bas-côté et n’est jamais revenu.
La floraison des pivoines est inaperçue. Je suis seule à la guetter chaque soir. À attendre. Et à recueillir dans ma veste de jeunes fleurs en bouton, renardeaux perdus dont il faut  prendre soin avec très peu.
Sur l’agenda j’ai noté au mois de novembre : penser à sauver quelques bulbes du champ d’à côté. Un vol prémédité ?
14 mai
sd collage et dessin

vendredi 10 mai 2019

Nouvelles de la vie sauvage




De retour.
Nous étions de retour. Dans la nuit. Le retour est ce moment où la nuit vient, où la voix entendue remplit la mémoire.
Quelqu’un a dit que j’écrivais beaucoup.
Je n’ai pas su répondre. Pensant à Faulkner qui disait : kill the darlings et qui a écrit des milliers de pages.
Et brusque arrêt. Le long du talus, petits bêtes rousses. Chatons ? Renardeaux. Deux plus un mort. On va voir. Un des petits file se cacher. L’autre dévore la dépouille de son frère, la gueule pleine de son sang. F. pose sa main sur la petite tête fauve. La petite bête continue à dévorer son frère.
Nous repartons.
Plus loin, plus près de la maison, un renardeau trottine, affolé. Il s’interrompt, se retourne vers nous, nous interroge du regard. Il n’a rien d’inquiétant. Il a peur. Sa mère est perdue, l’a perdu, est morte. Nous n’en savons rien.
Nous longeons au ralenti la petite bête sauvage terrifiée.
Je me rends compte que ce que j’écris nous regarde.
Quatre renardeaux dont un déchiqueté par son frère.
Et un autre, tout seul, à la recherche d’un lieu où se rouler en boule en attendant.
Quoi, qui ? Il n’en sait rien.
Livre de plein air dont les pages tournent dans le vent frais de cette nuit sauvage.
Trois possibilités, fuir, dévorer, attendre.
La troisième a eu ma préférence.

10 mai

mercredi 8 mai 2019

ça qui me poursuit


Et si on ne sait pas
ce qui frappe
en premier
se lever y aller tous les jours
s’il fait jour
toutes les nuits
s’il fait noir
et c’est dur on a faim
et froid


pourtant si
ça
qui nous poursuit
nous
tient
encore
en vie ?




Boulbon, 2017-2019

lundi 6 mai 2019

Homme de guerre, enfant et loup, toute une brousssaille à démêler, histoire de plein air




Leurs voix peu à peu se diluent dans le brouillard du soir qui vient, on les laisse là, on reviendra plus tard, vers la forêt et ce qui va avec, on abandonne net, on file ailleurs, on souffre d’autres douleurs, la nuit va venir sur eux, ils se sépareront ou s’entretueront, nous ne serons plus là pour observer la scène, et puis la lumière nous faisant défaut, nous aurons glissé vers la ville et ses rues bien éclairées, nous ne pouvions plus rester à attendre que quelque chose se passe, que le commandant accepte sa défaite, non, tout ça d’un coup effacé, plus rien à extraire, un jus mort, un sang noir, la disparition entre ronces et barbelés des deux protagonistes, et nous, à tenter une échappée loin de la scène de crime. Plantée devant la fenêtre je repousse le fauteuil à bout de souffle et je veux moi aussi aller voir ailleurs, plus loin, d’autres crimes, d’autres passions, me demandant ce que je cherche là, pieds gelés sur le carrelage froid, regardant ces gouttes d’encre noire sur ma main, ce qui se trame entre la bête et son humain, entre l’humain et son animal, depuis que je suis ressortie d’une caverne et ai couru vers l’échancrure de calcaire d’où l’on apercevait la vallée, bouche noire sur le flanc de la falaise, je reviens à ces mots, chassie, varices, bégaiement, comme on revient vers une source qui ne tarirait jamais et qu’on porterait en soi, avec sa propre mort, migrant d’une gorge dans une autre, échappant à la loi des humains pour renouer avec une loi archaïque tracée au manganèse sur des parois rocheuses, à la main, au doigt et à l’œil, discernant à peine ce qui s’inscrivait sachant qu’il ne faudrait pas l’enfreindre, sorte de généalogie antédiluvienne.

l’homme de guerre ne sait rien faire d’autre que rappeler à l’ordre les distraits

vendredi 3 mai 2019

carnet bleu-suisse


Carnet bleu-suisse
 
J.P et SD. Devant, le lac de Neuchâtel.

il y a une hirondelle une corneille
                           et une mouette

mais

il y a aussi l’oiseau de Genève
noir
que m’a vendu
une africaine

et le petit cheval du Soudan
et ses deux cavaliers

sans oublier l’étrange animal
qui se gratte la tête
mi-oiseau mi-ourson

et le nom BERDOZ
que je peux lire
partout


en face les eaux
du lac
on dit le lac
il tient tout entier
dans l’œil

à chaque voyage en Suisse
les filets ramènent des noms
perdus
une grand-mère inconnue
l’a porté jusqu’à la mer

ce nom écrit partout

est-ce que ça explique
mon goût pour la lettre Z

accomplissant je ne sais quel vœu maternel



me souvenant de cette femme
il y a quelques jours nous disant
je me baigne été comme hiver
puisque je vis en bord de mer

allant vers les forêts
comme elle vers la mer
le lac
plus loin les montagnes
et la marche en plaine
de Gustave Roud
son Jorat

pas étonnant que j’aie acheté
le Repos du Cavalier
aux puces de Plainpalais


la petite avait répété
je veux être un cavalier
petite aimait à la folie
les oiseaux
sans bien les connaître
à part la huppe
et l’hirondelle



il suffit d’un carnet
et le poème s’aligne
presque gentiment
ligne
après
ligne

sans heurt
sans chagrin
facilement
on dirait

carnet de papier
quadrillé de bleu
cadran ligné
carnet de misère
oui

bloc-notes à la
couverture bleue
répondent les carrés
et les lignes bleues
à suivre ou pas
pour écrire quoi ?




on se demande
et si ça s’arrêtait
si sa propre vie
l’encre n’en finit
pas

comme on ne sait pas
on continue à
tourner les pages
à regarder le lac
avoir mal aux yeux
mais on continue
à l’encre noire

le carnet est taché
en haut en bas
la tache diminue
au fil des pages
tournées

viendra un temps
où il n’y aura plus
ni taches ni lignes
les pages vides
bien propres


à quoi sert un carnet
vendu trois sous cinq
euros taché sali
malmené écorné

le marchand savait
mon goût des carnets
même tachés et salis
il y aurait des acheteurs
pour ces carnets et cahiers
du canton de Vaud



aurai-je assez entendu ma mère
rêver à voix haute de suisse
pour elle trésor caché
dedans
                               à retrouver ?

comme ce carnet
modeste et taché
carnet où noter
les courses à faire
mesures à prendre
rien à noter pour
la postérité



et un matin
canal d’Entre-Roches
aller et retour
en compagnie

bien des lieux vus
et entrevus à peine
cimetière à Yverdon
et d’autres regardés

le bleu de la benne
dans la Grande Cariçaie
et
les chalets de Portalban
près de la Méditerranée

la troisième conversion
des eaux du Jura
n’a rien de religieux

lacs de Morat de Neuchâtel
et de Bienne des hommes
ont vécu à leurs bords
parlant peu faisant travail
de chaque journée

comment de ces trois lacs
faire une mer ? à la question
Jean a répondu marchant de
l’un aux autres en novembre




le plus étrange reste ce nom écrit partout
sur les enseignes et les pharmacies optiques
le nom de ma petite grand-mère la suisse

en attente de bleu le jardin est immobile
au loin Jean travaille à écrire 10 000 signes



crânes morts entassés
dans la caillasse creusée
rebuse recommençant
noire épine qui blesse

que faire de ça qui revient
la mort


pas de place dans le carnet
acheté 5 euros à Plainpalais
pas de place pour le mot
écrit juste avant la fin

carnet recopié sur la table
de voyage où il est de passage
comme moi carnet de raison
pour poète loin de sa maison

les deux vont bien ensemble

restent dans le carnet
des pages vides et
des lignes bleues
pour écrire des noms

à ne pas perdre de vue
d’un bord à l’autre
à convertir en mers
en lacs en rivières
en petit livre suisse



SD avril-mai 2019





jeudi 2 mai 2019

Tu gagnes un lapin, tu perds une dent

Et toujours perdre et gagner.
Dent sous l'oreiller?

Lire la nature, plutôt que les livres.
Écrit de loin l'amie très précieuse.
À cela acquiescer en marchant de long en large sous les tilleuls.

Aspirer bouffées de vent.
Voir visage de l'enfant penché en avant.
Regarder le petit doigt où il a glissé une bague bleue.
Se souvenir de sa voix.
Souris viendra, pas lapin.

Aujourd'hui tous les verbes à l'infinitif.
Les autres n'ont qu'à bien se tenir.
La pivoine a le coeur rouge.

2 mai