lundi 30 septembre 2019

Tiré du sac?


On a tous un sac.
Certains le portent sur leurs épaules, d’autres le tirent derrière eux, d’autres encore le poussent devant. Tous en ont un. Parfois lourd à pleurer, parfois tel l’oiseau, au-dessus de la tête, presque envolé. Parfois tordant l’épaule et brisant les muscles du cou.
 
Photo SD

Pourquoi un sac ? Pourquoi tous différents ?
Chaque sac est rempli de mots en nombre fini.
Chacun est unique.
Mon fils par exemple a un sac nommé oiseau. Ainsi se déplace-t-il avec légèreté. Tout le monde n’a pas cette chance. Chaque sac est invisible, me direz-vous et n’est pas réel. Réel ou pas, son poids se fait sentir.  Le poids du réel absolu.
Si j’écris camion-poubelle ou crocus, qui reconnaîtra ces mots provenant d’un texte d’Antoine Emaz ?
Ont-ils été retirés par le poète de son sac de mots parce qu’il devait en faire usage avant sa disparition ?

mardi 24 septembre 2019

The revery alone will do...E.D.


« Edith l’aimait ».
Ce sera la première phrase aujourd’hui.
Un air familier et lointain, un air qui va bien, une forêt toute proche, des noms de lieux aussi, Besançon par exemple ou encore Roanne où habitent des poètes.
Mais aussi Cluny puisque c’est là que l’ai entendue.
Hier je l’ai relue. Incipit mystérieux d’un livre toujours à relire. Une prose fugitive, tremblée, dansante qui échappe à son lecteur. Qui a écrit cette phrase en début de son roman ?
Me revoilà avec le livre sur la table et la question dans la tête. Je pense au mot choisi par Emily Dickinson : revery.
Elle écrit :
The revery alone will do,
If bees are few.
Écrire le moins pour dire le plus.
Le français bavarde :
La rêverie seule y suffirait
Si les abeilles venaient à manquer.
Et sur un dessin, j’ai eu besoin d’écrire : Edith m’aimait. Obscurément tentée de m’identifier au Brigand et à son narrateur.  De la même manière émue par deux hêtres réunis par leurs branches mêlées. Ou leurs blancs visages d’écorce en un univers walsérien, tendre et secret.
De Cluny, je retiens Petite rue d’avril, ça me suffit cette géographie minuscule. Sur le carnet tenu sur les genoux où j’ai pris quelques notes, je trouve (retrouve ?) une courte phrase : La misère nourrit ses pauvres. Je la rapproche du phrase venue me surprendre et qui se trouve dans les Autobiographies de la faim : La mémoire pue. On me l’a reprochée. Je ne saurai la changer. Dans les heures d’insomnie, elle me semble juste. Quant à savoir si elle est nécessaire, c’est au lecteur d’en décider. Et à Edith, si elle existe ailleurs que dans un roman de Robert Walser.




24 septembre


lundi 16 septembre 2019

Poésie : réel absolu

Je ne suis pas un poète numérique.
Mais il y en a.
Ou plutôt certains sont appelés ainsi.
Ou se nomment pour la commodité des réseaux.
Je ne sais pas du coup si je suis un poète.
Ou une. Allez savoir qui parle.
Sans esse ou avec, s'il vit encore.
Ni numérique ni digitale ni virtuelle.
Une plurielle. Voire pluriannuelle. 
Réelle encore un peu. Plus pour longtemps.
Poésie: réel absolu, disait  Apollinaire.
Vrac de mots contre vrac de fleurs :
rafales de coquelicots fanés brouilleurs de pistes
et bouilleurs de cru et de cuit
en même temps?


Je ne sais pas où se cachent les mots. Ce n'est pas moi qui l'invente.
Ça, je le trouve en lisant le pluriel du monde.

Quant à mon ignorance de poète, je la retrouve partout et ici justement:
Qui sait encore ce qu'est un élytre, et comment comptent les tarses et les ocelles ?

Moi qui écris au féminin élytre et tilde.
Je ne sais pas pourquoi.
Ignorance totale?


Citations extraites du Détail du monde de Romain Bertrand.

jeudi 12 septembre 2019

Notule gagaouze aux Angles

Au moins une heure à attendre.
Alors manger et lire.
Dans un endroit pas trop éloigné du centre, mais suffisamment pour s'affranchir du lieu.
Le nom : Les Angles, permet sans peine de s'échapper, de trouver le coin du tableau où le regard s'égare aisément.
Manger, un peu, lire, beaucoup.
Mêler les deux activités.


S'intéresser aux Gagaouzes et à leur histoire. Le nom de leur capitale dans une région autonome de Roumanie, s'en souvenir. Essayer de comprendre ces lignes d'errance tandis que je mange (mal) dans un petit restaurant asiatique où tout évoque un ailleurs épuisé. Le rouge des lanternes a fané, les tableaux incrustés de nacre ont pris toute la poussière de l'été finissant.
Au dehors un ciel bleu vif d'après la pluie.
Sauf qu'il n'a pas plu la veille.
Des gens seuls passent et repartent avec un sac en plastique dans lequel il y a un repas oriental au goût européen. La décoration tombe en miettes (un peu). Le patron est fatigué.
Moi, pas encore.
Des noms comme Moldavie, Bessarabie, Comrat, traînent dans mon assiette, entre des lambeaux de porc et de légumes.
Pourtant je suis joyeuse et mange de bon appétit mes deux nems, un peu de menthe triste les accompagne et je croque aussi le brin de salade qui va avec.
Depuis l'enfance, manger.
Et lire.
Le reste: vivre avec les visages des gens, leur fatigue, leur colère ou simplement leur présence fugitive.
Rien de tel qu'un lieu comme celui où je me trouve.
Un atelier partagé, en quelque sorte.
Qui me semble tout à coup plus réel que d'autres.
Je ne sais pas pourquoi.


mardi 3 septembre 2019

Non avere paura. N'aie pas peur!


Trois animaux, tous morts avec l’été. Deux chiens, un chat. D’autres ailleurs sont morts, et la chasse a déjà commencé, mais là, dans les maisons d’amis ou la nôtre, trois. Plus un jeune sanglier apprivoisé tué par un vieux chasseur ignorant les liens d’amitié qui peuvent exister entre les humains et les animaux dits sauvages. Certains sourient, moqueurs. Disant : vous n’êtes pas végétarien, que je sache. C’est vrai. Entre deux contradictions, laquelle choisir ? Nous vivons tous ici, de cette manière bizarre, que les pauvres du monde regardent avec stupeur. 600 morts depuis le début de l'année en Méditerranée. 
 
Je ne sais pas écrire autre chose que ça.
Autopompe.SD

À la question, qu’est-ce que la liberté on peut répondre : non avere paura. Ne pas avoir peur.
Pourtant je redoute la mort, celle des proches et des lointains, la mienne, aussi. J’attends de ressentir si fort cette satiété heureuse qui permet de partir. Non pas la lassitude mais la joie d’avoir existé. Lecture d’Alexandra David-Néel vivifiante à souhait. La visite à Digne aura été fructueuse. 

Sur cette fin d’été, quelques mots et images au retour de petits voyages : la chèvre en bord de route, solitaire et indifférente, joyeusement libre, prête à détaler dans la colline, petite chienne en fin de vie morte, papillons pullulant la mort au-dessus des buis et jonchant les places de Digne, collection de terres d’herman de vries, chat amical mourant doucement, animaux et aussi humains comme Eléna qui nous a accueillies simplement chez elle, et d’autres encore. Humains et bêtes. Amie se demandant comment réinventer sa maison pour vivre sans son amour. Troupeau en cascade de clarines et Élisée Reclus, dont le tire Histoire d’un ruisseau m’a encouragée à le lire. Sans oublier l’ami F.F., sa compagne poète et Alexandra David-Néel.
Bilan ? Non, répondre à l’injonction du Petit. 
Écrire pour se souvenir.

 3 septembre