samedi 29 octobre 2016

Aux lecteurs de Sebald d'abord. À tous les autres ensuite.




À qui adresser cette lettre ?
Aux lecteurs de Sebald d’abord. À tous les autres ensuite.

Séjours à la campagne, Sebald. Livre emporté pour ce voyage portugais. Lu, relu. Particulièrement le texte sur Walser qui me met le nez dans mon impuissance à écrire sur Bascoulard. Obstination, comme l’écrit Sebald qu’ont les écrivains vieillissants « à passer à côté de la vie ». C’est une sorte de trouble du comportement que Sebald décrit comme une compulsion maladive, cette « terrible opiniâtreté des hommes de lettres ». L’alignement de phrases et de mots mis ensemble devient si fortement nécessaire que le sommeil même en est rempli. L’écrivain insomniaque dresse des listes, invoque ses dieux secrets, se tourne et retourne sur un matelas de noires pensées sans trouver l’issue qui le libérerait un temps de son obsession.
Mais Sebald meurt avant que ce travers qu’il dénonce si justement ne l’atteigne. Un choc brutal interrompt sa vie en 2001. Je me souviens de mon ressentiment comme à l’annonce de la mort de Thomas Bernhard.
Volée, en deuil de tous les livres qu’ils n’écriraient plus. Voilà ce que j’éprouvais alors. Or, chacun sait que les éditeurs ont de la ressource et n’hésitent pas à publier les inédits de leurs auteurs après leur mort, ce qui console leurs lecteurs et perpétue la mémoire des disparus. Surtout s’il s’agit d’écrivains renommés comme Sebald ou Bernhard.
C’est le cas du livre que je lis et relis, publié en France à titre posthume en 2005. Mais les textes du recueil ont été écrits, comme le dit la quatrième de couverture, quelques années avant la mort de Sebald  et publiés en allemand en 1998. Pourtant, dans l’avant-propos que l’écrivain a rédigé, il écrit qu’il  veut rendre hommage à ses auteurs de prédilection (dont Robert Walser n’est pas des moindres) avant qu’il ne soit trop tard. Comme si.
Hier soir, sentant venir l’oppression nocturne, je suis sortie marcher dans le jardin obscur. Parfums puissants, chants secrets, le paradis poursuit sa vie la nuit à l’insu des humains et de leurs inquiétudes. Sans doute les paons et les oies dorment-ils, mais toute une vie s’agite dans le noir qui n’a rien de menaçant.
Les sons m’ont rappelé que je n’étais plus dans un jardin français. Ici on entend des grillons et les moteurs des véhicules qui transitent par la route de Mértola n’ont pas le même écho sonore. La douceur de la température a quelque chose d’insolite. Inutile de se couvrir pour aller dans la nuit. La maison est plus fraiche que le jardin.
Et moins parfumée.
Sur la route, en Espagne, j’avais remarqué que le pare-brise se constellait d’insectes, ce qui est rarement le cas sur les routes. En France comme ailleurs. Nous traversions une étrange région, ayant quitté la jolie ville d’Almagro et roulions vers le sud.  Nous avions croisé des panneaux qui nous demandaient d’être vigilants : un animal aux oreilles pointues était dessiné dans le triangle bordé de rouge. Il fallait veiller à ne pas l’écraser. Un lynx ! Autour de Mértola, on trouve le même genre de panneau. Et ici les pies sont bleues, superbement bleues. Et tout aussi voleuses qu’ailleurs, a confirmé Louie.
En rentrant dans la maison, j’ai noté sur un de mes cahiers ce que je ne voulais pas oublier de développer aujourd’hui. Si je parvenais à écrire un peu. Dont cette remarque sur la perception sonore d’un lieu. J’aurais pu en parler avec Gabriele, me suis-je dit. Mais en anglais, c’est difficile d’expliquer ce qu’on a déjà du mal à dire dans sa propre langue.
Et ce matin, je n’ai pas retrouvé mes notes.
Il faut dire que j’ai emporté cahiers et carnets en grand nombre. Du coup, même si j’écris assez peu, je ne sais plus sur quel carnet mes notes sont restées. Ai-je cru qu’ici tout viendrait facilement comme si la magie d’un exil volontaire allait ouvrir quelque vanne restée fermée jusqu’alors ? Même la lecture reste difficile. Je lis et relis les guides qui s’entassent un peu partout dans le couvent, et ce, de manière répétitive comme si allait jaillir de cette nouvelle compulsion les lignes espérées. Il n’en est rien.
Seules les lettres quasi quotidiennes me sont venues facilement, peut-être parce qu’elles feignaient de s’adresser à quelques destinataires dont je savais qu’ils étaient prêts à cette lecture, l’attendant avec bienveillance. Et puis, le propre des ces textes étant de raconter, c’était assez facile de les écrire. Au voyageur, il arrive un tas de choses, qui, même si elles sont de peu de poids, deviennent intéressantes une fois racontées. Et joue à plein la magie des distances.
Telle la rencontre de la guide des mines de Sao Domingos dans une boutique de Mértola. Sa voix grave nous a fait nous retourner. Madame comprenez-moi, l’avions-nous appelée entre nous, parce qu’elle répétait cette expression fréquemment en nous regardant dans les yeux. Elle avait fait le choix de nous parler en français, ce qui était pour elle un réel effort. Ses explications étaient ponctuées de comprenez-moi qui rajoutaient encore plus de sérieux à son discours. Sans doute voulait-elle plutôt nous demander si nous la comprenions. Mais nous, sous le charme, nous l’écoutions sans lui répondre autrement que par un silence attentif. Et voilà qu’elle entrait dans notre magasin habituel, là où nous achetons les amandes et les légumes dont nous nous régalons. C’était un événement. Minuscule certes. Mais qui pour nous rapprochait distances et circonstances. Une visite dans les mines de Sao Domingos, lieu porteur de souvenirs douloureux et Mértola où nous logions, son Convento, ses belles maisons blanches, sa douceur. D’un côté un lieu mortifère et de l’autre, un jardin gorgé de vie.
Notre guide nous a salués. Je ne suis pas sûre qu’elle nous ait reconnus. D’ailleurs elle s’est adressée à nous en anglais. Elle venait faire ses courses tranquillement et croiser notre chemin pour elles n’avait que peu d’importance.
Même chose, ai-je pensé, pour les pies. Communes, elles abondent dans nos jardins en France et nous avons tendance à les exécrer pour les vols de grains et de fruits dont elles se rendent coupables et sont coutumières. Mais ici, leur couleur bleue les métamorphose en oiseaux de paradis, si forte est la tentation, pour le voyageur, de transformer ce qu’il voit en petit miracle. Et je n’oublie pas où je suis. Loin de toute toile-texte où broder le nom de Bascoulard à l’envers.
Draluocsab.
Nom si proche du silence.
Et de la frontière.
Là où s’interrompra le chant de Louie.


S.

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