dimanche 30 octobre 2016

Lettre du brouillard qui débrouille l’histoire de Marcel Bascoulard




Mais voilà que tout change. Le brouillard recouvre le couvent. Tout est estompé et mouillé.
Et puis on m’a offert une montre. Cadeau à porter élégamment au poignet.
Désormais le temps m’accompagne partout.
À Mértola comme chez moi de l’autre côté de deux frontières.
Nuit et jour.
De ce côté du monde comme de l’autre.
De jour comme de nuit.
Dans un sens comme dans l’autre.
Tête en haut, tête en bas.
A gauche comme à droite.
On ne choisit pas son temps.
Il nous mesure.
À la différence de nos pas.
Qui vont comme ils viennent.
Tandis que le temps reste identique.
Immuablement mesuré.
Le temps me possède si je possède une montre.
Et non l’inverse dans l’ivresse.

Quant à Bascoulard il va falloir que je me renseigne.
S’il se déguisait sans cesse, se costumant en femme, portait-il au poignet gauche comme moi à présent une montre élégante ? J’ai emporté dans le grand carton à dessin noir une série de coupures de presse où on le voit en différentes circonstances. En cherchant dans les coupures de presse j’ai retrouvé ce texte écrit de sa belle écriture et si plein de cet humour qui le poussait à braver l’opinion commune :

Mes estimables contemporains,
Las ! L’histoire se continue. Le progrès matériel est certainement manifeste, mais la psychologie humaine n’est pas meilleure qu’au temps des plus anciennes races dites civilisées.
Nous mourrons tous, tout au moins, avec la conscience tranquille.
Bonsoir, mes très chers- .

Sur les photos jointes aux articles de presse aucune trace visible d’une montre. D’ailleurs, qu’en aurait fait Marcel Bascoulard ? Il suffit de regarder le ciel et on connaît l’heure qu’il peut être. En 1952, il figure sur une photo qui le montre, très élégant et bien coiffé, à une soirée donnée à Bourges au parc Saint-Paul, la Nuit de l’élégance. En smoking, grâce aux soins de deux frères amis de l’artiste, Marcel Bascoulard fait son entrée dans le tout-Bourges ébahi de découvrir un dandy discret et souriant. Mais on ne voit pas s’il porte une montre.


Monsieur Gutenberg, c’est ainsi qu’on le nomme à Bourges, m’a donné coupures de presse et affiches concernant l’artiste errant  dont il est un fervent admirateur. Sur aucune, comme sur les photos que je possède, le peintre ne porte une montre. Qu’en aurait-il fait ? Gutenberg comme d’autres berruyers a été frappé par la liberté de Bascoulard, sa lucidité intransigeante, son amour de la vie aussi. Malgré tout ce qu’il traînait après lui. La capacité de transformer le malheur de son enfance en liberté n’est pas donnée. Son assassin n’y est pas parvenu, si tant est que ce soit bien Jean-Claude Simon dont l’enfance n’a guère été plus heureuse que celle de celui qui allait lui servir un temps de père adoptif. Une histoire de fils et de pères ratée où la rencontre ne s’est pas faite ? Bascoulard a su remplacer la violence de son père par une forme d’humour et un choix de vie bien à lui. Nul doute pourtant que sa solitude ait été grande, mais il avait su inventer une machine bien à lui pour échapper au malheur. Même s’il n’a pu éviter l’assassinat final, plein de bruit et de boue, provoqué, a-t-on dit, par le supposé magot que le peintre-poète aurait accumulé. Quand on lit l’article de 1978 qui relate l’arrestation de Jean-Claude Simon alors âgé de 23 ans, signé de Francisque Deschsger, on a l’impression que le destin a tenu absolument à croiser les deux existences. Le journaliste se plaît à tresser la vie du « pauvre » enfant avec celle de Marcel Bascoulard. L’assassin est depuis l’enfance un malheureux, sans doute attardé mental, un orphelin adopté marqué par une peur terrible, dit l’article, que sa rencontre avec Bascoulard va marquer durablement alors qu’il n’a que dix ans. Sans doute le journaliste brode-t-il, lui qui décrit le peintre à l’aide de l’expression : clochard fabuleux. Et pourquoi pas céleste tant qu’on y est ! Et on n’en est pas loin en effet. La beat génération n’est pas qu’un souvenir, elle se poursuit et le rédacteur de l’article, peut-être vaguement admirateur de leur liberté, construit un roman où s’entrelacent différents thèmes susceptibles de plaire à ses lecteurs. On lui a donné toute une page et il en profite. De plus sur l’autre page, il a pu collecter de nombreuses photos où l’on voit même le clochard voter. Un petit encadré reproduit en noir et blanc une toile du peintre. En fait, un dessin aux craies de couleur.
En 2014, une série d’articles reviennent sur le personnage de Mercel Bascoulard. Il faut dire qu’il fait partie des dessinateurs que montrera Frédéric Pajak dans une exposition à la halle Saint-Pierre. Ses dessins voisineront avec ceux de Tal Coat, Valloton, Alechinsky et bien d’autres dont Victor Hugo. Le petit peuple de Bourges se rengorge et ceux qui ont eu la chance d’échanger un peu d’argent contre un dessin se rendent compte qu’ils ont acquis un trésor pour trois fois rien. Il n’y a qu’à aller sur le bon coin pour s’en rendre compte, m’a dit une amie. Le journaliste a choisi comme titre : Bascoulard superstar début 2015 à Paris. On parle même d’une émission de télévision. C’est la consécration posthume. Impossible de ne pas penser à Louis Soutter.
Ce qui étonne, c’est comment on passe du mépris à l’admiration. Dans les deux cas, la mort est nécessaire. Elle permet la distance et l’oubli. Les infréquentables d’hier sont des artistes à part entière, une fois enterrés. Leur œuvre peut être considérée à part entière et surtout, estimée à sa valeur artistique marchande. Quelques années suffisent. Et hop !
Il y a cependant des différences entre Soutter et Bascoulard. L’un a été mis sous tutelle et a vécu dans un asile de vieillards une partie de sa vie, même s’il s’en échappait souvent et n’y était pas prisonnier. Bascoulard est resté libre toute sa vie, arrêté une fois par les Allemands en 1942, mais vite relâché, a comme Soutter pu exposer ses œuvres de son vivant, une fois à Paris en 1937 et une autre fois à Bourges en 1968. L’autre différence, c’est leur origine sociale. Bascoulard était irréductiblement pauvre et fier de l’être. S’il aimait les tissus, il n’était pas amateur de beau linge comme Louis Soutter, toujours prêt à des achats somptueux. Et s’il apparaît tel un dandy à la Nuit de l’élégance en 1952, c’est grâce à la bienveillante attitude des frères Legrand qui lui offrent le smoking de leur père. « Il avait pile-poil les mêmes mesures que mon père », a confié Pierre Legrand au journaliste.


Aujourd’hui nous avons changé d’heure.
De ce côté-ci du monde.
Et de l’autre.
Sans doute pour ça que tout est blanc et rayonne doucement.
Je file à Mértola chercher du pain.
Ici pas de four, pas de pain.
Une habitude abandonnée le temps de l’écriture.
Je pétris une autre farine.

 SD

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire