jeudi 20 octobre 2016

Lettre aos namorados


Namorados,c'est le nom d'une colline, ici. 
Je peux commencer par ce mot pour écrire cette lettre portugaise.
Je suis ici pour travailler.
Pour ?
Travailler.
Au Paradis ?
Mais oui, ici, tout le monde s’agite ici pour faire vivre ce paradis.
Louie le jardinier, son frère Christian l’ingénieur, leur mère, Geraldine qui en plus d’être artiste, est herboriste.



Il est normal que je travaille dur pour mériter d’être admise au Paradis.
Non ?
Que je finisse l’histoire du fauteuil de Bosseigne par exemple.
Le lui faire retrouver ?
Non, je ne crois pas que ce fauteuil puisse lui apporter le bonheur.
Aucun objet d’ailleurs. Même pas ce masque africain qu’il a acheté pour se garantir de la folie.
Et le Paradis ?
Je voudrais énumérer ce qui fait de ce lieu, un couvent en partie ruiné et en partie rénové, une sorte de Paradis, un fragment peut-être détaché d’un ensemble plus vaste et parfait. Ici certains murs sont écroulés mais on a reconstruit les anciennes canalisations maures et remis en état la noria. Deux pigeonniers supportent vaillamment d’immenses nids de cigognes. Et dans les jardins, les paons se reposent à l’ombre des citronniers et des orangers.

Seulement trois personnes pour redonner vie à ce lieu ?
Oui.
Et des gens de passage comme moi. Venus ici pour travailler.
Romain l’ethnologue, Gabrielle, l’artiste du son.
Et moi, à tenter de finir une histoire, celle d’un homme qui espère que son fauteuil lui sera enfin rendu. Une histoire de désir et de déception.
Et aussi à tenter l’impossible, illustrer le livre d’un ami anglophone sur la langue française. Dix dessins. En tremblant, les exécuter ?

Le bonheur ici marche de haut en bas, vers le Guadiana, les ruines, ailleurs, partout, marcher donne de la joie. En même temps que l’écriture, je retrouve la souplesse du corps.
Bonheurs que donne le jour : aller boire un café au village, arpenter ses rues en pente, regarder les gens qui ont l’air assez contents de vivre là, entrer dans l’atelier de tissage où les deux femmes les plus âgées parlent français parce que l’une a travaillé en France et l’autre en Suisse. La plus jeune, fine et très jolie, parle anglais seulement. Toutes trois réalisent des merveilles.

Dans la bibliothèque impressionnante de richesses multiples, je trouve facilement l’œuvre de Sophie de Mello-Brayer et la correspondance amoureuse de Pessoa et Ophelia. Assise à une table, je lis un peu et suis frappée par le ton des lettres du poète si différent de celui de sa correspondante : elle semble beaucoup plus amoureuse et inquiète de perdre son amour que lui. Je suis heureuse de parvenir à en déchiffrer quelques-unes. Je pense aux lettres de Kafka. A la distance. A l’éloignement. Dans la proximité. Ce que permet la lettre.

Au Café Guadiana, le patron est doux et gentil. De la terrasse, on peut observer à loisir les rues et les gens qui se croisent. Il se passe tout le temps quelque chose. Et demain soir, me rappelle Gabrielle, nous allons au théâtre écouter Viviane. Je ne sais pas si c’est une chanteuse, une conteuse…Mais nous irons, tant le joli théâtre bleu et blanc, de style délibérément mauresque, est contribue à l’impression d’une vie culturelle intense. Je sais qu’il n’en est sans doute rien, que Mértola se vide de sa jeunesse comme beaucoup de villages de l’Alentejo, mais il y a ici une certaine vivacité qui fait espérer à un renouveau.
Les rues portent des noms de poètes et on a élevé ici une statue équestre à un poète Almohade. Tout le monde ici semble fier de ses origines multiples.

Rien ne manque. Pour l’instant.
La douceur de la température est apaisante.
La blancheur des murs rend inutile le désir de neige.
Les aimés ne sont pas si loin que leurs visages disparaissent.
Nous dormons dans une moustiquaire comme dans un berceau.
Tout est là.
Au Paradis.

On cueille du romarin, de la sauge et du thym.
On rêve de tremper ses pieds dans l’eau.
Demain.
Et ce soir, les moulins à eau sur le Guadiana.
Sans oublier menhirs et dolmens.

Paradis odorant et doux.
Seulement troublé par l’appel des chiens.
Et parfois on entend le léger clapotis de l’eau qui s’écoule.
Et on attend la pluie.

Demain ?




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