lundi 22 janvier 2018

Amer tu me/ quinquina/ en trois syllabes



Et puis ce mot qui tombe.
Un mot lourd en trois syllabes.
Pas un de ces mots courts que nous aimons, le Petit et moi.
Non.
A-mer-tume.
Un peu apophtegme.
Mais la mer.
En une seule vague à l’intérieur.
Un goût aussi.
Sur le bout.
De la langue.
Et ce tume, qui finit mal, tu meurs.
Amertume.
C’était le mot donné en atelier d’écriture.
Fallait écrire là.
Là, sur ce mot.
Dur, a dit la dame qui devait écrire.
Impossible, en trois syllabes.
Je n’ai pas.

Alors rien.
Texte blanc, sans la couleur jaune.
Du quinquina, le goût amer.
Plante miracle.
Bue chez qui ?
Pas le goût, non.
L’échec, oui.
Amère fin de vie.
Dit encore la dame.
Tout ce que.
Je n’ai pas.
Tout ce qu’on.
Ne m’a pas.

Après, ailleurs, quelqu’un demande :
Pourquoi tu ne vis pas à Marseille ?
Marseille a-mère, sans mère, oui.
Avec, impossible.
En trois syllabes. Déjà dit.
Mal le dit.

Fil, fils.
Monosyllabiques, toujours.
Mer, air, vent.
Ville.

Une voisine, à Marseille, quand nous vivions aux achélèmes des Tilleuls, est morte en avalant des aiguilles, petite couturière sacrifiée à la cause des fils.

 Et je voyais l'autre petite couturière, aiguilles aux dents, en train de surfiler la jupe qu'un jour je porterais pour danser le flamenco.
Qu’un jour je porterai.

La question du futur se pose toujours quand nous écrivons au passé.
Je n’ai aucune réponse.
Je file.
Je vais. Où ? Ne sais.
Mais j’irai.
Sans moi ?
Sans toi.



mercredi 17 janvier 2018

Femmes et chiens (un récit)


Femme et chiens,
une tentative de photographie rêveuse

« Pourquoi me mouvoir malgré moi,
pourquoi ne puis-je être immobile ? »
Pablo Neruda, Le Livre des Questions

 « Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes. »
Rosa Luxembourg
D’abord laisse-moi te montrer la femme.
D’ici tu l’aperçois.
Elle n’est pas seule. Jamais. Elle vit entourée de chiens. Tous malades, estropiés, rescapés d’on ne sait quel enfer. C’est la raison de leur adoption. S’ils étaient des chiens normaux, ils n’auraient pas besoin d’elle.
Sa cabane, ou sa maison si tu préfères, a la forme d’un abri de fortune. D’infortune, plutôt. Cette femme, maintenant tu la vois.
Pas jeune, pas vieille.
Au milieu de ce terrain nu et à côté de la cabane, avec les chiens, par tous les temps, elle vit. C’est une étrangère mais si intimement liée à la nature minérale du lieu que personne ne dirait ce mot en parlant d’elle.
Comme ses chiens malades et estropiés, la femme est recueillie par les gens du village. En silence. Sans déclaration d’amour réciproque.
Non qu’elle manque de quoi que ce soit et encore moins d’argent.
Le dénuement lui sied.
Et les chiens.
Leur présence autour d’elle, qu’ils soient petits ou très gros, sur trois pattes ou se traînant à même la poussière, est un réconfort.
Cette femme, je ne la connais que par ces mots, femme et chiens, solitude aussi.
Mais aussi par celui-la : mère.
Ou encore plus aigu : fille, sa fille. Toi ?
Je ne peux décrire davantage parce que je ne suis jamais allée aussi loin.
Mais comme moi tu l’aperçois.
Et ses yeux comme des flèches, tu les vois.


Un peu plus loin de nous, regarde : un homme sans bras droit.
C’est étrange parce que cet homme écrit. Il se sert de sa main gauche mais il dit qu’il est droitier. Il écrit presque avec aisance.
Des ordonnances.
Ce bras absent, j’ai mis du temps à voir qu’il manquait.
Non pas à cause de la prothèse.
J’étais si malade de peur que je n’avais rien remarqué. Je ne voyais rien.
Cet homme écrit de la main gauche en tenant son papier avec sa main droite, une prothèse.
Et moi, je lui souris, aujourd’hui j’ai moins peur. Nous échangeons nos impressions. Je lui donne mes livres. Il dit qu’il les aime. Il lit la nuit.
Cet homme veut écrire des romans, je crois, et le faire dans un aéroport. Il dit qu’il aime les salles d’attente.
Pas toutes. Celles des aéroports, oui. Des hôpitaux, non.
Moi aussi je lui avoue que j’aime beaucoup ces lieux de transit que sont les salles d’attente des aéroports. Celui de Tunis par exemple.
Cet homme manchot ne dort pas beaucoup la nuit. Il a des insomnies.
Il lit la nuit.
Ce qui ne l’empêche pas de soigner les autres malades le jour.
Ce qui lui manque sans doute le relie à ceux qui, malades, viennent le voir et à qui la maladie est en train d’enlever une partie d’eux-mêmes.

Plus loin. Cet homme n’a plus sa jambe gauche.
Est-ce que tu l’aperçois ?
Il est plus jeune que les deux premiers.
Mais lui a été très malade.
Et on lui a coupé la jambe. Amputé.
C’était un sportif. Très actif.
Maintenant il est un homme à qui manque la jambe gauche.
Il continue à soigner les gens qui viennent chez lui pour souffrir moins.
C’est un bon thérapeute. Il sait se taire et écouter le corps impuissant de ses malades.
Comme tous les malades et les soignants, nous nous voyons le jour. Uniquement.
Il est plus jeune que le médecin écrivain des aéroports. Je ne sais pas s’il serait tenté par l’écriture et le voyage.
Tout son être est fait de silence. C’est un homme grand et bien bâti.
La maladie lui a enlevé une partie de lui-même.
Maintenant il travaille à réparer d’autres hommes.
En silence. Légèrement souriant. A peine.

Ces deux hommes sont mutilés.
Ces deux hommes soignent d’autres hommes.
On a soigné leurs blessures, on a cautérisé les plaies.
Puis on a fabriqué des prothèses pour remplacer les membres manquants.
Ils vivent cette absence avec élégance. Comme des mathématiciens devant une équation parfaite, ils s’efforcent de se déplacer avec légèreté.

  
Sur le poteau, regarde : recherche perroquet apprivoisé.
Je ne sais pas ce que signifie la disparition des membres des deux  hommes dont je viens de te montrer la silhouette.
Ni le retrait de cette femme au milieu de chiens estropiés.
Mais la disparition du perroquet a-t-elle un sens ?
Son étrangeté d’abord : un oiseau prisonnier a retrouvé sa liberté.
Tous les oiseaux sont mobiles et vont et viennent.
Quelques-uns sont encagés, non parce qu’ils auraient perdu une aile mais parce qu’un humain en a décidé ainsi. Ou alors retenus par une chaîne. Bagués.
Ce perroquet, que fait-il de sa liberté ?
Que va-t-il perdre maintenant qu’il a regagné le ciel ?
Comme moi, tu n’en sais rien. Nous levons la tête. Rien. Des faucons tournent autour de nous, nuage rose et doux du saint-Esprit. Eux n’ont pas la parole et ne sont pas attrapés pour leur mimétisme. Ils volent très haut.
Que cherchons-nous qui manque ?
La jambe de l’un, l’amour de l’une et le bras de l’autre ?
Je ne sais pas plus que toi ce que signifient ces histoires mises bout à bout. On me dit : ça n’a pas de sens.
Je vois tout de même une direction : tête renversée vers le ciel.
Ou un chant baroque de lamentation qui devient peu à peu chant de joie.
Les couleurs du perroquet ont envahi nos pages. Ce qui te fait sourire. Flaubert avait aussi son perroquet, il en a fait don à ses lecteurs dans Un cœur simple, un perroquet empaillé devenu l’incarnation du Saint-Esprit. Nous fait-il sourire, ce pauvre volatile aimé de la servante Félicité ?
Il nous faut garder ici un peu de place pour le silence.
Sauter une ligne, peut-être.
Regarder les jeunes filles sur la terrasse de la maison, en train d’équeuter les haricots verts, mettant d’un côté les déchets, petite montagne verte, et de l’autre, dans le grand saladier bleu, les haricots prêts à cuire. Admirer les gestes gracieux et les bavardages. La main qui découpe avec précision et rejette ce qui n’est pas  bon. Puis à nouveau revenir à l’intérieur.
Ton sourire est droit, comme toi, tu l’es. Et j’ai besoin de ce regard-sourire qui me fait continuer à raconter ce que certains croiraient sans queue ni tête.
En tout cas le perroquet disparu nous fait sourire alors que quelqu’un se lamente de sa disparition. Ecrit un avis de recherche, le colle sur les poteaux électriques et les vitrines des magasins. En vain.
Ni la femme aux chiens si lointaine, ni le médecin au bras coupé, ni le soignant à la jambe manquante ne le plaindraient. Mais plutôt se réjouiraient de l’envol de l’oiseau de feu. Comme nos chers faucons crécerelle.
Je vous emmène à Sfax, dit la radio musicale que j’écoute.
Une fille est en ce moment à Sfax. Peut-être le perroquet a-t-il volé jusque là et le vois-tu, au-dessus des arbres hésitant à se poser. En tout cas, d’ici, si loin, nous l’apercevons et nous rions de ses hésitations.
Un perroquet à Sfax, quelle incongruité, diront les plus raisonnables. N’est-il pas le seul oiseau à savoir dire Ave Eva, Eva Ave ? C’est la raison pour laquelle il figure parfois sur l’arbre de la connaissance, entre Eve et Adam, comme par exemple dans le tableau du Titien.
Mais toi, comme moi, aime ces petits décalages qui permettent d’entrer dans un royaume mystérieux dont la clé se cache dans le plumage coloré d’un oiseau bavard, dans la prothèse inerte d’un malade ou dans les aboiements de chiens estropiés.
La grammaire nous aide dans ces moments entre les mots, entre les phrases même.
Nous glissons d’une langue à l’autre, de celle psitacosique du perroquet à celle, mutique, des prothèses en tous genres.
De disparition en disparition.
Tête renversée vers le ciel.
Nous rêvons.



lundi 15 janvier 2018

Un chant pour le visage?

Peter Handke (encore), Kali.
Je n'ai toujours pas retrouvé dans la maison son dernier livre, l'essai sur les champignons.
Envolé, disparu.
Invisibilité des mots, du papier.
Dans Kali, je trouve ceux-là :
"Et toi enfant, tu vas nous raconter. Raconter jusqu'au soir, jusqu'à la nuit. Car tu as désormais quelque chose à raconter, n'est-ce pas? N'est-ce pas? on ne sait jamais."
ils répondent à une rencontre faite hier et à la question du visage.
Un enfant assis près de nous dit qu'il ne veut plus de son visage.
Il dit : les autres voient un visage d'autiste quand ils regardent mon visage.
Je n'en veux plus.

Le visage depuis longtemps est une question.
Pour les philosophes, les théologiens, et pour les peintres.
Non seulement sa représentation, sa ressemblance avec le modèle, mais aussi comment porter son visage, comment le reconnaître, comment y échapper enfin.

L'enfant a su tout de suite que c'est par le visage qu'on affronte le monde.
Le regard, mais aussi la peau, le front, la bouche, les joues, tout est offert aux autres, dans un miroir dont nous ne verrons jamais l'endroit.
Visage volé, celui qu'on ne connaîtra jamais, celui que les autres voient avant nous.
Il le répète, l'enfant aurait aimé changer de visage. Ne pas être reconnu pour ce qu'il est aux yeux des autres (enfants, adultes).


Et au milieu d'une foule qui met un peu mal à l'aise les gens comme lui, on se prend à espérer devenir invisible. Voir mais ne pas être vu. Quelqu'un assis à côté de nous dit : où sont les plus jeunes venus écouter de la poésie? Et on aimerait avoir un autre visage, d'autres cheveux, d'autres joues que ceux entrevus dans l'assistance dont on fait pourtant partie. Un instant, on ne veut plus de ce visage que les années ont collé sur le véritable, resté en arrière du temps. Comme l'enfant, on voudrait ne pas être vu pour ce que les autres croient que nous sommes. Et la question posée enfant à un prêtre revient, qui l'avait fait sourire : si on est ressuscité, ce sera à quel âge ? Au moment de notre mort ou on pourra choisir ? Le prêtre avait éludé la question.

Lequel de nos visages est le véritable?
Les visages des gens que nous avons connus plus jeunes accusent le nôtre.
On dit, accuser le coup.
Le coût du temps sur les visages?
Une amie malade me confie qu'elle ne retrouvera jamais son vrai visage.Il est perdu.  C'est le mot qu'elle emploie. Perdu dans les gonflements des traits. À cause des traitements. Les yeux eux-mêmes.
Je n'ose lui dire à quel point je trouve son nouveau visage étrangement distant de l'ancien.
Ni combien me touche la métamorphose.
Papillon redevenu chenille?

Visage enfariné, disait ma mère à propos d'une voisine qui s'efforçait de lui être agréable. Double face, disait-elle aussi.
Et parfois on ne sait que faire du visage qu'on a, de la voix qui nous reste, du corps aussi, malmené.
Il arrive qu'on oublie tout ça et qu'on se tienne, un peu à l'écart, croyant à sa jeunesse, au regard intact, à la souplesse de la peau.
Et un enfant près de vous dit:
je ne veux plus de mon visage.
Il ne me ressemble pas.

Alors on joue avec un autre enfant, le Petit.
Les yeux : pour regarder.
Le nez : pour sentir.
La bouche: pour mentir.
Les joues: pour les baisers.
Les oreilles: pour écouter.

Un visage?
Le chiffre cinq?
Je cherche des yeux les gens qui marchent sous les arbres en fleurs.
Et si j'entends leurs voix, je ne vois pas leurs visages.

Et en tout dernier j'entends tout de même encore une voix se mettre à chanter :"Ah, quand un enfant se met à raconter : marche de gens sous les arbres en fleurs..."






samedi 13 janvier 2018

Écritures de pierre (suite)

L'herbe trace le sentier.
Sans issue?
Je le suis.
Chien roux derrière moi.
Puis.
Nous sommes assis tous les deux dans le pierrier, recherchant la vraie blancheur.
Un taureau émerge du calcaire.
Je l'empoche.



Autre chemin, plus large. L'herbe repousse.
Douceur presque tiède.
Sous les pieds bien chaussés, plaisir.
Aucun troupeau, aucun travailleur en vue.
J'erre dans les vallonnements des prés, en compagnie du Blond.
Ma silhouette traverse. Me traverse. Traverse le paysage.
Ne modifie rien. S'efface.

Plus loin je découvre des arbres en train de greffer.
Le paysan est invisible, pourtant les arbres courts portent plusieurs greffons.
Des merisiers sans doute. 
Deux soutiennent un hamac fatigué.
Sans personne pour s'y reposer.
J'ignore pourquoi ce que je vois d'abord, c'est l'absence ici.


Et découvrant greffons et hamac, j'imagine le jardinier.
Mais il s'est absenté. Pour un autre travail, un autre repos?
Il n'y a personne.

Le chien et moi remontons vers la maison.
Déserte elle aussi.
Les ombres des pins s'allongent.
Je cherche encore à voir ce qui ne se montre pas.
Comme ce taureau sur la pierre.
Y est-il vraiment gravé ?
Il faudrait les lumières de quelque Gwen Rigal.
Sur la table pourtant, l'animal et la pierre ne font qu'un.

Nous partons demain.
Un poète que nous sommes allés écouter à Banon clôt sa lecture :
"Maintenant allons nager."
Ce sera donc le ciel. Où nager.
Mains se tenant.
La mer enneigée de nuages à venir.
Le corps salé de plaisir.
Demain?


vendredi 12 janvier 2018

Marseille-Redortiers

Aujourd'hui, marchant au bout du monde, j'ai rencontré un chasseur.
En fait plusieurs chasseurs.
Un seul venait de Marseille et la mer lui manquait.
Au pays des pierres, des hêtres et des chemins qui bifurquent, l'homme voyait la mer devant lui.
La mer me manque, a-t-il dit.
Il ne chassait pas vraiment.
Fusil à l'épaule, il attendait ses beaux-frères.
Et un lièvre.

Avant de croiser la route du chasseur, nous avions découvert un lavoir extraordinaire alimenté par une source qui avait coulé tout l'été malgré la sécheresse. Et qui coulait là sous nos pieds.
Une petite mer verte et claire comme une huître. Presque.
Depuis Redortiers, un chemin descendait jusqu'au lavoir.
Dans une perfection de silence et de désert.
Un chemin avait été aménagé à l'aide de pierres blanches pour aller chercher l'eau.
Chemin presque intact. Les murs de soutènement en partie seulement écroulés par endroits.


Tout est fini. On ne vit plus à Redortiers depuis longtemps.
Des hommes travaillent toujours les terres. Lavandes.
Et chassent.
Et pourtant la commune de Redortiers-Contadour est immense sur la carte du pays.
Plus que pays bleu de lavande, pays blanc de pierres.
Roux de hêtres et de chênes.

Ici se tint un rassemblement utopique autour de Giono. Quelques étés.
Au lieu dit Les Graves.
On y écoutait de la musique baroque allongés sur un pré.
Presque cent personnes certaines fois montaient jusqu'ici.
On y refaisait le monde jusqu'à ce que la guerre déboule dans le paysage.

La montagne qu'on voit de loin apparaît à l'horizon, vers l'est.
Blanc récif au-dessus des plateaux.
En face de la petite mairie du Contadour, existe une stèle qui rappelle la déportation du maire à Mauthausen où il mourut. Justin Hugou et d'autres habitants cachaient des juifs et ravitaillaient les maquis.
Comme à Montbrun où Jean Pascal fut arrêté, déporté à Mauthausen où il est mort.
Même ici, au désert blanc de pierres et de neige,  on lit le nom de Mauthausen.


Et on croise aujourd'hui des bories intactes et solitaires, constructions de pierre sèche dont les bergers se servaient pour se mettre à l'abri. Lieux d'étonnante perfection pour se protéger de la chaleur ou du froid mordant, de la burle aussi.
Ou pour écrire.
Livres de pierre où le berger Albert écrivit son malheur.
Italien orphelin, né à Marseille, placé à la montagne.
Réformé, célibataire, solitaire.
Ecrivain des pierres, il a semé des phrases au crayon sur les parois calcaires des bories, dressant l'inventaire de sa vie et de sa misère.



Plus loin, nous avons vu des cerfs derrière des barbelés. Une réserve pour des vacanciers invisibles.
Et une autre borie, magnifique de blancheur calcaire, dans le soir. Muette.

Dans ce lointain pierreux, les hommes continuent à marcher sous les hêtres, avec ou sans troupeau, fusil en bandoulière et souriant aux inconnus qui traversent leur champ de vision.
Chasseurs d'étoiles et de mots.
De livres et de cerfs.
D'horizons où surgirait une baleine blanche.

Marchant, presque intacts, nous aussi.
Nous demandant pourquoi une vie entière loin de la mer, loin du désert.
Nous souvenant d'avoir mangé des sardines, dans la colline de Redortiers.
Il y a longtemps.
Avec nos enfants.
Nous demandant.
Ce que le froid vif ramène à la surface du lavoir : petites étoiles vertes d'un savoir inutile ?




mardi 9 janvier 2018

"Il y a que vivre est fait de flottements, qu'on ne fait pas partie..." Michel Bourçon

Nous sommes pris dans l'hiver.
Son vent. La neige qui trace des lignes dans la boue.
Nous sommes enclos.
Les quatre vitres de la fenêtre sont embuées. Au-dessus de nous, le toit vibre.
Et hier soir flocons sur le noir du ciel.

Certains nous ont dit : qu'allez-vous faire dans ce désert et en plus il va faire mauvais?
Oui, qu'allions-nous faire, enclos par l'hiver, après la mer ouverte que nous avions aimée il y a peu, le long des roches de Cadaquès?

Nos bagages étaient prêts.
Bibliothèques volantes.
De la Sibérie à l'Anatolie.
Carnets en tous genres.
Encres de couleur. Plumes?

Tous nos livres en français, même si parlant langues et pays d'ailleurs.
Travaux aussi, en tous genres, d'aiguilles et de mots. Dessins et poèmes.
Images surtout.


De celles qui te font te lever et courir à l'unique fenêtre pour voir où on est le jour.
Puis café et ouvrir livres. (Attraper le Gröll de Christophe Manon par la manche, lui qui sait.)
En même temps que l'Appétit dont Rabelais fait un convive, le désir de lire se trouve ravivé par la lumière blanche du matin.
Ici, au Contadour.

Et dans les livres amis apportés comme trésors ici, s'ouvre le dernier opus reçu du Phare du Cousseix de Julien Bosc : À l'arbre que l'on devient, de Michel Bourçon.
Et cet arbre-là rejoint l'arbre nu, un grand chêne, qui nous fait face et s'offre bravement au vent polaire.


Les loups peuvent venir écouter ce qui se dit dans le poème. Sans crainte. L'homme qui a écrit est plein de cette attention dont nous avons tant besoin, nous les humains et les loups avec nous. Il y a de bonnes nouvelles à entendre. Apprendre que nous faisons partie de la même forêt, peut-être?
Sylve que mes parents ont mise dans mon nom?

"Par la fenêtre, parmi le balancement des arbres chahutés par le vent, il y a le livre qui attend d'être écrit, on distingue, parmi les branches, la silhouette d'un poème, à pas menus, à pas comptés, se découvre et capitule, en souriant au vainqueur."

Ce vainqueur, c'est aujourd'hui le vent glacé qui tourbillonne sur le champ de neige et bataille en éparpillant les mots du poème. Mais la silhouette menue suit sa route, capitulant en apparence et souriant du bon tour joué au désespoir.  
Comment faire? dirait le Petit, oui, comment faire autrement?
Lui, le Petit et le Poème avancent ensemble, les yeux plissés et remplis de larmes à cause du froid, mais ils avancent.
Oui.
Et nous, calfeutrés en silence, avançons avec eux.
Jusqu'au prochain matin.