jeudi 30 août 2018

La mélancolie d'automne est arrivée


Depuis quelques jours, la mélancolie dautomne est arrivée.
Nuit fraîche, drap remonté sous le menton. Fenêtre refermée sur lunique étoile. Nous dormons lourdement. Nous éteignons la lumière sur lété passé.

Photo Milo Semeria

Et nous nous remettons de nos rencontres et lectures en souriant un peu, tête penchée, tête pensive. Une certaine visite a éclairé beaucoup de nos projets. Les mots échangés ont fait circuler plus vite le sang dans nos corps. Manger ensemble a ravivé bien des joies. Et rappelé une marche en forêt accompagné dun chien joyeux et bondissant.
Et voilà que le vent se met à souffler à son tour, chassant lété et les nuages. Reste sur la table le livre ouvert à la bonne page, celle quil faudra retenir, une sur toutes les pages qui font le livre, une qui parle mieux que je ne saurais le faire du travail décrire.
Il y a le sac de mots qui nous est confié à la naissance. Il y a aussi un autre sac. Fait de tout ce que nous ne dirons jamais, de tous ces mots qui ne passeront pas la barrière de nos dents mais que le crayon peut tracer sur la page.
Se rappeler des choses qui nont jamais eu lieu. Qui nauront jamais lieu. Là, peut-être se tient celui qui a en charge le travail décrire. Peut-être.
Jai trouvé de quoi écrire quelques lignes sur des dessins. Bandes horizontales. Venus don ne sait où, des bribes ont traversé létroit espace qui métait imparti.
Tu commences à écrire et tout se complique les points sur les i partent à la dérive et toute la langue les suit comme un seul homme.
ou
Il faut renverser la mer pour en faire un ciel et peut-être irons-nous mieux enfin ?Éviter le piège de la ponctuation ? Remettre en désordre.
ou
Ça na pas commencé ça a commencé sans prévenir ou plutôt dautres signes que des mots lettres une série de points de quoi rendre fous les tenants du point à la ligne mais la virgule a de quoi les tenir en respect tous les affiliés à la règle commune et nous avons fourbi nos dernières armes  affûtant nos crayons alors ça a pu commencer
ou
on aura essayé se dit-on de changer le monde sans y parvenir
ou
parfois on rêve de changer de nom de pays de sexe de corps de visage et de langue
ou
ne pas faire autre chose que refuser ce qui ne peut saccepter
ou
quelquun a dit lart ce nest pas une affaire de femmes alors nous on demande si cest une affaire humaine ?
ou
où es-tu toi que je cherche partout où tu nes pas 

Mais ça ne suffira pas. À faire revenir lété dans la chambre.











mardi 28 août 2018

Une tasse sans anse




Hier lisant Quignard parlant de tasse brisée, aujourd’hui buvant le café matinal tout en lisotant le carnet du grand chemin de Gracq, hop, l’anse m’est restée dans la main et la tasse retombant sur la table a tout éclaboussé jusqu’à mon visage.
Cette tasse n’était pas n’importe laquelle. Offerte par le troisième fils, elle avait sa place avec les autres dans le placard. Suspendue parallèlement à ses sœurs. Il lui sera désormais impossible de les y rejoindre.
« Je chante les tasses isolées », écrit Quignard.
En effet, je ne jetterai pas la tasse offerte.
Pour la lectrice du matin, à quoi bon une anse ?
La tasse peut être utilisée comme un mug.
Sauf que je n’emploie jamais ce mot, qui n’évoque rien d’autre pour moi qu’un brouillard langagier.
Plus loin, l’écrivain continue sa litanie des solitaires, êtres et objets privés d’une partie d’eux-mêmes :
« J’écris soit sur des soucoupes qui ont perdu leur tasse au colleret bleu de la manufacture de Sèvres.
Sur les vieux musiciens à fraise et à chapeau à tube.
Sur les veufs, sur les veuves.
Sur les orphelins.
Sur ceux qui sont nés dans les ruines et leur mère résolument absente. »


La litanie continue. Mais elle commence par une tasse. Il y a d’ailleurs comme dans les livres de Sebald une photo à l’appui, tasse précieuse de fine porcelaine, sauf que ce n’est pas la tasse dont l’anse s’est détachée ce matin.
Le ciel est ce matin absolument parfait. Bleu, frais, dégagé. Il engage à chanter, à marcher, à rire même de manière insouciante.
J’imagine que ce sont de tels ciels que traversent des bombardiers au-dessus d’Alep. Et là, se pose tout à coup une question de forme. Dois-je supprimer le début de la phrase ? Ce jeu d’imaginer a-t-il ici sa place ?
À nouveau le ciel.
Ma mère aurait eu 102 ans cet été.
28 août




vendredi 24 août 2018

La caverne et l'enfant aux yeux bleus


Retour à la caverne.
Cave des souvenirs éparpillés que l’on ramasse précieusement pour un enfant aux yeux très bleus.
Ici règne une température égale. Royaume des ombres. Traces et débris que l’enfant observe attentivement.
Il avait dit : les hommes préhistoriques étaient bêtes.
Sur les parois, il découvre le dessin mouvant des animaux peints.
Aucun humain visible.
On lui montre la petite trace de pied enfantin.
On lui explique l’enfant porteur de torche.
Les mains négatives et positives.
Les points rouges, les traits, les traces.
Il pose des questions, agrippe la main de son père, regarde.
Il met son petit blouson à capuche. Sourit dans le noir.
Son père l’a pris en photo avec le mégacéros et l’ours des cavernes.
Pour la mère de l’enfant. Pour le souvenir d’une visite prévue de long temps.
Que voulait-on lui montrer ? La beauté ? La puissance du dessin caché au fond d’une grotte pour les temps à venir ? Je ne sais pas mais je voulais qu’il voie ces dessins, cette force du dessin, ces animaux et aussi sans doute, l’absence.


Pourquoi, a-t-il demandé plus tard, il n’y a pas d’humain dessiné ?
C’est la bonne question.
On n’en sait rien. Alors on imagine.
Soudain nous le voyons pour ce qu’il est.
Un enfant, doué de paroles, et d’une vie à venir.
Encore libre et avide.
Le Petit ne nous a pas accompagnés dans notre voyage. Il a pleuré puis a dit, je viendrai quand je serai plus grand. Interrogation et prière. Qu’aurait-il vu dans cette obscurité ? Plus tard on a raconté l’histoire préférée de son père, Riquet à la houppe et je lui ai montré mon anneau d’invisibilité.
Voir, ne pas voir.
Le Petit à son tour visitera la caverne.
La caverne raconte beaucoup d’histoires muettes. 
À son tour, il les entendra.
Et plus tard encore, il les racontera.
22 août







mercredi 22 août 2018

titre du tableau: la visite d'un ami



La visite d’un ami est toujours une surprise, même si elle était annoncée.
L’ami est là et raconte les conversions de cours d’eau dont un possède un nom si petit, alors qu’il est puissant, qu’il fait sourire.
L’ami prononce des mots comme retrait, réserve, conversion.
Il explique ce qui est en train de se produire et nous le comprenons d’autant mieux que nous sommes ses contemporains. Il raconte sa première année de retrait. Et c’est un voyage qu’il raconte. Vers le Nord. Comme Char écrivant que la source est en aval du fleuve, Jean avance dans le canton des trois-lacs et croise Rousseau et Walser. Nous ne lui racontons pas notre petit périple sur le lac et dans l’île saint pierre qui n’en est plus une, puisque reliée à la terre par une route. Ni comment nous sommes montés dans la chambre qu’occupa Rousseau dans la grande maison, aujourd’hui une auberge, et où, nous a-t-on affirmé, rien n’a changé.
Sebald se joint à son tour à Walser et Rousseau pour accoster sur l’île saint pierre.
L’ami évoque saint augustin (et un tableau le réprésentant dans son studio, le regard tourné vers la fenêtre et le chien à ses pieds) qui réclama dix jours avant de mourir.
Nous en sommes arrivés là, dit J.P.
Le marcheur qu’il est sait bien mieux que moi où nous mène la marche en avant. Et la question reste pendante, avant de mourir, celle qui vient aux lèvres du mourant, a-t-on bien refermé la porte du poulailler ?
Quand nous partons à la retraite, nous ne pouvons plus ignorer l’issue du chemin. La barrière refermée, au loin, mais si proche maintenant de nous. Le besoin de voir devant soi s’étendre le temps prendra fin lui aussi. Evoquant son fils et la grâce qui l’anime, il dit ce qu’il ne peut plus faire désormais avec son corps. Disant cela, Jean sourit, sans tristesse ni regret.
Aujourd’hui, ce matin, grâce à la visite de l’ami et de tout un pan de sa vie venue avec lui, entré dans notre maison, j’ai pu regagner l’espace de la petite caravane et poursuivre ce qui a été commencé. Malgré mes pieds douloureux, malgré la chaleur pointant son nez et grâce aux paroles échangées, même si je n’ai le plus souvent qu’acquiescé à ce qui était dit.
Le mot conversion a été utilisé plusieurs fois et jamais, malgré l’évocation du saint, dans un sens religieux. Les fleuves peuvent subir des conversions et c’est ce qui est arrivé à l’Aar dans la région des trois-lacs, ce qui explique que les eaux ont baissé et que l’île saint-pierre n’en est plus une. L’ami marcheur nous a expliqué aussi un phénomène étonnant de reflux des eaux dans le lac de Neuchâtel.
Même émotion ressentie que lorsque, invitée à Rovaniemi dans une famille finlandaise, j’avais eu l’impression d’être parvenue à quelque chose que je croyais impossible. Et voilà que, grâce encore une fois à l’amitié, je ressentais une grande joie, accueillir cette fois un écrivain en marche, voir se dessiner sous nos yeux ses courses et rencontres, la part de l’eau et des mots, l’écoulement du temps entre nous, les humains, et la formation des paysages modelés par l’histoire, le livre enfin qui serait bientôt publié.
Ce que j’aime aussi, dans la cabane, ce sont les ombres qui jouent sur la table et le lit, ombres lumineuses que le vent fait frissonner sur les parois de la caravane. Le bruit du vent aussi, et même celui des voitures qui ralentissent avant d’emprunter notre chemin de terre. Un isolement au milieu des arbres, non loin de la route et du chemin, tout près de la maison, dans une maison sur roues qui sans doute ne bougera plus guère. On peut entendre, sans être vu, les voix de ceux qui sont là, certains travaillant, d’autres jouant non loin de la petite cabane de Thoreau, et l’ami Jean évoque le livre qu’il a emporté avec lui dans ses pérégrinations, et je me demande ce qui nous pousse à toujours vouloir aller plus loin.
Beaucoup de noms de lieux et tous dans la région des trois-lacs ont rafraîchi la géographie matinale.
21 août

mercredi 15 août 2018

Caffè degli Specchi a Genova


Parfois un rien ramène le sourire sur un visage : un tournesol dans un champ vide. Trois cigognes envolées au-dessus de la Crau. L’herbe verte sur les pentes du Pharo, ou aux abords du fort saint Nicolas et puis, par dessus tout, la mer, à Marseille. Le regard circulaire qui va de la pointe de la Couronne au Pharo, les noms délicieux à entendre et à lire de malmousque, maldormé, bains des dames, roucas blanc ou sormiou, pormiou, litanie heureuse qui se clot avec en vau, subitement ravive un pan de la mémoire. Catalans, ajouterais-je, pour le comte de Monte Cristo.
Puis un pont s’écroule.
Emportant avec lui le soleil et la mer.
Réveillant d’autres souvenirs, d’autres noms. Caffè degli Specchi.
Qu’est-ce qui vient alors vers nous ?
La nuit seule.
Le vent qui transforme la nuit d’été en nuit automnale fait frissonner d’on ne sait quelle peur.
Ce qui est arrivé se noie dans les gravats.
On ne sait pas ce qui est arrivé.
On regarde bras et jambes que le soleil a brunis. Intacts.
Pour le moment.

On pense aux amis envolés en Amérique. Aux avions. Les silencieux très haut, les
légers qui font sourire, les violents bruyants.
Et on se souvient de ces trois petits mots écrits sur un livre d’enfant : le petit oubli.
Ce qui arrive aujourd’hui, qu’est-ce que c’est, si ce n’est encore une fois le rappel de la ressemblance entre deux villes aimées et la douleur entre elles, et la mer ?
14 août


lundi 13 août 2018

La cabane de Thoreau




La cabane de Thoreau
n’est plus dans les bois autour de Connor
Mais à Boulbon
dans un jardin planté d’arbres
tulipier ginko biloba saules
clérodendron murier de chine
magnolia d’Anatolie

Arbres d’alentour
 amours de loin

dessin SD
La cabane a deux roues aux pneus neufs
Ne bouge seulement si le vent souffle
De là où se tient celle qui écrit
elle voit un oiseau des insectes
entend des tracteurs et des autos
s’approche de ses amis écoute
la scie des cigales en été

La cabane tangue à peine quand on y monte
ou en sort
d’un côté un lit
de l’autre une table
et le vent
le vent sans qui
aucun poème
ne s’écrit

Ici
on n’aime pas
les gens de caravane
alors j'écris cabane


mercredi 8 août 2018

Une chambre à Milič, à dix kilomètres de Trieste


Si on écoute le son des jardins, la guerre minuscule est en cours.
Les fourmis attaquent les vers de terre et les cigales, pendant que les frelons enragés cherchent des proies. Tout s’agite de manière cruelle. On cherche en vain un coin où se réfugier qui serait épargné par les vrombissantes armées de mouches et de guêpes.


Alors on reste là, à attendre qu’il fasse plus frais.
On est sans nouvelles du monde majuscule. La mer parle au loin sa belle langue, mais nous n’irons pas aujourd’hui, ni demain.
Le chien se meurt tranquillement à mes pieds. Se meurt vraiment, en prenant son temps. Une amie lui a chuchoté qu’il pouvait se laisser aller et partir. Je crois qu’il attend le 15 août, date à laquelle le chien bien aimé, Vadim, est mort il y a quatre ans. Lui-même étant arrivé chez nous peu après, chien perdu, abandonné, délaissé.
« C’est en écrivant qu’on devient écriveron… », et c’est en vivant qu’on devient humain, pourrait-on ajouter pour suivre la ligne donnée par Guillevic.
Nos hôtes sont partis vers la Bretagne et ensemble, avant leur départ, nous avons regardé des cartes et écrit des noms, Douarnenez, Quimper, Vannes, Lorient et à leur tour, sur un papier gris de chez jacques brémond, ils ont noté Milič, près de Trieste, village slovène, ai-je demandé, oui, nous sommes tout proches, a dit Andrea et j’ai rapidement vu passer la silhouette de p.h. et je l’ai entendu marmonner la Zone, ne pas y aller, mais c’est de l’autre côté, ai-je failli lui répondre à haute, voix, en Espagne, mais il avait déjà disparu et nos hôtes nous ont serré la main et sont partis, eux aussi.

J’ai pensé à une chambre ouvrant sur un paysage où la nature serait à la fois sauvage et apprivoisée par l’homme. Une maison très petite avec une seule pièce au carrelage rouge.
Une chambre fraîche.
Où il serait simple de dormir et rêver, se réveiller et partir en promenade.
A Milič, peut-être, à quelques kilomètres au nord de Trieste ?
8 août

dimanche 5 août 2018

10 000 pas vers la grotte Chauvet?



 10000 pas.
La montre intelligente dit tu n’as pas marché le nombre de pas réglementaire.
Entre les rangées d’arbres, marcher n’est pas tout à fait avancer.
On revient en arrière, on cherche entre les haies un passage.
Les ornières sèches tordent le pied.
On presse le pas. Chacun nous rapproche de la grotte où nous aimons aller. Mais c'est encore loin, Chauvet et le Pont d'Arc.
Ici, loin des grandes falaises calcaires, il y a une géographie du cercle parce que nous sommes en plaine et que l’agriculture a imposé ses règles aux chemins. On passe et repasse aux mêmes endroits. En boucle on revient vers la maison. Ai-je marché assez pour aujourd'hui?


Je ne compte rien si ce n’est de temps en temps un rapace, des pies, un écureuil.
Quelques papillons parfois. Les libellules viennent autour.

Je n’ai pas de montre intelligente et mon cœur s’emballe souvent.
L’étau de la chaleur nous enserre tous dans une migraine indolore.

Le livre ouvert soupire en italien Voi che entrate. C’est en français traduit de l’américain que s’ouvrent des tunnels dans la ville de Paterson. Et dans le cerveau embué de chaleur. Renouant avec l’auteur portugais du texte traduit hier, je peux dire que tout ce que j’essaie d’entreprendre me lasse et m’ennuie. Quand je n’écris pas, et que je lis péniblement, le dégoût n’est pas loin. Voilà pourquoi je ne compte pas les pas du matin et poursuis la marche solitaire entre les rangées de fruitiers dont certains arborent des feuillages désolés et d’autres, au contraire, en pleine santé. Les figuiers surtout me réconfortent.

Comme les tout petits enfants, l’avancée de la nuit m’inquiète. Le jour et ses joies sont déjà passés ? Pourtant loin de me sentir joyeuse, j’ai traversé la journée avec effort, trouvant plaisir toutefois au repas partagé, à la recette du pesto mise en œuvre pour A. et B. qui ont envie de manger des pâtes.
Pas un jour sans ?
Dans un de mes poèmes traduit en anglais par l’ami D.Hirson, on retrouve la phrase de Dante, un sésame pour le lecteur : Voi che entrate. Comme la marche du matin, la page écrite se clôt avec ces mots : lasciate ogni speranza.
Ce soir il y a un espoir d’orage, d’eaux reuisselantes et de pâtes au pesto.

samedi 4 août 2018

Cadeaux, mots et le reste.




Pour recommencer à écrire, lire parfois.
Ce matin, un texte en portugais, ouvre le feu.
Tant est grande la chaleur autour et dans l’écriture en été.
Un vide creusé dans la terre sèche de la fatigue.
La traduction creuse la langue.
Redonne envie de.
Comme un cadeau.
Un nid traversant la frontière d’un vol rapide apaise la maison et fait sourire le Petit. Il y a donc des personnes qui offrent des nids d’oiseau à leurs amies ?
Oui, une amie. Celle qui a écrit l’adresse sur l’enveloppe du paquet.
Une fée.
Un petit colis.
Colibri, chante l’enfant. Lit d’oiseau, bris de plumes. Bruit ?
Il y avait un poème dans le nid fait de noisettes suisses et d’une coquille vide et de mots.
Le Petit connaît le prix des mots. Leurs étranges ressemblances qui nous font passer d’un monde à l’autre, ce que les adultes, mot qu’il répète avec gravité, font très souvent et lui commence à comprendre le jeu : tu écris ou tu cries ?

Quant aux noisettes, ce sont les mêmes que celles qui sont tombées dans l’auge de pierre, ici, dans le jardin.

jeudi 2 août 2018

Des livres de glace, marchant à l'écriture, Morandi, Klaus Mann





Dans la moiteur d’une ville qui aurait changé d’hémisphère, on court ou presque échanger des livres contre d’autres. Certains dévorent des glaces, rêvent d’Islande, se baignant dans l’eau de l’oubli le soir, d’autres lisent des livres de glace.
Journal de voyage de Göran Tunström trouvé dans la maison à livres et emporté tel un trésor.

De la Suède à l’Inde, des voyages et des dessins. L’amie suédoise qui vit non loin de chez nous m’avait dit sa tristesse à l’annonce de sa mort. Elle le connaissait et l’appréciait beaucoup. Le lisant, je découvre qu’il est vivant, prépare un voyage, prend son jeune fils dans ses bras pour lui faire traverser une rivière, prend le thé avec un ami indien, et consigne dans ses carnets ce qui arrive et n’arrive pas.

Et ce matin, après une nuit entourée de feuillages, le réveil a été souriant et je suis  parti marcher, mon Handke filant devant et moi, les yeux bien ouverts à la fraîcheur. Marcher, c’est une évidence, donne envie. Redonne envie. Permet le regard. Une tomate au pied d’un poirier fait sourire, on la ramasse, elle est parfaitement verte. Une tache noire petite encore dévoile son mal. Il fallait la retourner pour découvrir ce qui a poussé quelqu’un à la jeter là. Et on reprend sa route. Entendre et voir dans le même mouvement, encore une fois, l’idée que l’été est ce moment où les sons prennent de l’ampleur.
Voix entendues dans les vergers.
Ramasseurs, cueilleurs. Fruits d’or de mes voisins.
Pommes peuvent encore attendre. Un peu.
Envie un peu bête de chanter louanges. Fruits, arbres, agriculteurs.
Allées de tréfle douces sous les pieds blessés.
Beaux jeunes cerisiers suintant de résine dorée dans la compagnie de figuiers vigoureux et verts.
Le soin apporté aux alignements, l’herbe, quelques fleurs encore.
Les jeunes voisins font avancer nos espérances avec les leurs, laissant de côté le désespoir de la radio.
Nous vivons en sursis. Depuis toujours. Mais, comme dirait ma mère, ça avance. Vite.
Non loin de chez nous Sanofi. Autour traitements en tous genres.
De jeunes agriculteurs tentent autre chose. Peu nombreux, moqués par les tenants de la chimie. De moqués à toqués, une lettre.

Plus loin, vergers tristes, cerisiers malades, arbres presque morts.
Et friches aussi. Parcelles terreuses et stériles.

La marche reprend, quelques images en passant, le Morandi a changé d’atmosphère, mon cœur bat moins vite, le voisin prend son café à l’ombre de son arbre. Un tracteur passe derrière moi. Ici on pourrait vivre de peu.
On s’y essaie.
En se donnant quelques règles, marcher, boire de l’eau, écrire. Je repense à la phrase de Paul Nizon, Marcher à l’écriture. À ce que met en branle le fait de se mouvoir seul en pleine nature. La marche urbaine ne m’a jamais amenée sur ces marges. Là où je vais, retraçant des boucles de chemins ou de travées entre les alignements d’arbres fruitiers, les haies de cyprès, ce n’est certes pas la nature sauvage que je croise. Mais y pointent ronces et herbes urticantes, vols froufroutants dans les feuillages, renardeau à l’affût, écureuil débusqué qui me regarde perplexe.
Partout le travail des hommes s’y rencontre.
Parfois pour la beauté, parfois pour la ruine.
Est-ce que je m’éloigne de la poésie en marchant autour de notre maison, ou est-ce que je la retrouve en compagnie d’amis inconnus ? Ne savent-ils pas mieux que je ne le saurais jamais, ce qui se joue en marchant ?



Il y a quelques années j’ai rencontré Paul Nizon et gagné cinq euros en faisant un pari avec lui. Dans un bistrot de Dijon. S’en souvient-il seulement ? J’aimais ses livres avant cette soirée. Et de tous ses livres, quatre mots sont restés vivaces dans la mémoire. Au point qu’ils me reviennent souvent. Certains s’étonneront : si peu ? J’ai gardé le billet de cinq euros. Gagné grâce au Fernet-Branca.

De retour à la caravane, sans eau ni électricité, où nous avons dormi cette nuit, je suis accueillie par le visage de Klaus Mann et le titre de son livre, Contre la barbarie. Les dates 1925-1948 parlent du siècle dernier. Le jeu des feuillages avec le soleil le jour, la lune la nuit, est un réconfort. Le livre a été publié en France en 2009.

Le pays qu’on crée à force de vivre existe bel et bien dans le balancement léger du rideau de la caravane. Est-ce que cette phrase est juste ? En tout cas elle clôt la page.

Plus tard le même jour, arrivée d’Adil.
Étonnement du petit qui se ravisant lui sourit.
Me demande ensuite si Adil aime les enfants méchants.
Je réponds que ça n’existe pas vraiment, les enfants méchants.
Le Petit sourit encore.
Ensuite un paquet précieux arrive : un nid doré où dort un escargot, trois noisettes et une courte lettre pleine de paillettes. Mon fils dit : lettre de poète !