mercredi 25 novembre 2020

Faille dans la mer, rouge

 

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Faille dans la mer rouge.

De quelle couleur sera-t-elle ?

Le naufrage d’un aïeul,

que laisse-t-il derrière lui ?

La vierge de bois,

La vierge du bord.

La mer écrase le ciel.

Tempête.

Récits familiaux.

Odyssée d’un marin marseillais ?

Un parent à qui nous lient nos rêves ?

Je ne peux me nommer Thésée.

Quel sera le nom choisi ?

Un nom de fille, un nom de garçon ?

Une guerrière à la mémoire tendue comme un arc ?

Feuillette ma main, feuillette le grand catalogue.

Chaque page est ornée d’un nom et d’un visage,

Le tout bien ponctué.

Sur la table, Thésée encore et plus loin, le monstre.

Alors ? Tu nous dis ton nom ?

Rose de Lima,

Ayant dit, elle s’endort jusqu’au rivage dans la nuit.

Fin de la première histoire.

 

lumière cintrée photo SD

dimanche 22 novembre 2020

Ça qui nous fera semaine

 

Autre temps, acheter des livres d'O.
Avant-avant hier, faire un pain pour E..
Avant-hier, non plus.
Hier, ne rien faire.
Dimanche, retourner voir William Shakespeare avec le chien invisible.
Demain?
Tracer des lignes et des ronds en allant voir l'exposition Morandi en Suisse.
Après-demain, tracer un itinéraire de B. à A.
Ça nous fera semaine.
 


 

jeudi 19 novembre 2020

Saskia Beretta III

 Ich a du mal à y croire.

Y, c'est la proposition que vient de lui faire une voix anonyme.

Elle s'appelle Saskia. Très jolie, très douce, explique la voix.

Je n'ai besoin de personne, réplique agacé Ich.

On dit ça, monsieur, et puis la vie nous montre que ce n'est pas vrai.

Ich veut raccrocher. La voix se fait persuasive; juste une rencontre, ça n'engage à rien.

Marcher en serait encore plus agréable et nécessaire. Ne lui disait-on pas souvent qu'il faisait trop peu d'exercice? Accompagné on va plus loin, plus haut. On n'a plus peur du vent ni de la pluie. 

Pourquoi ne pas aller la voir, après tout? Il pourrait refuser ensuite. Surtout si elle lui déplaisait. Avec les humains c'est comme avec les animaux. On se regarde, on se jauge, et on sait. Enfin, pas toujours. 

Que dois-je faire? demande Ich. Il n'ose pas demander combien ça va lui coûter. En amour, n'est-ce pas.

Simplement vous rendre à cette adresse et rencontrer Saskia.

Et?

Vous nous direz ce que vous décidez. Poursuite ou abandon de la relation. Très simple.

Ich a fini par acquiescer, attend maintenant qu'on lui communique l'adresse de Saskia. Ne sait s'il est content, inquiet, inconséquent de se lancer à son âge dans une telle aventure. Mais le nom de Saskia le retient. Ce rêve qu'il a fait où cette femme se nommait Saskia lui revient. Ich doit en avoir, comme on dit, le coeur net. Net de quoi on verra, marmonne-t-il. 

Qui sait, peut-être est-elle aussi jolie que dans mon rêve?

Encore une fois, attendre.

dessin SD


mercredi 18 novembre 2020

L'oiseau de Mandelstam

 

L’oiseau d'Ossip

 

 

 

 

La guerre fait rage dans le Haut-Karabakh.

Puis on signe un accord de paix. On, pas tous. Certains.

C’est là le sens de ce pronom indéfini. On, personne ?

Tout le monde ? Non, n’on ?

Pas nous, disent les uns.

Nous, disent, les autres.

 

Les deux peuples ont leur nom qui commence par A.

Mandelstam, lorsqu’il fit son voyage en Arménie l’avait remarqué.

« Chaque mot ici commence par un A. »

 

Si on bascule le A, on obtient une tête cornue, un bélier par exemple, ou un taureau.

Pour dessiner un oiseau, c’est pareil.

Le A peut servir de différente manière.

Tête, ailes, corps, pattes.

Tout peut servir.

 

Mais celui-là, fait d’océans et de territoires, de quoi est-il la lettre ?

 



mardi 10 novembre 2020

Saskia Beretta, II

 Une femme comme ça, qui tombe du ciel, ça n'existe pas, se dit Ich.

Une fine mouche, non vraiment, même pas Annie croirait une chose possible. Non et non.

Saskia Beretta, vous dites? Comme la femme préférée de Rembrandt, sa jeune épouse?

Exactement de la même matière et ma main à peine posée sur ma poitrine de brocard.

Un animal ou du tissu, je sais.

Ich, ne vous fâchez pas. La réclusion, même volontaire, est difficile. Vous souffrez de ne pas le reconnaître. L'angoisse serre la poitrine. 

C'est votre intrusion qui provoque mon anxiété; Que vais-je faire de vous? Sans parler de moi, qui ne sais pas vivre entre deux états, la solitude et le compagnonnage. Et puis on ne compagnonne pas avec une femme, fût-elle Saskia Beretta. A la rigueur Annie Dillard, oui, pourquoi pas? Mais vous? Non et non.

Ich est buté. il ne veut rien entendre, ni attendre. Ce nom tombé chez lui, il ne sait qu'en faire. Ich tient à sa solitude où rien ne bouge. Et voilà que cette brunette en collants noirs l'agace au plus haut point. Déjà difficile de se tenir en équilibre dans ce monde insensé, alors, là, c'est le bouquet!

Je peux vous être utile en tenant à jour votre comptabilité. ratisser votre jardin. mettre les bulbes au sec etc.

Non, décidément non, Ich renonce à la compagnie de qui que ce soit. Il l'exprime clairement à la brune Saskia en lui montrant la porte du jardin, celle qui donne sur la rue et grince un peu.

Vous voulez que j'y remédie, demande-t-elle d'une voix suave. Je peux la décaper, huiler les gonds etc.

Je veux seulement que vous disparaissiez de ma vie. de ma vue. 

Ich, un peu voûté, se détourne et regagne la maison, claque la porte. Saskia Beretta disparaît aussitôt.  Il n'est pas sûr que Ich s'en soit aperçu. Une fumée flotte sur le seuil. 

Fantôme?

 




lundi 9 novembre 2020

Feuilles dorées qui tombent, strange fruits

 

Un corps pendu dans le livre, son père le dépend. Son frère l’accompagne. On m’a raconté que mon grand-père s’était pendu. Le père de mon père. Je n’étais pas née. Aujourd’hui aucun moyen de savoir si cet événement a vraiment eu lieu. Ni ce que mon père en aura pensé. Je ne sais même pas l’âge qu’avait le père de mon père à sa mort, ni quel âge avait mon propre père. Plus tard, une tante de mon père s’est aussi pendue à Marseille. En maison de retraite où veuve elle terminait son existence, après avoir vécu à Saigon une vie qui faisait rêver ma mère, à cause de la soie, des chemises finement brodées, des pousse-pousse et de la belle maison coloniale abandonnée aux mains des vietnamiens. Il existe des papiers que ma mère a tenté d’utiliser pour faire valoir un droit d’héritage. Pourquoi écrire ces morts ce matin ? Feuilles dorées qui tombent, strange fruits ?  Le titre du livre évoque la mythologie et le labyrinthe familial. 

Quel personnage choisir pour un livre où le labyrinthe marseillais serait peu à peu exploré ? 

Ulysse ?

 

Une lecture, Thésée, Camille de Toledo, Verdier

 

 


samedi 7 novembre 2020

Saskia Beretta, I

 


Après William Shakespeare, Ich retrouve Saskia. Ce prénom emporte loin. Un visage à l’encre sépia se découpe devant la petite fenêtre. Ich a envie de l’inviter à entrer chez lui. 

 

Tout est blanc aujourd’hui. Un peu d’encre ferait du bien. Ich sait le pouvoir de la couleur noire quand le ciel est page blanche.

Faire entrer Saskia, lui offrir une tasse de café noir.

D’abord faire un peu de ménage, en fait un peu de vide sur la table pour qu’une présence comme la sienne puisse être là et que poser deux tasses soit un événement de l’ordre de la beauté.

Ensuite, oser lui demander son nom complet.

 

Parce que, oui, Saskia, mais la suite ? Toujours l’insupportable curiosité des hommes, se dit Ich. Pourtant ajouter un nom à ce prénom serait nécessaire pour la voir, la voir vraiment entrer ici, s’asseoir devant la cheminée (que j’aurais allumée, vite !).

 

Saskia, s’il vous plaît, donnez-moi votre manteau. Je m’appelle Ich et vis ici depuis longtemps. Seul, ou presque, avec des livres et des poules.  

 

Je m’appelle Saskia Beretta et vous ?

 

 


Ich n’a rien à répondre. Ich, c’est tout. Saskia ne viendra pas aujourd’hui.

Demain ?

jeudi 5 novembre 2020

Aujourd'hui je vais voir William Shakespeare

 

(80)

 

Ich croise une amie sur le chemin des vergers. Je vais voir William Shakespeare, lui dit-il. Elle marque un peu d’étonnement. Ich renchérit : le cheval de trait dans l’enclos. Ah, fait-elle, suspendant sa curiosité. Il faudrait une explication. Ich n’y tient pas. Son  appareil photo calé contre sa poitrine, Ich se dandine en guise de réponse.

L’amie connaît Ich et sait son goût du silence. A demain, dit-elle en s’éloignant. Elle a de grandes bottes en caoutchouc, remarque Ich.

 


 

Parfois, ce que nous trouvons dans les livres, nous éprouvons le besoin de le faire exister dans le monde étroit que nous habitons. D’un univers très large, celui ouvert que donne la lecture, nous retirons ce qui manque à celui dans lequel nous vivons. Il manque toujours quelque chose. Un nom de fleur ou la propriété d’une roche que nous ignorions, un insecte ou une planète, ou bien de très petites choses, presque invisibles tels certains mots.

William Shakespeare n’est pas rien. C’est le nom d’un gros cheval. Trouvé dans un étrange livre bleu, écrit par une petite fille qui avait nommé ainsi un gros cheval qui mourra sous les coups d’un jeune homme cruel. Elle lui rendait visite et lui parlait. Le cheval semblait apprécier les attentions de la petite Opal Whiteley. On n’invente rien. Ou si peu. L’enfant a  su se servir des petites connaissances qu’elle avait engrangées en lisant les almanachs. Peu probable qu’elle soit jamais allée au théâtre.

Pour que tout ça continue, non seulement l’invention de cette petite fille, mais aussi le beau nom anglais, le cheval mort et le cheval vivant, Ich n’a rien expliqué mais a prononcé à haute et intelligible voix le nom de l’animal à qui il allait rendre visite. Nul doute que son amie emportera avec elle le nom et en fera bon usage, comme tout lecteur le fait qui a lu la narration de Opal et le Roi Lear.

 


                     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


lundi 2 novembre 2020

réponses sans questions

 

comment déplier la trace

du renard venu dans la nuit

déféquer sur la terrasse

pour saluer l’absence

des chasseurs

 

comment pourquoi

certains enfants

ne prononcent plus ces mots


 il manque aux dessins

de quoi répondre

aux questions

silencieuses

 

 


 

dimanche 1 novembre 2020

L'enfant a appris le mot aven hier et a regardé l'oeil du gouffre sans peur.

 Nous allons recommencer.

Re-commencer?

Est-ce que ça existe ce redoublement de verbe?

Re-confinner, l'enfant connaît ce verbe.

A nouveau on ne sait plus rien.

Ni oui, ni non, on re-prendra une habitude qu'on croyait perdue.

Une habitude, vraiment?

On re-ferme les portes et les fenêtres.

On ré-installe la sono?

On re-fait des lectures à 18.30?

Re-savoir et re-ignorer n'existent pas.

On r-ouvre l'atelier pour re-dessiner le re-confinement?

On est là, loin du monde, dans le silence des forêts, on voudrait déjà y re-venir. 

L'enfant se balance. Le geai se pose dans le chêne.

Le renard n'est pas re-venu cette nuit.

L'enfant a appris le mot aven hier et a regardé l'oeil du gouffre sans peur.

Animaux vus, re-vus, champignons, feuilles, arbres, silex et re-croiser les doigts.

Pour Noël, dit l'enfant, on re-viendra. 

Il a tracé des cartes, d'un point B à un autre point B.

Je lui explique qui sont les enfants avec qui je suis restée 4 jours cette semaine.

Nous n'étions pas encore re-confinés. Mais eux sont enfermés.

Ici, à mille miles de toute terre, nous avons lu le Petit Prince et Nasreddine.

Ici, seuls les oiseaux volent.

Nous, nez au ciel, la faccia levata, nous les suivons des yeux.

Nous re-partons.