vendredi 21 octobre 2016

Lettre aux amies de La Sarraz, à ceux de Fougères, à Denise des jardins et aux amis des villes,



Et aujourd’hui ? demanderez-vous.

Hier d’abord.
Et aujourd’hui, Louis Soutter au Portugal.
Me suis endormie avec un colloque tenu à La Sarraz (au château) où l’architecte était invité. Le cousin de Louis.
Je n’étais pas née.

Ici aussi il y a un Louie. Mais avec un – e- à la fin.
Visage et voix un peu cabossés.
Jardinier impatient qui chasse la brebis intruse et les pies voleuses.
Ici elles sont bleues.
Et comme partout voleuses.

Mais Louis va toujours plus loin, à marcher dans la neige, blanche comme la chemise que je viens de laver et d’étendre sur le murier dont les feuilles lentement jaunissent un peu plus chaque jour.
Le titre du livre de Michel Layaz, Louis Soutter probablement.
Récit émouvant lu sous la moustiquaire et retrouvé ce matin.
En compagnie de Giono et du ciel léger.

Et ce nom de La Sarraz ici rime avec Monsarraz, glissant, telle une toile rêche, sur la douceur suisse l’âpreté portugaise des paysages alentejans.
Ramenant aussi les noms aimés. Et le pays de Vaud.
Me redonnant goût aux noms, aux mots, aux parentés.
Schistes et granits.

Hier soir, la musique : Edith Piaf dans le joli théâtre de Mértola.
Nous voulions réserver nos places, craignant l’affluence venue écouter Viviane.
Mais si peu de monde que le public rare a été invité à entrer gratuitement.
Fados, chansons, un peu de France aussi et la joie des gens venus écouter.
Toute la nuit, ensuite, après notre retour dans une nuit tiède et étoilée, la musique nous a accompagnés.

Mértola hier soir, 19 heures
Un responsable culturel nous a fait part de sa tristesse : les gens désertent les concerts pour le football et le showbiz. Et puis, ils sont pauvres. Je ne lui dis pas que j’ai vu des gens dans de grosses mercédes et de gros quatre/quatre arpenter Mértola. Ceux-là non plus ne viennent pas écouter le fado.
Sans doute dans les bars lounge à siroter, un œil vaguement posé sur l’écran de télévision.

Et nous, à nous émerveiller de la beauté.
La petite ville juchée sur ses remparts et son passé arabe.
Les moulins à blé sur le Guadiana.
Les musées qui expliquent aux étrangers comment on vivait autrefois ici.
L’eau jaillissante au milieu des collines sèches.
La pluie que l’on attend et redoute en même temps quand on voit les ruissellements entre les pentes des petites montagnes, si douces, si vulnérables. Torrents dans les rues et les chemins qui bouleversent  les promenades.
Cette faille en face de nous assis sur la grève, tout à coup, a réveillé en moi une émotion si forte que les larmes. Vite éloignées mais une identification soudaine à la nature un peu douloureuse de la colline de l’autre côté du fleuve m’a saisie. Broussailles et arbres courts des deux côtés de la faille sèche qui sinue en attente de l’eau bienfaitrice. La transformation du paysage avec la pluie qui doit venir lundi, nous l’attendons de pied ferme. Qu’en sera-t-il de nous quand tout aura changé ici de couleurs ?

Même ici, l’écriture se rappelle à moi. Un livre en préparation, Monsieur Germinal, et ces dessins que je dois proposer à une maison d’édition.
Heureusement les lettres n’ont aucun autre but que de saluer les aimés et leur donner (un peu) à voir ce pays étonnant de l’Alentejo où le parti communiste existe toujours et les latifundiaires aussi. Une affiche rouge du PCP est placardée au carrefour de la route de Beja et de celle qui va vers Serpa et l’Espagne.

Impression de rajeunir ici.
Le paysage me renvoie à notre premier voyage dans l’Alentejo et au Portugal avec nos enfants en 1998.
Mais aussi l’assouplissement de mes genoux qui ont bravement descendu (et remonté) quelques kilomètres pour voir un moulin sur le Guadiana sauvage.
Et enfin cet abandon, presque facile, à ce qui vient à notre rencontre.
La nourriture aussi, essentielle et réconfortante.
Nourriture que je ne prépare pas.
Et la joie de se déchausser et de marcher dans le fleuve où la marée remonte périodiquement depuis la côte et mélange la mer à l’eau douce.

Gabrielle, notre voisine, nous salue. Nous convenons d’une lecture concert au couvent lundi soir, après le cours de Yoga que donne la maîtresse des lieux. C’est une joie qui s’ajoute aux autres. J’explique le froid qui m’a saisie la première fois que j’ai tenté de  pratiquer le yoga. Tous se nourrissent de votre énergie, avait dit le professeur ; ne revenez pas. Gabrielle n’aime pas non plus beaucoup le yoga et préfère son travail musical en guise de méditation. Ecrire des lettres est pour moi de cette sorte-là, exercice de proximité de soi avec les aimés.

J’ai commencé la journée en lavant du linge.
Accroché la chemise blanche à l’arbre.
Ensuite, vous écrire, du plus loin au plus proche.
Vous dire ce que vous savez, vous dire ce que j’ignore.
Et recommencer.

SD

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