lundi 17 octobre 2016

Lettre du Portugal à mes amis européens depuis Mértola




Je ne sais pas par où commencer cette lettre.



Une phrase m’a tenue en éveil durant la nuit passée à Manzanares en Espagne : la ville m’a quittée. Au matin, je voulais l’écrire pour ne pas l’oublier. Mais je n’ai pas eu besoin de le faire. La petite phrase a résisté à l’oubli.
Je pensais à ma ville natale dont je n’avais plus si fort le désir.
Seulement envie de terre, d’eau et de rochers.

Alors ? Ici il y a eau, terre et rochers.
Par où commencer ?
Les odeurs du jardin du couvent peut-être ?
Les carrés d’herbes aromatiques dont les noms sont écrits en blanc sur des ardoises noires, les eucalyptus, les paons et le cheval, le Guadiana qui coule au bas de la colline et dans lequel se jette une petite rivière ?
La noria inventive où l’âne est mécanique ?
Le couvent lui-même ?

Peut-être commencer par vous faire entendre les aboiements des chiens qui sont la même plainte partout.
Avant même la langue portugaise.
Voir la Mosquée devenue Igreja Matriz.
Les chats maigres qui se glissent entre vos jambes.
Les guêpiers si bleus qui rendent fou de colère l’apiculteur.
Entendre une bribe de conversation avec notre voisin l’écrivain à qui je n’ai pas osé demander comment il s’appelait.
Ou l’anglais que je parle maladroitement avec l’artiste allemande qui travaille à côté de notre studio. Gabrielle.
Les grillons entendus hier soir en revenant du village.
Le passé au présent partout ici.
Maintenant.

Hoje. Agora.
Des archéologues, nous raconte le voisin, ont découvert qu’avant les autres populations (maures et portugaises), vivaient ici des berbères. À  Mértola on est fier de ces origines. Ici, à la pointe occidentale de l’Europe. Les portugais chrétiens de l’Alentejo ont été d’abord berbères puis maures puis. Européens. le jardin est irrigué par les anciennes canalisations arabes du temps des Almohades.
Le pays est vieux, usé et pourtant ce n’est pas un pays mort.
Beaucoup plus vivant que l’Andalousie que nous avons traversée et qui a un aspect si douloureux.  Plus haut, la beauté des paysages de la Manche entrevue m’avait fait du bien. Grâce à de petits panneaux d’avertissement où se voit un chat aux oreilles pointues, j’avais trouvé moins pénible la traversée de la région. Les lynx ! Et la joie de voir le pare-brise constellé d’insectes : ainsi la vie continue dans la Manche ?

Notre voisin est écrivain. C’est la troisième fois qu’il vient travailler ici. Il aide aussi un peu au débroussaillage et à d’autres tâches pour aider la famille d’artistes qui s’occupe du couvent.
Le débroussaillage est un travail d’écrivain.
Le choc de morceaux d’azulejos plaît à notre voisine musicienne. Elle en ramasse le long du Guadiana et les enregistre ensuite. De beaux sons, dit-elle, sont produits par ces tessons bleu et blanc.
Chacun trouve ici sa matière.
L’inventaire des animaux vivant ici serait à faire : chiens nombreux et vindicatifs, dont un n’a plus qu’une oreille, chats de toutes les couleurs et de tous les âges, un cheval solitaire et doux, une brebis et ses agneaux qui régulièrement envahissent le couvent pour la plus grande colère de Louie, et les oiseaux, nombreux, jusqu’aux abeilles et fourmis.
Est-ce d’eux dont je vais faire mon miel ?
Car je suis là pour travailler. Dessiner. Traduire.
Pour le moment, tout va son cours dans la maison blanche où nous vivons.
Atè mais,
S










3 commentaires:

  1. Bon séjour, Sylvie. Pensées, vers toi, vers le Portugal aussi !

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  2. C'est ici bien différent de Montalegre, plus joyeux, plus méditerranéen et le Guadiana est un beau fleuve. On est en pays berbère et ça change du nord. Le village est beau, bien tenu et joyeux. Rues étroites et pentues et tout un passé romain et antique, musées, fouilles et restaurants! Mais le pays est sec et on attend la pluie...Végétation qui ressemble à celle du Maghreb. Un régal!

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  3. Alentejo ! le mot est déjà un vers d'ailleurs !

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