Un bâtiment à
l’état de ruine désole.
Souvent. Ou
exalte un curieux sentiment de nostalgie.
Ou encore
réveille des souvenirs esthétiques et littéraires.
Une culture des
ruines.
L’invention de la
mélancolie.
Je leur préfère aujourd’hui
un bâtiment en construction au-dessus duquel s’élève une grue mobile, pour le
moment à l’arrêt.
Cette ébauche de
maison laisse présager des usages dont je ne saurai rien, puisqu’à l’évidence
je serai repartie quand elle sera achevée.
Il est bon de l’avoir
sous les yeux au moment où le passé déborde et ne nous aide qu’à concevoir nos
défaites prochaines.
Une maison en
construction laisse présager un avenir.
Voilà pourquoi
les trous que sont actuellement les fenêtres me remplissent de gaieté.
De même les
terrasses sans rambarde de protection et les gravats autour de la maison.
Quelque projet
est à l’œuvre et ne tient pas compte des prévisions alarmistes que l’on entend
partout et qui sont certainement fondées.
Nous sommes ici
en marge du monde tel qu’il va et je compte sur cette maison en construction
pour m’aider à surmonter la désolation qui emplit nos esprits sitôt que nous
pensons au futur.
La présence du
granit y est pour beaucoup. Même si les constructions nouvelles se font en
parpaings.
Comme pour me
donner raison, sur la route passent et repassent de nombreux petits camions à
plateaux chargés de matériaux de construction. De l’endroit où je me suis
installée, je les vois aller et venir en contrebas du bâtiment qui se
construit. Assez lentement puisque la grue ne bouge pas et que le chantier
semble désert. Il faut dire qu’il y a un peu de vent. Verrai-je du changement
le long de ces jours que nous allons passer ici ?
Vu des oiseaux.
Soupçonné des lapins. Entendu un chien hurler tel un loup.
Ramassé des
écorces de chêne-liège, un granit rond, un gland.
Rapines légères.
Puis lectures.
Je lis que le nom
donné à l’enfant naissant sert à tromper la mort. Espoir des parents face à la
Faucheuse. Qui m’a nommé en premier ? Mon père qui a trompé tout le monde
en courant me déclarer sa fille ? Je n’en saurai jamais rien. Il y a
autour de ma naissance tellement de questions. Elles subsistent dans le choix
qui a été fait du prénom que je porte. Comme si une fois prononcé, on entendait
un point d’interrogation. Suspens de la vie dans la voix.
Dans le livre
acheté d’occasion, je découvre une dédicace de l’auteur à une Ann-Laure. Elle
se termine par amitiés vives, ce qui n’a pas empêché la dédicataire de
se débarrasser du livre. Rapidement, vu la date d’impression. Dans un autre
livre emporté ici, vole une feuille couverte d’une écriture que je reconnais
pour celle d’une amie et qui reprend des extraits d’un livre de Modiano, Accident mortel. Consciencieusement sont
rapportées les citations suivies de la page où elles figurent. J’en déduis que
ce livre est resté à la maison après le passage de cette amie.
J’ai connu une
Marie-Laure en Finlande dont la vie compliquée s’est achevée bien trop tôt.
Je ne sais pas si
son nom l’a protégée.
En tout cas la
Faucheuse a su la retrouver en France.
10 heures du
matin. Le chantier commence. On a tout le temps. La grue doucement tourne.
Des gens
travaillent.
Je lis des récits
de voyage de Russell Banks. C’est un homme blanc qui visite les îles de la
Caraïbe. Le vent souffle à peine. Je ne sais pas si j’écris un récit de voyage.
Pourtant je ne suis pas chez moi en Corse. Et l’observation me requiert
entière. Observation immobile d’un chantier.
Qui suis-je donc
si ce n’est une voyageuse ?
Chaque jour noter
un mot, a écrit quelqu’un. Un mot qui résumerait la journée ou en serait le
point d’orgue. Hier, la mer.
Aujourd’hui ?
Chantier convient
assez bien.
Ce soir la grue
est au repos. Sa silhouette telle l’élytre perdue du criquet rencontré ce matin
sur la terrasse se détache sur ciel. L’animal semblait rechercher mon aide et
un peu de réconfort. Tout en lui parlant, avec l’impression qu’il m’implorait
du regard, je scrutais son corps. Non seulement il lui manquait un élytre, mais
il avait une patte endommagée. Se propulsant sur ce qui lui tenait lieu de
queue, il avançait vers moi. Je fis un geste, peut-être un peu vif, il s’envola
dans un olivier tout proche. Il pouvait donc voler !
Peu à peu la nuit
noie le paysage, laissant seulement visible un ciel pur et encore lumineux
malgré l’heure tardive.
Le mot chantier
décidément convient à ce premier jour.
10 octobre
Je mesure en vous lisant des effets de distance. Vous êtes ici, ou là, puis ailleurs, toujours maintenant. Vous allez vers l'extérieur, vous êtes toujours projetant. Vous emportez des bagages, comme le tracé des lignes emporte son espace. Sans patrie mais pas sans bagage matriciel. Matri-ciel, ce mot vous va-t'il ? A moins que vous n'enfantiez, faisant enfant de tout, projetant protégeant l'espace à venir...
RépondreSupprimerMatri-ciel? Oui, pourquoi pas? Je reviens du jardin où j'ai déposé des chrysanthèmes près de ma mère.
SupprimerPatri-ciel plutôt, non?
Je suis toujours en avant de moi-même. Souvent.
Voilà pourquoi je dessine, parce que c'est un présent, toujours qui va projetant devant soi la main qui dessine.
Bonne journée, cher ami!