dimanche 3 novembre 2019

Journal de Corse, 3, Destruction


3, Destruction

S’en tenir là.
Là, c’est déjà un mot.
Un mot simple, monosyllabique, qui exprime le lieu.
Mais aussi l’endroit du texte où ça s’arrête.
Où hier je me suis arrêtée sur le granit.
Où ça s’interrompt.
Ça, autre mot simple, autre monosyllabe.
À quoi ça tient ?
À peu.
Emaz a-t-il écrit un recueil portant en couverture ce titre sec : Granit ?
Il faudrait faire une recherche. Lichen, Cambouis. Granit ?



Quel sera à la fin du jour le mot restant de la suite d’heures, d’impressions, de paroles échangées ?
La pluie avance. Mais pas encore jusqu’à la grue.
Aujourd’hui personne ne travaille. Pause, trêve, arrêt.
Le Petit a demandé quel âge nous aurions quand nous reviendrons à la maison.
Comme si ces vacances corses allaient durer si longtemps que nous changerions d’âge.
Le temps est la grande question pour les petits et les vieux. Comment on le mesure, comment on l’apprivoise, comment on le perd et parfois le gagne.

Retarder le moment de se remettre au travail, au vrai, pas celui-là qui ne consiste qu’à noter ce qui se passe et n’arrive pas.
Sur la très petite table d’écriture, en face de la grue au repos, j’attends.
Ou plutôt j’évite de prendre la décision de travailler réellement. En lieu de quoi, j’écris ce qui pourrait être une suite de lettres, un journal, des impressions de Corse. Une gymnastique nécessaire et presque joyeuse, une reprise des doigts sur le clavier, une danse légère des mots, qui ne prêterait pas à conséquence.
Aujourd’hui un bain de mer, comme disait ma mère. Vivifiant, régénérant.
Bain de soleil aussi.
Puis retour aux nuages gris, lourds, vont crever peut-être au-dessus des plages.
Pour l’heure, la fenêtre, la grue, l’absence d’horizon noyé dans la brume.
Que fait le paysage aux hommes qui l’habitent ?
Et à leur tour que font les hommes au paysage eux qui n’hésitent pas à déplacer des granits millénaires ?
On arrache, on coupe, on détruit.
Pour construire.
D’autres essaient de contrarier la destruction.
Jeune oliveraie plantée par notre hôte dont les oiseaux se repaissent.
Voilà que je me mets à voir davantage la destruction à l’œuvre que la construction.
Destruction, donc.

12 octobre

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