dimanche 1 mai 2016

Combien de lettres dans le nom: ANTOFAGASTA?

Combien de femmes a tuées Barbe-Bleue?
Aucune, crie Bosseigne depuis la cuisine où il prépare un café turc. Pour voyager loin dès le matin, m'a-t-il prévenue.
Comment ça, aucune? Et le conte alors?

Bosseigne est revenu se planter devant moi, la cafetière fumante à la main.
Compter quoi? On dit souvent qu'elles étaient sept mais en fait le seigneur Barbe Bleue était un pauvre homme que le conte a transformé en mauvais homme.
Mais de quel compte parlons-nous? Tu mélanges tout.
Ne demandais-tu pas.
Je me demandais, c'est tout. Pas à toi, en tout cas.
Tu comptais à voix haute?

J'ai tourné le dos à mon parent et regardé la pluie qui s'abattait sur le jardin et mes radis. Notre langue est ainsi faite que parfois on ne sait plus de quoi on parle. Ainsi cette histoire de Barbe Bleue qui mêle habilement le récit et le comptage. Sept femmes, évidemment. Mais l'ami de Bosseigne, lui, était entourée de neuf femmes.


Laisse tomber le conte de Barbe bleue et viens goûter mon café stambouliote, a proposé Bosseigne.
Tu disais que c'était un pauvre homme. Ton ami?
Non, la Barbe Bleue. Mal aimé, comme beaucoup d'hommes laids.
Je ne savais pas qu'il était laid.
Mon ami est plutôt bel homme. Je parlais du conte.
Ah les mots...
En français, on peut jongler.
En portugais aussi.
Toutes les langues doivent pouvoir se prêter au jeu.
De diverses manières. Comme les radis.
Certains les écrivent bleus, ai-je soupiré. Et moi, sans humour, je les vois corps rouges et morts.
Si Istamboul ne te convient pas, filons à Antofagasta.
Il y a du bon café là-bas?
Mais oui, et le nombre de lettres d'Antofagasta est parfait pour un premier jour du mois.
Combien de lettres?
Onze! Génial, non?

Je suis restée sans voix. Onze, et alors, ai-je eu envie de rétorquer à mon Bosseigne satisfait de sa trouvaille. Nous en étions à neuf. Remis à neuf?

Onze, c'est le nombre de disciples moins Judas le traître, a-t-il expliqué en me servant mon café turc.
Une équipe de rugby?
Onze, c'est le nombre réussi de mon ami après toutes ses histoires de femmes.
Je ne comprends rien.
Il n'y a rien à comprendre avec les nombres, juste à compter et à se régaler de leur exactitude.

Mon parent est ainsi.
On ne triomphe jamais de lui. Toujours quelque botte secrète, comme ce nom d'Antofagasta, ressorti pour les besoins d'un matin de pluie.
A chuva, en portugais. Est-ce qu'une mère pleure ou pleut? Un poète portugais, José Luis Peixoto, a écrit ça. Impossible en français, ce jeu de mots?, me suis-je encore demandé en considérant mon parent joyeux. Pourtant la proximité des deux verbes est la même qu'en portugais.

Ne restait qu'à déguster à petites gorgées son café de janissaire en rêvant au Bosphore.
La pluie est plus belle sur la mer, ai-je encore pensé.
Mais déjà Bosseigne m'entraînait à sa suite.
Jusqu'au Chili.
Tierra del fuego.


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