jeudi 5 mai 2016

"J'ai perdu coeur".

J'ai arraché les petits corps rouge et blanc.
Les ai consciencieusement réunis en faisceaux.
Et ensuite les ai donnés aux poules.
Qui les ont dévorés joyeusement.

Ma difficulté à éclaircir les radis comparée à la gloutonnerie des volailles avait peu de poids.
Ce qui meurt nourrit ce qui vit.
Le jardin déborde de vert.
Les semis sont généreux.
A ce prix, nous aurons des radis superbes à croquer d'ici peu.


De même qu'on peut dans un mot en trouver un autre, de même les radis morts laissent place aux vivants.

Bosseigne est parti pour la journée.
Et le jardin me reste.
Et cette phrase de Gustave Roud avec laquelle je me suis endormie.
Après la plage portugaise du verbe espraiar, m'est revenue la Suisse.
Je me suis demandée si la phrase du poète vaudois signifiait quelque chose comme perdre pied dans le domaine de l'émotion. Ou se retrouver sans amour.
Suis retournée vers le livre ouvert sur la table:
" Qui ne propose rien, qui ne cherche rien, qui regarde seulement ne peut rien saisir; tout adieu lui est facile: ce n'est pas lui qui le prononce, mais les choses."

La Suisse, je la vois comme un territoire de forêts et de prés où chemine parfois madame la Folie et d'autres fois, des poètes aimés. Territoire minuscule où enserrer un coeur. Jusqu'à le perdre?
Je n'oublie pas que dans un pot pousse ma mère sous forme de plants de pomme de terre. Lorsque j'avais dispersé ses cendres, à la frontière suisse, j'avais gratté le sol pour en extraire une petite plante sauvage que je voulais ramener dans notre jardin. Pour qu'elle ne disparaisse pas, je l'ai mise dans un pot et là elle a retrouvé des forces mais aussi des voisines qui peut-être étaient dans la terre du pot ou dans celle de la forêt. En Suisse, les forêts sont tellement civilisées que tout devient possible.
En tout cas la terre est comme la langue, pleine de trous et de troublants rapprochements.

Où il est question encore une fois des mots et de la passion qu'ils suscitent chez certains, dont je suis.
Perdre coeur, perdre raison, perdre pied.
Nous y voilà, ai-je pensé en retournant vers les radis.
Ne pas se contenter de regarder les petits corps morts, les voir, les toucher et les donner à dévorer pour que tout se poursuive.

Mais Bosseigne ce matin.
Avant de partir a ouvert la fenêtre.
Ecoute, a-t-il dit.
La huppe est revenue.
Tout continue, mon Bosseigne.
Ici, comme au jardin.
Sur la cime du cyprés
la huppe s'est balancée.

Nous nous retrouverons ce soir,
a dit Bosseigne en s'éloignant.


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