mercredi 4 mai 2016

Une auberge vide et des hôtes absents?!

O mar, ai-je commencé.
Un prénom?
Non, la mer. En portugais.
Le café est italien.
Il est délicieux, ai-je approuvé. Ce qui est amusant, c'est de retrouver à l'intérieur des mots d'autres mots. Comme dans le verbe espraiar où se cache la plage. La langue permet aux immobiles le voyage.
Comme le café!
J'ai tellement envie de partir certains matins. De longer un rivage brumeux, d'entendre le fracas des vagues, de ne plus être dans ma langue.
Oui?



Bosseigne est resté en suspens. Face à moi, sa tasse de café à la main. Oui, a-t-il repris et c'était à la fois interrogatif et affirmatif. Oui...?

Et pourtant notre maison n'est pas une auberge vide et la langue non plus, ai-je repris.
Les hôtes sont attablés autour de la table du petit déjeuner. Tout suit son cours, a dit mon parent.
C'est vrai, ai-je reconnu. Et pourtant il nous faut sans cesse raviver en nous le désir pour entreprendre un nouveau jour.
Reviens donc à ce que tu tentais de me dire.
Na palavra tomar, o mar.
Tomar?
Prendre. La mer.
Tu as bien dormi, a demandé Bosseigne.
Je ne crois pas. Je ne sais pas. Il y avait ces mots qui tournaient en carrousel et aussi une auberge et la neige qui tombait.
Pétales de cerisiers?

Nous avons ri. Un peu.
Mélancolie, a demandé mon parent.
Non, pas vraiment. Ou alors un peu de désenchantement. A cause du printemps. C'est une période difficile. La nature est trop belle pour nos pauvres corps. "Mais tu sais bien qu'il n'y a pas de repos", tu te souviens?
Tout de même, parfois, nous arrivons à oublier un peu.
Oublier? Ce n'est pas le bon verbe. Laisser entrer le printemps et accepter de ne pas en être.
Qu'est-ce que tu veux dire?

Bosseigne semblait surpris.

Nous ne sommes pas comme les pivoines ou les arbres. Chaque année ne nous voit pas reverdir de plus belle. Le plant de pivoines est chaque année plus fleuri. Et nous.
Oui? C'est ça? Pas de repos, tu l'as dit toi-même.
Gustave Roud, pas moi. C'est un écrivain que j'aime mais dont je regrette la si profonde mélancolie. Surtout par un matin comme celui-là!
Notre différence d'âge explique peut-être mon état mental. Je me demande si les arbres souffrent dans leurs branches comme il m'arrive de souffrir dans mes jambes.
C'est drôle, ce que tu dis là, a commenté Bosseigne. Reprends un peu de café et tu verras que tes jambes vont marcher toutes seules jusqu'au village!

Bosseigne a raison.
Je me complais parfois dans un état de désenchantement.
J'en oublie de célébrer le jardin, le vent, le froid, la chaleur. Tout ce qui ne dépend pas de nous.
Et de goûter le café du matin en sa compagnie.
Ou de voir notre chat noir et blanc s'envoler avec les pies ses cousines en couleurs!

Oui, mon cher Bosseigne, ai-je dit à haute voix, tu as raison.



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