mardi 10 mai 2016

Aconteça o que acontecer, eu falou portugues no jardim!

Une langue étrangère est un mur mitoyen, ai-je pensé en regardant Bosseigne enjamber la clôture qui sépare le jardin potager du reste du jardin.
Nous avions planté nos tubercules germés, après avoir consciencieusement disposé du fumier dans les tranchées, puis nous avions tout recouvert de terre bêchée.
La pluie ne tarderait plus.
Elle finirait ce que nous avions commencé.


Etions-nous de ce monde paysan dont nous tentions de nous approcher en tirant une brouette, en enfouissant des pommes de terre, en faisant notre pain, nous qui venions de la ville?
Nos ancêtres étaient venus de la campagne pour travailler à Marseille.
Il y a longtemps.
Venus d'Italie, de Suisse. De plus loin peut-être.
Et nous maladroitement nous nous penchions sur la terre, la grattions, la désherbions, l'enrichissions, la regardions comme une mère, et parfois une marâtre. C'était un travail pénible qui nécessitait une assiduité constante. Tailler, tondre l'herbe, la ratisser, en faire des andins. Tout cela nous éloignait de nos fauteuils. En tout cas, nous pensions moins au fauteuil disparu. A ce qui manquait ici comme ailleurs. Avec le retour du printemps, c'était plus facile de rester dehors à travailler pour conserver au jardin un peu de beauté. Nous nous étions donc faits jardiniers.

Bosseigne avec enthousiasme.
Moi avec inquiétude.
Mais aussi avec la certitude que la récolte serait bonne.
No jardim, a vida é muita linda.
Pas toujours, a bougonné mon parent.
Tu comprends le portugais, ai-je demandé, un peu étonnée.
A force de t'entendre répéter les mêmes phrases, je finis par entender.
Ajudarei quando puder, ai-je marmonné, épuisée devant tout ce qui restait à faire.
Ton accent n'est pas fameux, a remarqué Bosseigne tout en arrachant le chiendent qui envahit le carré de fraisiers. Pour que la vie soit belle, il faut un peu de mort. Comme ce caneton que tu as trouvé et qui n'a pas survécu. Ta joie à le sauver des pattes des chats ne l'a pas empêché de mourir de désespoir d'être enfermé, lui, un petit animal sauvage.

J'ai approuvé.
Je suis revenue sur le mot mitoyen.
Nous étions, Bosseigne et moi, mitoyens.
Notre parenté faisait de nous des êtres mitoyens.
Et le portugais entre nous était aussi mitoyen.
A force de répéter ce mot, j'ai eu envie de rire.
C'est comme un feu sous la cendre.
Qui bourrone.
Hein, a dit Bosseigne.
Il s'est redressé et m'a montré ses mains.
Ongles noircis de terre noire.
Le paysan vit dans le paysage.
Et toi, où vis-tu, a questionné mon parent.

Dans la langue, celle d'ici, celle d'ailleurs.
En portugais, la mer, c'est le père et la mère c'est l'arbre.
Restons-en là pour ce soir.
No jardim.




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