vendredi 31 mai 2013

Mont Tendre, dit Bosseigne, ça ne veut pas dire

que c'est un lieu agréable.
Les étymologies toponymiques révèlent bien des surprises, a-t-il ajouté.
Sur la table de la terrasse, la carte déployée, il y avait un cercle rouge qui englobait ce nom, Mont Tendre, canton de Vaud.
Evidemment.
Je me souvenais de la montagne de Chine qui m'avait tellement attirée. Le nom, surtout.
Encore une fois, Bosseigne marquait des points.

Le soleil était chaud, on pouvait croire à l'été renaissant. Mais le vent déjà, comme des jupes, soulevait les feuilles du grand peuplier. Jeu d'enfant. Nos cris dans la cour de récréation. J'aimais, plus que tout, effaroucher mes camarades de classe en soulevant leurs petites jupes plissées. Comme plus tard, le ferait Bosseigne, ai-je pensé. Mais moi déjà, ce goût des filles.

Ce qui explique ta passion des voyages, c'est d'abord ton amour des cartes, a repris mon parent.
Ton imagination t'entraîne au-delà des frontières. Tu te prends toujours pour une exploratrice, non?
C'est vrai, ai-je concédé. J'ai l'illusion de la découverte!
Nous avons ri.
Je vais refaire un peu de café, a dit Bosseigne en rentrant dans la maison.
Le vent faisait tourner les pages de son livre. Notre Dame des Fleurs.


Quand tu lis Mont tendre, tu entends autre chose. Mon tendre, par exemple, non?
Que répondre. Je me fie à mon instinct, Bosseigne, je file mon chemin entre des arbres sans nom. Pour aller à la rencontre d'une langue et de quelques mots retenus, aldeia, par exemple, comme le prénom d'une fille.
Qu'est-ce que ça veut dire?
Village, je crois. En portugais? Oui.
Une artiste vient de m'écrire...
Portugaise, a éclaté de rire Bosseigne.
Oui.
Et alors? Elle dit que je suis mystérieuse. Une française mystérieuse. Mais non.
Montaigne, alors? a repris mon parent, un de nos écrivains préférés.
Le fauteuil s'éloignerait-il de nos conversations, me suis-je dit alors en reprenant du café. Il est excellent, toujours meilleur quand c'est toi qui le fais.

Lorsque le figuier a retrouvé ses larges feuilles épaisses et douces, et que, pour ramasser les fruits, nous les soulevons légèrement, c'est toujours ce geste d'une jupe qu'on retrousse qui me vient.
Mais je n'ai rien dit à ce propos. Le petit déjeuner se finit, dit Bosseigne. C'est un moment si doux, après la nuit.
Tu dors mal en ce moment, ai-je demandé, espérant que Bosseigne évoquerait la difficulté de ses recherches et l'absence d'un fauteuil confortable où s'asseoir pour y réfélchir plus commodément.
Non, mais le matin est chargé d'espérance. A la différence du soir. Et puis, nous sommes gâtés ce matin, regarde cette buée de beau temps qui couvre la colline et l'herbe mouillée...Après, tout redevient normal et le vent le sait bien qui se met à souffler pour en finir avec toute cette beauté.
Nous y voilà, ai-je pensé, la beauté.
Et le bonheur?

Bosseigne n'a pas répondu. L'avais-je fâché, c'est peu probable. La question du bonheur et celle de la beauté restent un chantier ouvert à tous les vents. Pour Bosseigne comme pour moi.

Au fait, tu sais comment on dit fauteuil en italien?
Non, évidemment pas.
Poltrone. Comme si seuls les lâches pouvaient s'abandonner aux délices d'un tel siège!

Nous avons éclaté de rire. Une fois de plus, faisant s'envoler le merle qui guettait les miettes tombées de la table, avec concupiscence.
Poltron, a crié mon parent.
Et chacun a repris ses activités.
Moi partie vers la ville, lui, vers son bureau.
Jusqu'au soir.




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