samedi 1 juin 2013

C'est comme cette histoire avec Javier Marias,

ai-je pensé en remontant l'avenue vers l'endroit où j'avais garé mon auto.
Ce genre de choses dont on se dit qu'elle n'arrive jamais. Eh bien, c'est arrivé, me suis-je encore dit en ouvrant la portière. Oui, le grand écrivain espagnol invité à la Médiathèque de la ville d'A. avait tout de suite demandé à me rencontrer, à cause de Thomas Berhard.


Je n'étais rien qu'une abonnée et un écrivain espagnol  mentionnait mon nom! La stupéfaction avait dû être grande parmi les bibliothécaires. J.M. et moi entretenions une correspondance. J'avais évoqué l'écrivain autrichien à son propos, écrivain que lui et moi admirions. Il m'avait trouvé perspicace. Lui même avait écrit un essai sur Thomas Bernhard.

Je n'en ai jamais parlé à Bosseigne, me suis-je encore dit. Je suis restée un moment, là, dans l'auto à me repasser le film de cette étrange histoire vraie. Comme la rencontre avec Fernando Pessoa à Braga. Comment en étais-je venue à repenser à cette rencontre, si ce n'est parce que tout à coup la réalité de la Médiathèque avait effacé le temps et que nous étions revenus vingt ans en arrière. Les locaux n'avaient guère changé et surtout une sorte de qualité particulière de l'air, ce que certains nommeraient une atmosphère.

Il y avait eu ce coup de téléphone d'une bibliothécaire.
M. Javier Marias souhaite absolument vous rencontrer à l'issue de sa lecture.

Voilà encore de quoi faire rire mon parent, ai-je pensé en démarrant l'auto. L'écrivain espagnol m'avait envoyé un autoportrait de Picasso que je pouvais regarder comme un portrait de Javier Marias lui-même. Tout écrivain est vaniteux, ai-je constaté, qui sait si moi-même. Sûrement que dans ce combat contre la disparition, il nous faut dresser des effigies. Au dos de la carte postale, l'écrivain avait noté à l'encre rouge une phrase qui disait sa situation et ce n'était pas joyeux.

Est-ce un secret, me suis-je demandé tout en remontant l'avenue.
Après sa lecture, l'écrivain espagnol avait voulu que je partage sa soirée.
Si Bosseigne apprend que j'ai refusé son invitation, il me traitera d'idiote.
Mais là tout à coup, en présence de cet homme à l'accent séduisant, je me suis retrouvée en un tel état d'impuissance que j'ai préféré m'appuyer sur des obligations prétendues.
E comme souvent, j'ai fui. Ma jeunesse d'alors ne m'a nullement aidée.
Même si visiblement l'écrivain avait envie de ce temps passé avec une française pas très bavarde, il m'a semblé impossible, après le miracle qui venait d'avoir lieu, rencontrer un auteur admiré, de poursuivre une relation qui aurait pu devenir plus amicale encore.

Plus tard, rangeant des papiers ou plutôt les dérangeant pour ne jamais arriver à les mettre en ordre (en ordre de quoi?), je suis tombée à nouveau sur ses lettres. Tentée par le fait de lui écrire, j'ai recopié son adresse à Madrid.

M'est revenue une autre histoire en m'arrêtant devant le supermarché.
Une amie américaine, sachant que je me rendais en Finlande avec Bosseigne, m'avait confié un petite paquet léger à envoyer à une adresse à Helsinki. Il faut impérativement le poster d'Helsinki. Je veux que ce salaud (son ancien amant) croie que je suis en Finlande, tu comprends. Je veux lui faire peur.
Ce que j'avais fait. Plus tard, elle m'avait révélé le contenu du paquet: une chemise de nuit lacérée en étroites lanières. Son amant la lui avait offerte il y avait de ça bien longtemps. Je n'ai pas dit à cette amie que peut-être son ancien amant avait tout oublié de leur histoire.

A Madrid, je n'ai envoyé aucune lettre ni paquet quelconque à l'adresse qui figure dans mon agenda à la lettre M.
Il était temps de faire quelques courses.
Bosseigne sera content s'il y a du jambon pour le petit déjeuner, ai-je pensé.
Et je suis entrée dans le magasin.








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