vendredi 24 mai 2013

Aller vers l'est, loin de Bosseigne?

Après l'ouest et le large, aller vers l'est.
Revenir d'abord.
A-t-on dit combien long est le retour?
Je ne parle pas du trajet de retour, de plus en plus court, grâce aux moyens de transport.
Non, je parle de ce temps de retour nécessaire au voyageur pour être là où il est à présent.
Agora, disent les portugais pour exprimer le présent. Et j'y vois la vastitude des terres du nord.
Landes fleuries et froides de ce mois de mai.
Ici les collines ont reverdi pendant mon absence. Bosseigne trouve que c'est plus joli ainsi.
La ville est froide encore, malgré la saison et les gens se plaignent du temps et de l'absence de fruits sur les arbres. Les figues, par exemple.


Il n'y a pas de figuier en Suisse, m'écrit une amie. Il y a d'autres arbres. Mais pas de figuiers, ni d'orangers, comme ceux que tu as vus à l'ouest.

Bosseigne me demande si je compte à nouveau partir. Il y a un peu de malice dans son regard. Et toi, ai-je répondu.
Je sais très bien qu'il n'aime pas voyager, mais il a tout de même fait le voyage en Cévennes avec moi pour apporter le fauteuil à la Tapissière, ai-je pensé, c'était il y a quatre ans.
Tu n'y penses pas! s'est-il exclamé. J'ai une thèse à écrire.

C'est vrai, Bosseigne a du travail, sur son bureau, dans sa tête, tant d'informations sur les textiles et les allergies qu'ils provoquent, son écran d'ordinateur rempli de tableaux et de chiffres. Quand mon parent m'a annoncé le sujet sur lequel il voulait travailler, j'ai été tenté de lui dire que le texte se tissait de mots qui provoquaient parfois de redoutables allergies. Humour que Bosseigne aurait jugé déplacé. Sans doute.

Oui, je repartirai, ai-je enfin répondu.
Vers l'est, a demandé Bosseigne.
En effet, vers l'est, ai-je répondu.
Ce qui n'est pas dans tes habitudes, a-t-il commenté.

J'ai quelque chose à accomplir en Suisse, ai-je concédé à Bosseigne.
Tu veux que je t'accompagne, a-t-il demandé.
J'ai été si surprise par sa réaction que je suis restée sans voix. Mon parent ne pense pas qu'à son fauteuil et à sa thèse, me suis-je dit, sans pouvoir lui répondre. Ce que j'avais à faire en Suisse ne lui aurait pas plu. Il y aurait vu une manière de le tenir à l'écart de ma vie personnelle ou de ma relation à notre famille. Ou bien, ce fâcheux goût du secret. Car, en fait, ce que j'avais à faire à l'est, avait à voir avec notre histoire, celle d'une famille en fuite, la nôtre, celle de Bosseigne et la mienne, la même. Avait à voir avec ma mère, elle qui avait choisi de son vivant le jeune Bosseigne comme légataire du fauteuil familial.

La Suisse de septembre ne te conviendrait pas, ai-je finalement dit.
C'est la période où je dois faire une présentation de l'état de mes recherches, en effet ce serait difficile pour moi de t'accompagner.
Je peux et veux y aller toute seule, ai-je affirmé, et là, Bosseigne a été surpris à son tour par la détermination avec laquelle sa parente lui répondait. Il me connaissait comme une femme hésitante et parfois même timorée. Aller vers l'ouest était plus facile, il le savait, pour quelqu'un qui aimait la poésie et le sud. Il ignorait que j'avais aussi de l'affection et de l'intérêt pour d'autres lieux. Même si je redoutais l'est, je n'en étais pas moins attirée par lui à cause de notre fuite familiale, aurais-je pu lui expliquer.

Le fauteuil sera prêt cet été, tu viendras avec moi chez la Tapissière, a-t-il fini par demander, comme s'il était nécessaire de changer de sujet de conversation.
Tu en sûr, ai-je alors questionné, sûr qu'il sera fini?
J'ai eu Joker au téléphone ce matin, oui, il sera prêt cet été, en août, tu viendras avec moi, n'est-ce pas?

Je n'ai pas répondu à Bosseigne.
Nous sommes sortis dans le jardin, si beau qu'on aurait aimé que rien ne lui arrive de ce qui arrive aux jardins, la fânaison, l'herbe envahissante et mauvaise, les branches à couper. L'étang recouvert de feuilles mortes.
Nous avons marché entre les roses sans rien dire. Bosseigne savait que je viendrais avec lui chez mon amie la Tapissière pour y chercher le nouveau fauteuil. Enfin le fauteuil familial recouvert de frais.


Au fait, quelle couleur avais-tu choisie pour le tissu?
Je crois qu'il y a du rouge et du noir dans les motifs.
Quelque chose d'assez baroque, qui devrait te plaire, a-t-il ajouté. Oui, baroque, dans mon souvenir.
En effet, quatre ans, c'est long, ai-je répondu.
Nous avons ri, comme deux complices.
Tu aimes bien ce qui est baroque, ai-je alors demandé. J'avais souvent considéré mon parent comme quelqu'un de très sage et de très rationnel et ce, depuis notre enfance.
Pas nécessairement, mais je suis capable d'en voir la singulière énergie. Un thésard a besoin d'énergie! s'est-il exclamé en coupant net la tige d'une rose rouge. Voilà pour le baroque, a-t-il dit en éclatant de rire.
Il est dommage alors que tu ne l'aies pas eu plus tôt, tu es presque à la fin de cette thèse...
C'est vrai, mais je vais pouvoir vérifier une de mes hypothèses en travaillant assis sur ce fauteuil.
Laquelle, ai-je demandé plus par politesse envers mon parent que par réelle curiosité.

Mais Bosseigne s'est mis à arpenter le jardin comme si brusquement une nécessité nouvelle le poussait à aller vite et je n'ai pas eu droit à une réponse. Peut-être savait-il que sa réponse m'importait peu. Alors nous avons rebroussé chemin vers la maison familiale. Du thé peut-être, ou un café nous ferait du bien. Il faisait frais au jardin, et comme l'avait dit la voisine, il y aurait peu de fruits cet été.

Mais peut-être ramènerions-nous à la maison un fauteuil tout de neuf revêtu cet été.
Le fauteuil de Bosseigne.
Ensuite je pourrais me rendre dans la Suisse de septembre, celle qu'avait quittée notre famille en fuite.
Y revenir serait une bonne manière d'en finir avec le fauteuil, me suis-je dit sans en faire part à mon compagnon, déjà en train de mettre à faire chauffer la bouilloire pour le thé.
Je l'ai déjà dit, Bosseigne est un être loyal et raisonnable.
Ce qui n'est pas toujours mon cas.

C'est pourquoi je suis entrée dans la maison le rejoindre.
Pour boire avec lui en silence un thé familial.




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