lundi 3 août 2015

Une brouette en héritage

On ouvre au hasard et le premier mot est...brouette.

C'est un jeu que nous pratiquons en désespoir de cause. Bosseigne et moi. Matin surtout. Soir parfois.
A défaut de parler. Causerie vaine. Cossery écrivain.
Sans parenthèses.

Je vais lui mettre un message, s'écrie mon parent en s'asseyant avec brusquerie à coté de moi.
Joker?
Non.

Le soir nous nous tenons sur la terrasse, face aux étoiles. A attendre qu'après l'étoile solitaire, arrive la multitude, ce fouillis lacté.

Si tu veux, nous pouvons aller encore plus loin, ai-je répondu.
Un message, c'est déjà bien, a dit mon parent.
Non.
Hein?
Je parler de voyage vers le nord. Lac Kenozero. Lac Ladoga. Carélie.
Je veux récupérer mon héritage, hier tu as employé le mot. C'est le bon.
Donc ce soir le mot est héritage.
Je le tiens de ta famille, ce mot, et le fauteuil avec lui.

C'était vrai. Alors je n'ai rien ajouté. Ce mot nous accompagnait depuis des années. Depuis et même avant la mort de ma mère. Certains n'héritent jamais. D'autres, de trop. Certains d'un fauteuil qui les entraîne très loin. Surtout quand il disparaît et ne réapparaît pas. Mais peut-être que l'obstination teintée de colère de mon parent allait provoquer une réaction de la Tapissière.

Tu sais quoi écrire, ai-je demandé.
Une phrase sèche. Concise. Explicite sans être menaçante.
Tu lui parles du lac Kenozero et de la Mer Blanche?
Je ne vois pas.
Tu pourrais dire que tu vas emporter ce fauteuil pour écrire là-bas, ça va l'impressionner.
C'est un mensonge.
Oui, mais la Tapissière...
Je sais. Elle ne dit rien, c'est aussi une forme de mensonge. Mais je n'en ai pas besoin. La vérité, c'est que je veux mon héritage.
Tu as aussi hérité de cette maison.
Avec toi.
Ca ne change rien. Et d'une brouette, mentionnée spécialement dan un codicille, en compagnie du fauteuil.
C'était une plaisanterie, tu le sais bien. Ta mère aimait rire.
Pas avec sa fille en tout cas. Ou alors à ses dépens.
Une brouette n'est pas un fauteuil. Ni un héritage.
James Sacré en a toute une collection.
Il est jardinier?
Non, poète.


Silence. Chacun digère les propos de l'autre et lèche ses plaies.

Tu sais pourquoi la ville d'Arkhangelsk s'appelle comme ça? ai-je demandé.
(Question à Bosseigne.
Pour l'entraîner loin des brouettes?)

A cause des moines et de l'archange saint Michel. Aucun écrivain n'est natif de cette ville. On peut la rejoindre depuis Saint Pétersbourg ou Mourmansk. Mais je n'en vois pas la nécessité. Nous partons en Cévennes, non?
A cause d'un fauteuil, ai-je soupiré.
Non, à cause d'une Tapissière.
Reste la brouette.
Et nos nuits blanches, a ajouté mon parent. Tu prends un peu de sauge, ça aide à digérer...
Je parie que la Tapissière fera la sourde oreille.
Pari tenu, a répliqué vivement Bosseigne en se levant pour préparer l'infusion.

Lui parti, je me suis demandée ce que nous deviendrions si le fauteuil revenait.
S'il retrouvait sa fonction dans le bureau de Bosseigne.

Au fait, a dit Bosseigne, je ne t'ai pas dit. Le voisin nous a donné un coq.
Quelle horreur, me suis-je dit, attendant la suite. Un coq pour Soutine, me suis-je rassuré.
Mort, évidemment. Ne t'étonne pas si tu le vois à côté du garage. Je le cuisinerai demain.
Avant de partir?
On l'emportera pour le manger en route.
Ah?
Ou on partira après le déjeuner. De toute façon il me faut la réponse de la Tapissière.
Je croyais qu'on allait dans son atelier le récupérer.
Oui. Mais il y a un coq maintenant, en plus du fauteuil et de la brouette.


Ne t'inquiète de rien, a ajouté mon parent. J'ai envoyé le message. Ce fauteuil va revenir ici. Je vais en jouir et toi aussi.
Comment ça?
Tu verras.

Et mon Bosseigne, énigmatique comme un chat noir, a rejoint la maison, en chantonnant pour nous préparer une infusion de sauge.




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