samedi 8 août 2015

Toucher la borne d'indifférence et.

Repartir ou.
Partir.
On ne part pas?
Tu cites Rimbaud dès le matin?
A peine.

Il y a ce mot et l'objet. Borne.
Le poète, demande Bosseigne.
Non, la borne de notre enfance.
La limite, la frontière?
Non, blanche et jaune, la borne kilométrique. Mais aussi rouge et blanche. Celle dont parle Pasolini. Et Pouchkine.
Un russe, un italien?
Deux poètes. Mais je pensais aussi à la borne d'indifférence. Ou encore d'incertitude.
Blanche et jaune?
J'ignore ses couleurs. Mais elles existent autant que les bornes sur les routes de France.
On n'en voit plus guère pourtant.
Nous les comptions enfants, tu te souviens?
Dans la voiture de ta mère, oui, je me souviens.





C'est comme ce mot. Ou la blessure qu'il provoque. Comme souvent les mots. On dit : blessants. Le peuple, celui dont on rêve de faire partie. Ou de ne pas selon. Dont on vante la beauté. Ou pas. Qu'on dénigre. Un peuple rêvé, écrivait Pasolini, qui s'est perdu, qu'on a perdu. Et nous là, si loin du monde. Ou si proches. Du peuple, je ne sais pas. Borne d'incertitude. Ma mère refusait ce mot. C'était vulgaire, le peuple. Il fallait s'en distinguer. Elle voulait que je sois une jeune fille distinguée. Inconsciemment je rapprochais cet adjectif d'un autre: indisposée, qui ne semblait concerner que les filles. Puis les lucioles ont disparu.

Mais pas les vers luisants, m'interrompt Bosseigne en montant du doigt la haie.
Nuit des étoiles solitaires.
Et des vers luisants.
Uniquement les femelles, ajoute mon parent, le doigt toujours braqué vers le fond du jardin.

La nuit est douce. Elle prépare le sommeil, sur les bras et les jambes qu'elle effleure à peine.
Souffles chuchotés, envol des chauve-souris.
Le masque n'est pas arrivé.
Encore un objet manquant, pourrais-je dire. Mais je ne dis rien.
On peut acheter des bornes sur internet.
A quoi bon, ai-je pensé, si les masques.

Un enfant borné, expression terrible, reprend Bosseigne.
Un jardin est borné et ce peut être rassurant.
Mais un enfant?

Question de style.
Retour à la ligne.

Peuple de banlieue auquel nous appartenions, ma mère et moi, déguisé dans l'adresse évocatrice des grandes propriétés marseillaises. Des Tilleuls. Mais achélèmes tout de même. Paraître, comparaître, disparaître. Je me souviens de mon désir d'invisibilité. Bague magique: tu la tournes et hop, tu deviens invisible.

Mais la nuit, commence Bosseigne, est un pays d'invisibles, ce qu'ont bien compris lucioles et vers luisants.
Nous aussi.
Nous aurions compris quelque chose?
L'usage du et et du ou, par exemple.
Une question de style alors?

Oui, Bosseigne.
Mais je me tais.
Mon parent rit dans le noir.
Invisible.
Et moi.
Je lui souris.
Invisibles et incertains.
Loin de la borne d'indifférence.
Très loin.
D'un fauteuil et d'un masque négligemment posé sur un de ses accoudoirs.

Nuit des étoiles, avait-on écrit dans le journal.
C'est maintenant.
Abandonnons l'idée même de borne.
Abolissons le nec plus ultra.
Entre l'intervalle de confiance et l'incertitude, un territoire à explorer.

Passons outre.
Plus oultre.
Et.
Voilà la Suisse.




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