jeudi 13 août 2015

Un fauteuil près d'une borne

Tout ce qui doit s'interrompre s'interrompt,  a maugréé Bosseigne, la tête renversée vers les étoiles.

Comme je ne voyais que le ciel troué de lumière, je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire. Mais comme souvent, je ne m'en suis pas préoccupée outre mesure. Nous étions en montagne, loin de la maison que nous avions reçue en héritage. A la poursuite de la Tapissière. Nos recherches s'étaient pour l'heure soldées par un échec. La quête du fauteuil devait-elle s'interrompre? ou s'agissait-il d'autre chose? Mon parent broyait du noir et l'approche de la fin de l'été le rendait morose. Je connaissais bien ses tendances mélancoliques. Ne vivais-je pas à leurs rythmes?


Une borne, n'interrompt pas, elle marque, un point c'est tout. Elle fait partie d'un ensemble et a une fonction bien précise, ai-je fini par dire.

On n'en voit plus beaucoup.
Mais si! Il suffit de bien regarder. Les anciennes sont remplacées par des nouvelles, en métal et des mêmes couleurs que les autres.
Tout de même, il n'y en a plus autant.
C'est à voir. Les métalliques sont plates.
Et les anciennes?
Souvent en granit et peintes. Elles indiquent de quelle route il s'agit, l'altitude et parfois même les distances.

Quant aux fauteuils...On n'en trouve pas toujours au bord des routes, a marmonné mon parent, agacé sans doute par le tour que prenait la conversation.


Nous n'avions pas retrouvé le fauteuil. Ni la Tapissière, à nouveau loin de chez elle, nous avait-on dit.

Quelqu'un qui la connaissait avait évoqué le Népal ou le Bhoutan, pays si lointains que rien en nous permettait d'espérer en son retour, avait ajouté Bosseigne.
Par contre, nous avions photographié des bornes kilométriques et fait le tour d'un village où était organisé un vide maison. Un peu de distraction, avais-je pensé, ne pouvait nous faire de mal. Aussi nous étions-nous arrêtés et avions entrepris d'arpenter le village. Chaque maison avait son jardin ou son garage ouverts et remplis d'objets hétéroclites à vendre. Bosseigne comme moi aime assez ce genre de musées que sont les brocantes en tous genres. Et l'idée de la trouvaille miraculeuse le maintenait en alerte dans l'espoir de combler enfin l'absence du seul meuble auquel sa vie semblait suspendue.


Et la mienne, me suis-je demandée, est-elle aussi liée à ce fauteuil ? Voilà du grain à moudre, me suis-je encore dit, tout en suivant mon parent dans les rues du village. Et c’est là, devant une remise ouverte, entre des vêtements usagés et des objets dépareillés que mon parent a découvert son nouveau fauteuil. Rien à voir avec son héritage, rien, sauf le mot pour le désigner. Très différent, en châtaignier et paillé, il offrait tout de même une assise à un lecteur assidu, et aussi un certain confort grâce à ses accoudoirs. En assez bon état, a dit la dame qui le proposait à la vente. Et puis, quinze euros, ce n’est rien pour un fauteuil !

C’est ainsi que nous sommes revenus de la montagne.
Un peu moins tristes.
Un peu moins orphelins.
Sans toutefois avoir élucidé le mystère du fauteuil de ma mère.
Ni les motifs secrets de la Tapissière à ne nous donner aucune nouvelle.
Mais mon parent avait désormais de quoi asseoir sa mélancolie.
Un masque de guérison et un fauteuil en châtaignier.
Moi, je ne savais pas ce que ça changerait dans nos habitudes.
Bosseigne a déclaré : c’est la bienveillance du masque qui a produit ce miracle.
Ce nouveau fauteuil est un miracle.
Je n’ai pas ri.

Mon parent non plus.
C’est une affaire sérieuse, a conclu Bosseigne en transportant le fauteuil dans son bureau.
Je ne l’ai pas suivi.
Je suis allée dormir.


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