vendredi 14 août 2015

Notre histoire est dans le tableau, dit mon parent!

Le lendemain matin, sur la table où nous prenions le petit déjeuner, Bosseigne avait déposé une autre de ses acquisitions.

Petite panneau de bois recouvert de peinture, avec un trou au milieu, en haut. Pour l'accrocher?

Regarde, dit mon parent, regarde bien ce tableau.
Je vois des personnages, une salle d'auberge, une signature.
Et encore?
Une femme très maquillée. Des hommes qui mangent et boivent.
Et?
Un aubergiste, une serveuse.
Où se passe cette scène?
Dans le Nord?
La personne à qui j'ai acheté ce petit tableau m'a raconté un peu.
Quoi?
Notre histoire.
Hein? me suis-je écrié un peu malgré moi.


Bosseigne semblait content de lui. C'est le fauteuil, ai-je pensé. Il est réconforté. Ou le masque. Ou les deux. Ou encore cette petite chose peinte qu'il me demandait d'observer.

Notre histoire est dans ce tableau. Manger, boire, tenter de poursuivre ce qui a été commencé. On pourrait même aller jusqu'à dire: dans tout tableau. Mais celui-là est l'oeuvre d'un pauvre errant qui payait son gîte avec sa peinture. Tu vois?



Je ne voyais rien. Mais je préférais attendre la suite. Qui viendrait, je connaissais mon Bosseigne.

Il s'agit d'un héritage. La femme qui me l'a vendu l'avait elle-même reçue de sa grand-mère. Celle qui nourrissait le peintre vagabond qu'elle avait recueilli par charité. Et lui peignait sur tout ce qui lui tombait sous la main: modestes supports d'une histoire commune et singulière.
Oui, ai-je acquiescé, pour témoigner de ma bonne volonté.
Nous héritons de choses qui nous dépassent et dont le fardeau est si lourd que nous devons en être débarrassés.

La phrase de mon parent flotta un moment dans l'air rafraîchi par la pluie nocturne. On était ailleurs: peut-être en Suisse.

Le fauteuil de ta mère ne reviendra jamais dans cette maison, par contre celui que nous avons acheté va y trouver sa place. Aucun fantôme ne s'assiéra dans mon bureau tant qu'il y sera. Et sois sûre que je le laisserai jamais sortir d'ici. Ou avec moi seulement. Eh bien, poursuivit-il, eh bien, nous voilà libres à présent. Et cette femme.
Oui?
Qui m'a vendu le tableau me l'a dit clairement: il ne faut pas garder les histoires trop longtemps avec soi.  Sa grand-mère avait accroché le tableau dans la pièce aux chèvres, m'a-t-elle confié, l'éloignant un peu du centre de leur maison. On ne sait jamais, a-t-elle ajouté et moi, je préfère m'en défaire. Cet homme, le gribouilleur, c'est ainsi qu'elle a appelé le peintre, est parti un jour. On n'a plus jamais eu de ses nouvelles. Et c'était très bien comme ça.
Pourtant, ai-je tenté.
Et nous ne léguerons à personne ce fauteuil, ni ce tableau. Et toi?
Hein?

Mon parent allait décidément beaucoup mieux. Sa mélancolie s'était muée en gaieté. Il s'amusait à nouveau à mes dépens.

Moi?
Oui, qu'as-tu acheté au fait?
Une bribe, ai-je répondu.
Bribe de quoi?
Je n'en sais rien, un morceau, un éclat de mur peint avec de la couleur rouge.
Ce qui tu as déposé dans le coffre de la voiture avec une mine de conspiratrice?
Un truc sans importance, mais j'y vois moi aussi un signe de protection.
Montre donc!
Je l'ai acheté parce qu'il ne coûtait pas grand chose et avait un air un peu mystérieux.
Notre histoire...
Oui, je sais.
Où est-il?
Regarde, ai-je dit à mon tour. Il est là!









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