vendredi 19 avril 2019

Have I the moon in my pocket?

Bonne question, dit le loup.
Pour une fois, la renarde avait frappé au bon endroit.
Les autres se taisaient, épuisés sans doute par la course qu'ils venaient de faire à travers la forêt.
Les hommes, reprit la petite bête rusée, vont à l'usine. Toute une vie.
Nous, nous tenons la lune par les dents et parfois la gardons pour nous seuls.
C'est ainsi que nous sommes.

Il y a d'autres questions, bougonna le loup.

Mais nous sommes si fatigués, nous ne sommes pas obligés de répondre aux questions tout de suite.
Allons au bord de l'eau, l'interrompit le chevreuil. Regardons-là bruire doucement. Suffisant, non?

Nous ne possédons rien, reprit le chevreuil, ni de la réconciliation, ni de la petite usine.
C'est ainsi que nous vivons, dans l'ignorance.
Et puis, nous vivons ici sans livre d'aucune sorte, à part les tronc des arbres, les sillons boueux des chemins, les eaux.
Il nous suffit de regarder les nettes rousses chercher à s'accoupler. Histoires recommencées.

photo F.R.

Je me souviens, reprit la corneille, d'un livre.
Je le lisais passionnément, redoutant le moment où il serait fini. Jusqu'au moment où je suis tombée sur un passage qui évoquait la vie d'une femme pour qui à soixante ans tout était réglé. Elle ne serait jamais la grande artiste reconnue dont elle avait cru que ce serait son avenir. Ne lui restait que la mort, ou la folie, mais la mort certainement. C'est à ce moment que le livre s'est arrêté pour moi, comme pour elle.

Lune dans la poche, mais aussi oiseau lune, sussura la Petite.
Poule-lune, pensée détachée, ces expressions, je les ai trouvées dans un livre.

Désormais nous vivons sans. C'est notre punition.
Dans la tête, la mémoire a ses munitions, il faut nous en servir, dit la renarde.
Dans toutes langues que nous connaissons et même celles que nous ignorons.

Peu de livres sont imprimés en rouge, c'est bien dommage, soupira le loup.
Cette nuit, j'ai rêvé que j'avais écrit un conte et je suppliais un éditeur de le publier, imprimé à l'encre rouge. Évidemment il refusait, alors je me suis énervé et je l'ai mordu. Du sang, le sien, a coulé.
Voyez, lui ai-je dit, comme cette couleur est celle de la littérature.
Eh bien, il en a convenu.
Nous en sommes restés là et je me suis réveillé avec vous, dans la peau du loup.

Et la lune in the pocket?

 

1 commentaire:

  1. Une belle histoire très habitée ! C'est bien là qu'elle est, la littérature, chez les loups mangeurs de lune !

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