mardi 31 octobre 2017

Tout est à sa place, le point surtout. Et son prolongement.

Nous sommes revenus.
Avons retrouvé la maison à sa place et le livre d'Andreï Baldine aussi.
Nous pouvions commencer un nouveau voyage de part et d'autre du Don.
Réfléchir à ce que le paysage fait aux hommes et à ce qu'ils font au paysage, les hommes.
Cette fois ce serait un voyage immobile.

Still Life, Bremen

Nous pourrions penser aux langues aussi.
Au tracé des mots qui forment des limites.
Limes, confine.
Ce que dit une écriture manuelle et que ne dit pas la machine.
Écrire à la main en allemand, en français, en latin, est-ce la même manière?
Il faudrait avoir le droit de contracter un crédit de quelques années, - du temps-, pour apprendre toutes ces langues qui fourmillent au bout de nos doigts et de nos bouches.
J'aurais besoin de dix années.
Et il me faudrait aussi l'espace ouvert de la steppe pour que mes pieds et mes jambes refleurissent en courant à nouveau ensemble.
Et puis encore quelques années pour écrire l'épopée des mille vies croisées au cours de nos voyages.

Tout est à sa place et brille.
On dirait que Noël approche tant tout resplendit dans la lumière vive.
Et froide.
On y est, murmure une voix.
Presque.
Mais les feuilles tiennent encore aux arbres, la vigne rougit à peine, rien ne manque aux oiseaux.
Le point clôt la phrase comme la nuit précoce la journée.
Tout est à sa place.
Répète une voix et sa rengaine.
De quelle inquiétude vient-elle, de quelle absence?
Nous sommes revenus. Le basilic n'est pas mort. Le feu brûle.

Que ferons-nous du paysage que nous ramenons du Nord par brassées, de ces arbres immenses, de ces bouleaux féminins, des eaux et des forêts, des passages furtifs de chevreuils et de cerfs, qu'en ferons-nous, une fois nos bagages vidés, linge rangé, livres et nourritures sur les tables?
Nous n'en savons rien.
Nous rêvassons un peu.
Mâchonnant d'autres questions.
Comme.
Que ferons-nous du nom de Paula M.Becker? 
Nous avions marché dans Worspwede, senti la mousse sous nos pieds et le paysage vaste et minuscule nécessaire à l'artiste.
Ateliers, maisons, musées et cimetière.
Choses passées et présentes, empreintes de pas dans la boue des chemins qui traversent le bois.
Il y avait sur un trottoir des choses jetées à qui voudrait les emporter.
Nous avons pris deux chaises de jardin, nous les avons nommé les chaises de Paula, elles toutes rouillées et branlantes, prêtes à finir à la décharge.
Nous les réparerons. Les repeindrons. À nouveau elles retrouveront leur nom et leur fonction de chaises. Elles auront parcouru plus de mille kilomètres pour que nous puissions nous asseoir en revivant Worpswede et la peinture de Paula Becker, un nouveau voyage grâce à elles.
Voilà ce que nous nous sommes dit en les fourrant dans l'auto, nos belles chaises de peu.
Un trésor, un tribut, un souvenir?
Les deux chaises nous accompagneront jusqu'au prochain été.
Et nous ,ous efforcerons de les accompagner aussi.

Le paysage du Sud qui nous entoure sent la poussière dorée et le cumin.Dans le jardin, les feuilles craquent sous les pas et aucune plaque ne parle la langue de la mémoire.
Au village, y a-t-il eu des familles qui ont disparu?
Dénoncées. Déportées.

Tout est à sa place.
J'ai ramassé des chrysanthèmes blancs, me souvenant qu'ils avaient été rouges.
Mais là, coeur d'or, pétales blanches, à lier dans un verre acheté à Elseneur.
Pour la couleur, la gentillesse du vendeur qui aimait la France et a voulu me l'offrir.
Et finalement nous donna une jolie bouteille de vin de noix.
Et maintenant, vase, bouteille, carnets, tout est à sa place.
Le point aussi.
Peut s'entreprendre la tâche de longue haleine pour laquelle un crédit a été demandé.
Vraiment?
Je relis cette phrase de Marguerite Duras lue il y a longtemps et retrouvée dans ce livre ramené d'Allemagne: " Il y a toujours un enfant qui veut suivre la mer pour voir."

Et le Petit, bientôt revenu, aura-t-il à la bouche la plume qui fait défaut à l'oiseau?


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