vendredi 27 octobre 2017

Flocon de sommeil, Ulysse épuisé, petite plaque de cuivre


Sur la montée vers le vieux donjon en ruine, une phrase de Goethe a été inscrite sur un panneau de bois. Incitant le marcheur à poursuivre son chemin, elle explique que c'est ainsi que nous nous trouvons, en marchant, en cheminant. De préférence en montée. Au bout du sentier qui s'élève au coeur de la forêt, les ruines de l'Histoire.

Plus bas, sur un trottoir d'une petite ville de la Forêt Noire, une petite plaque de cuivre. Peu bavarde. Les mots ont même tendance à s'effacer. Seul le nom et le prénom restent lisibles clairement. Et les dates. 1902. 1938. 1940. Et ce nom que l'on déchiffre avec peine: MAUTHAUSEN éclaire la promenade urbaine. Lumière noire. Contraste violent avec les chrysanthèmes jaunes et violets qui décorent (?) la ville en l'honneur de je ne sais quel anniversaire.

Le soleil glisse sur les vertes prairies.
On s'attend à voir sur son banc Heidegger fumant la pipe du philosophe.
En toute conscience. Comme si rien n'était arrivé.
Comme si certains mots n'avaient jamais été écrits.
En allemand. En français.
L'Allemagne est un pays de littérateurs et de poètes.
Il ne faut pas que les visiteurs l'oublient. Même ici, en Forêt noire.
Tous n'étaient pas des écrivains retardataires.

Ulysse épuisé se laisse glisser sur l'herbe.
Aucune envie de discuter avec le vieil homme têtu.
Seul "un flocon de sommeil" peut sauver le promeneur.
Effaçant la fumée d'une pipe malodorante.
Donnant "une chaude immunité" à celui qui regarde ce qui ne peut se considérer calmement.
En l'occurrence une petite plaque de cuivre si discrète que le promeneur souvent ne la voit pas et pose son pied sur elle. Et s'il la voit, il parvient difficilement à lire les caractères gravés et du coup ne comprend pas de quoi il est question. Un homme habitait là, oui, et après?

Mais qui est Ulysse et qui ne l'est pas, personne ne le sait vraiment.
Il suffit de se tenir en face de la plaque de cuivre. S'accroupir pour mieux voir.
Déchiffrer les mots. Y déceler le mot poète. À tort. Mais aussi, peut-être, le nom d'un camp.
À moins que ce ne soit le nom d'une petite ville.
Charmante. Comme beaucoup de petites villes fleuries.
Et lever le nez ( rote nose à cause de la pluie froide) pour guetter le flocon de sommeil.
Un grain de pavot?

KZ.
Konzentrationcamp.
Ce qu'il faut lire.
Sur la plaque de cuivre.
En attendant le flocon de sommeil.



PS: Les expressions flocon de sommeil, Ulysse épuisé proviennent du très beau livre de Peter Handke, Le recommencement, publié en France en 1989 dans la traduction de claude Porcell.







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