vendredi 13 octobre 2017

Né fatigué, il avance tout de même. Lui, l'écrivain retardataire.

Né fatigué, il avance tout de même. Lui, l'écrivain retardataire.
On ne se remet pas de sa naissance, de son enfance, de son âge adulte.
On n'en revient pas non plus, d'être encore en vie, ni de se sentir épuisé.
À ce point?
On se sait en retard.
Éloigné.
On s'est mis soi-même en retard.
Parce que trop épuisé pour expliquer parfois.
Pourquoi.
Malgré la joie.
Venue de l'amitié.
On aime le mot malgré. De mauvais gré, non.
Mais malgré.
Lui d'abord. Les autres ensuite. Malgré sa fatigue.
Tous les mots sont une chaîne.


L'écrivain fatigué est nécessairement retardataire.
Sa naissance déjà, toute une affaire de temps. De mauvais temps.
Il aurait dû naître plus tard. Ou plus tôt.
En tout cas il est né fatigué.
Au-dessus de son berceau, querelles.
Il lui semble encore les entendre.
Malgré. La distance. La mort de ses parents.
Trois autour d'un berceau, c'était un de trop.

Ne se remet pas d'être debout. D'avoir des genoux.
Des pieds en état de marche. Ou presque. Mais.
Se méfie instinctivement des optimistes.
Dans le grenier où on l'a logé, il rêve à cause du ciel très vaste.
Un ciel allemand. Il se demande si Walter Benjamin est passé par là.
Là?
Son lit est plus grand que celui de la rue Dombasle où dormait W.B.
Mais.
La fatigue certainement, l'épuisement même, le désespoir. Et surtout la frontière.
Là: une langue après l'autre, une souffrance après l'autre, puis toutes ensemble.
Lourdes aux épaules.
Font mal.
Un ange pourtant.
Venu du Nord.
Venu du Sud.
Et comme souvent la peau de l'un glisse sous la peau de l'autre.
Marseille pendant la guerre, ses parents arpentant la Canebière.
Plus tard, à son tour. Accélérant le pas, malgré sa fatigue.
Parce que, dans ce grenier, il apprend que ses parents ont croisé la route de W.B.
Malgré.
Ce qu'il sont. Tous.
Des retardataires, traversant les lignes sans les voir, flânant de fatigue en fatigue,
à  la recherche des mots justes. Perdus au labyrinthe des regards. Cherchant.
Non pas leur route. Mais la phrase exacte, le mot, le sens.
Alors s'égarant, s'épuisant, et là, en face de la nuit, le fantôme tendre hésite.
À leur porter secours.
C'est le fantôme des anges disparus, des errants, égarés sans boussole.

L'ange de Klee enfermé dans une valise s'échappera pour nous sauver.
Ange noir et blanc, ange bariolé, ange sauveur.
Malgré notre mauvaise fatigue.
Malgré l'odeur de fièvre.
Et la poussière.
Cet ange viendra à notre rencontre depuis les toits et survolera la ville sans hâte,
sûr de nous trouver à l'attendre, malgré.
Walter Benjamin a donné les papiers à Hannah et l'a vu les plier et les mettre dans son sac.
Et l'ange?
Le ciel est totalement noir maintenant, murmure W.B.
Je ne peux que lui donner raison.








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