mardi 10 novembre 2015

"L'âme n'est ni au-dessus, ni au-dedans. Elle est un voyageur sur la piste ouverte."

Méréville ou merveille, ça reste miraculeux.
De rester béant devant sa tasse.
A se demander si vraiment.

oeuvre de George Stolf


Mais c'est vraiment leur nom, a dit la cousine de Bosseigne.
On dirait deux seins, a-t-il osé, mais tout le monde doit penser la même chose, non?

Et Bosseigne nous regarde, nous, deux femmes assises devant nos tasses de thé, à béer.

La Norvège m'avait effleurée mais on avait sonné à la porte.
Alors j'avais repoussé mon livre et la quiétude supposée qu'il allait entraîner.
C'était la cousine de Bosseigne. Nous ne la voyions pas souvent. Nous l'aimions bien, chacun à notre manière. Elle appartenait comme nous à cette famille sans origine qui était la nôtre. Où trop d'origines brouillait parfois nos vies. Elle avait choisi une voie qui la tînt la plus loin possible de nous, tout en restant proche. Elle était médecin. Psychiatre. Dans un autre département. Pour oublier ses patients, elle faisait des confitures.

Un beau nom, tout de même, a-t-elle repris. E ce qu'on peut en faire est délicieux. Vous m'en direz des nouvelles.

Et le silence nous a repris tous les trois. Une fin de journée. Un ciel clair à compter les étoiles. A marcher en direction du nord.

Le thé ne remplacera jamais l'excitation que procure le café. Loin de provoquer la réflexion, il l'endort. C'est du moins mon point de vue, a commenté Bosseigne, pour nous contraindre à sortir de notre torpeur.

Je n'ai pas d'avis, a répondu la cousine. Et je n'aime pas le café à cause de son odeur.
Justement, c'est elle qui.
Non, ai-je coupé, non. Restons sur ce nom de méréville qui me fait penser aux petites filles modèles. Leur mère s'appelait madame de Fleurville.
Nous sommes loin d'être.
Des enfants modèles?
D'être tout court. Enfants, parents, orphelins, tout à la fois, tout en même temps.
Je vous ai apporté ce pot de méréville comme le chaperon l'apportait à sa mère grand pour la maintenir en vie. Pour maintenir le lien entre elles, puisque sa mère ne se déplaçait jamais, il fallait que ce fût la petite.
Il n'y a plus de mère ici, a souligné Bosseigne.
Ni de mère grand, a conclu la cousine de mon parent en se levant de sa chaise. Ce qui n'empêche rien.

"L'âme n'est ni au-dessus, ni au-dedans. Elle est un voyageur sur la piste ouverte."

Quand la cousine de Bosseigne avait sonné chez nous, j'étais arrêtée sur cette phrase de D.H Lawrence. A cause de mon eczéma. Et de cette conviction que l'âme s'exprime par la peau. A fleur de peau. Et à cause aussi de la piste sur laquelle, tel un bon chien de chasse, je poursuivais ma route depuis des jours et des jours.

Je vous remercie de ce moment. Au fait, a repris notre visiteuse, à son tour songeuse.
Oui, a questionné Bosseigne. Oui?
Il n'y avait pas un fauteuil voltaire ici, le fauteuil de ta mère, a-t-elle ajouté en s'adressant cette fois à moi.
Il est en rénovation, ai-je répondu un peu trop vite.
On espère qu'il sera prêt pour Noël.
Si tu viens à cette période, avec ou sans merveille, tu le verras.
Ici, au salon? a-t-elle encore questionné.
Ma mère l'a légué à Bosseigne à sa mort. Donc il ira dans le bureau de ton cousin.
Oui, bien sûr, il sera ici, qui sait? On verra, a commenté Bosseigne.
A suivre donc.

"L'obscurité est un lieu, la lumière est une route", a dit le cousin à sa cousine, en la raccompagnant.
Il faisait sombre déjà. Dylan Thomas, pourquoi pas?
Une soirée de marche à travers des paysages inconnus.
Seule. Sac à dos sur la page. Léger.
Sans déplacer autre chose qu'une main.
La cousine de Bosseigne avait laissé sur la table, entre nous, deux superbes pots de confiture de méréville, autrement appelée citre.

Mon parent a crié je vais marcher un peu. Tu viens?
J'étais déjà partie depuis longtemps.
Comment le rejoindre?

A plus tard, ai-je crié à mon tour.
Et allégra, ai-je murmuré.
D'un mot, la nuit s'est refermée.
Et je suis repartie vers le nord.









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