dimanche 22 novembre 2015

Entamer le jour/embarquer sa journée avec une capite.

23 novembre, capite brûlée, vent du nord, début d'hiver. Entame du jour.

Une capite?

Nous sommes restés hier soir longtemps à regarder le feu et des images d'un vieux film de Gus Van Sant, Mala Noche. Toute la nuit dans les noirs et la lumière dans les éclats. Un poète, jeune et beau, tombe amoureux d'un jeune mexicain insaisissable jusque dans l'amitié.

Et ce matin, réveillée tôt, seule à boire mon café, j'ai ouvert encore une fois le Journal de Gustave Roud.
D'abord je lui vole un mot, capite, et l'installe sur la table. Il fait froid dehors et nuit encore. Ce sera le premier mot. Dans le sommeil, un autre était venu: entamer. Le premier, une pépite de tristesse, un 4 juillet 1960, Gustave Roud note :" cette croissance offensive du silence intérieur" qui le cerne et le dévaste. Pourtant c'est l'été. La saison où il marche et prend des photos. D'ailleurs, il retrouve un instant ce bonheur que lui procure la beauté: "le moiré soyeux de la peau, dans la lumière sans dureté." Plus tard encore, il contemple la nature, "dans l'ombre de la petite capite" dont je suppose qu'elle est cabane, abri, maison légère dans la langue du pays de Vaud.
L'asile doux où seul regarder autour de soi importe. Voir. Entendre. le chant des alouettes.
Dans ma capite, aucun oiseau à entendre.
Silence.

Maintenant le soleil est levé. Le jour commence. Le vent oscille les cyprès. Une vieille mouche bourdonne avant de s'éteindre. Bosseigne s'active en bas. Le bruit du monde s'entend d'ici. La radio. Que nous écoutons avec compulsion.
Dans l'attente, la crainte, le désir secret d'une mauvaise nouvelle?
D'une parole libératrice?

Entamer signifie d'abord souiller, toucher en enlevant une partie. Porter atteinte. Diminuer.
Puis commencer à.
Convaincre.
Entreprendre enfin.

Je m'astreins à lire et relire le Journal de Roud.
Son inactualité apparente, les soucis qui le traversent, son inquiétude permanente, je m'en nourris.
Je ne saurais employer un autre mot.
Comme Pizarnik qui repose sur la table dans sa couverture rouge.
Ils me semblent tous deux répondre aux questions qui se posent.
Comme papillons, comme oiseaux, comme fleurs peuvent aussi nous répondre.

"C'est comme faire l'automne. Tu n'attendais rien de sa venue. Tu attendais tout."

Être en guerre. Être en paix.
Le corps même des cyprès est traversé par le vent et le soleil.
En même temps, le froid vif et la lumière.
Écrire, ne pas écrire une oeuvre, quelle importance aux yeux de vos proches.
Répondre aux lettres, oui, mais écrire dans le silence?
Ce Journal de Roud, comme la correspondance de Walser, par contre, m'ouvre un chemin. Je vois son auteur, ses routes, sa solitude me parler de nous, bien plus que de lui-même.
(En discuter avec Bosseigne?)

J'ai entamé de bonne heure.
Endormie avec Louis Soutter ( Louis sous la terre, de Sereine Berlottier).
Entrepris le matin avec Gustave Roud.
Dans la casine, (autre mot pour dire capite).
Et poursuivi avec Pizarnik.
Pas ouvert Austerlitz, qui m'accompagne sur la table, mais que je n'ouvre pas.
N'entame pas.





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