mercredi 12 juin 2013

Un mal nucléaire, dit Bosseigne

A la tête.
Mal à la tête.
Et toi?
Je t'ai écouté, alors, j'ai dû te répondre: moi aussi.


Nos premiers mots aujourd'hui, nous les collectionnerons.
On verra avec ceux de demain.
Quel est le premier, mal ou tête? Ou vont-ils par deux?
En un seul mot-douleur.

Bosseigne n'est pas convaincu. Il me regarde un peu bizarrement. Est de mauvaise humeur. Son travail. N'avance pas.

Bizarre de commencer une journée par le mal et la tête. C'est ce que doit penser Bosseigne. Mais c'est un garçon qui travaille avec, justement, sa tête. Ce qui ne veut pas dire qu'elle le fasse souffrir. Pourtant il devrait comprendre le mot-douleur. Nous venons d'une famille, mais je n'ai rien dit. Nous étions sur un banc, dans le jardin.

Tu travailles de la tête, comme on dit, à toujours ressasser des obsessions. Après le fauteuil, une collection de mots, pourquoi pas, mais choisir les premiers prononcés le matin, c'est une idée farfelue.
Mon parent emploie le mot farfelu mais n'a aucun sourire sur les lèvres. Pourtant, il ne souffre pas de migraine, lui.

C'est une manière de rompre l'ennui.
Tu t'ennuies en ce moment?
L'ennui, c'est lorsque je perds de vue la grande peinture verte et bleue sur le mur blanc.
Et le réveil, c'est une sacrée aventure. on sait qu'on est vivant, c'est tout.
Et le silence est dans la bouche avant la parole, non?
Tu comptes collectionner tes silences aussi?

Bosseigne se moque de moi et ça ne le fait pas rire non plus. Bosseigne est morose. Il doute que sa parente la plus proche soit sensée. Ou que sa présence lui apporte un réconfort puisque je ne parle que de migraine. Il est agacé. Et finit par l'exprimer.
Tu souffres en ma présence?
Le café apaise le mal à la tête.
Au fait, j'ai lu des choses amusantes sur les champignons. Et les textiles.
Pour ta thèse?
Plus ou moins. Si je te donne un mot comme champignon, tu en ferais quoi? propose Bosseigne, l'air sérieux.
A manger, à cueillir, à nettoyer, à éviter?
Eradiquons les moisissures des textiles. Ensuite voyons ce que nous pourrons récolter.
Ma mère disait que j'avais poussé comme un champignon. Je ne comprenais pas ce que ça signifiait.
Atomique, tu étais!
Et ton mal est nucléaire!
Et là, enfin, Bosseigne éclate de rire à l'idée d'avoir une parente pleine d'énergie nucléaire. Notre famille en fuite n'avait rien d'une famille nucléaire, ai-je pensé brusquement, au souvenir du cours de sociologie.
Tant de membres dispersés et au centre, ma mère trônant sur son fauteuil.

Ton mal à la tête vient de là, ne cherche plus, conclut-il en souriant d'aise.

C'étaient les premiers mots de la collection, ai-je pensé.
Un mal nucléaire.




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