mardi 4 juin 2013

Deuil de la musique, Bosseigne?

Musiciens vêtus de noir, comme en deuil de la musique.
Classique, précise Bosseigne, classique. Les musiciens classiques.
Tu n'as pas besoin de me répéter trois fois la même chose.

casa di Genova, dessin SD

Tu es agacée.
Davantage parce que tu n'aimes pas leurs vêtements noirs ou parce que tu n'as pas aimé le concert?

Ou pire, hasarde mon parent, tu n'as pas aimé de ne pas entrer dans la musique comme tes compagnons.
Cette histoire de vêtements, un peu absurde, non?

J'ai eu envie de lui répondre que la conversation était une variété de la lutte gréco-romaine et que.
Bosseigne est un lutteur. Je le sais depuis longtemps. Il ne peut laisser les paroles en l'air.
Deuil de la musique.
Je sais que les questions sont plus importantes que les réponses. Mais en ce cas, le noir n'est pas celui du deuil, au contraire, je dirai que c'est une tradition. Le vêtement noir est l'habit du musicien, comme est noir celui de la religieuse. Par esprit d'humilité?
Il a ri. Pas moi.

Je n'avais pas envie de m'expliquer. Je n'avais pas d'envie du tout. J'avais rêvé d'autre chose. La neige s'affalant par paquets sur le toit de la cabane du jardin. L'été allait arriver. Nous étions le 4 juin, martelait le calendrier. Et puis je me soupçonnais d'être en train de tomber amoureuse. Ce qui n'est pas une chose simple. Non, pas de mon parent, évidemment. Amoureuse d'une fille de mon adolescence. A nouveau, je ressentais le sentiment délicieux et douloureux lié à nos déambulations urbaines. Nous allions ramasser des fleurs après le marché et nous les portions dans nos cheveux. Des femen avant l'heure.

Il y a de ça longtemps. Commente Bosseigne.
Cette fille, tu ne sais pas ce qu'elle est devenue.
Non.
Si tu la voyais là.
Je ne serai pas amoureuse, si c'est ce que tu veux dire.

Bosseigne a raison. C'est comme le fauteuil. Ne reste de lui qu'une image à présent qu'il a déserté la maison familiale pour une hypothétique rénovation. Mon amoureuse est un souvenir, une image en mouvement d'un temps disparu, une Albertine jamais retrouvée. Et c'est tant mieux, ai-je conclu.
Ensemble nous avions ri, marché, conspiré même.
De cette jeune fille à la dent cassée, que reste-t-il. Peut-être s'est-elle fait arranger les dents. A-t-elle jamais su que cette ébréchure dans le sourire avait eu sur moi un effet puissant. Encore une fois, comme le fauteuil de Bosseigne, hérité de ma mère de son vivant, ai-je pensé avec aigreur.

Tu n'aurais pas dû sortir hier soir, ça t'a mis de fort mauvaise humeur.
En te rappelant à ta condition.
A ma surdité, sans aucun doute.  Le temps grisaille, ça doit être ce qui me rend aigrie.
Aigre, plutôt, ce n'est pas le même état. Pense aux cornichons puisque tu rêves de taïga russe.

Bosseigne, raison encore une fois. Echec et mat.
Je suis aigre comme un cornichon.
En deuil de la musique et de l'amour.
Voilà de quoi faire rire toute une compagnie de noirs musiciens classiques.
Sauf moi.









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