mercredi 5 juin 2013

Creuser une route entre Limonov, Cendrars et le Baïkal?

Tu vois un rapport entre eux?
Bosseigne pose la question en baillant.
Ne semble pas très intéressé par la réponse.
Toujours cette question du bonheur, hein, qui n'arrête pas de travailler sa route.

C'est la Russie, ai-je marmonné.
On ne peut pas l'oublier, la Russie.
A cause de la littérature? Limonov?
Pas seulement, non. Mais cette ligne rouge qui va de Moscou à Vladivostock.
Et ces gens qui sans arrêt dépassent la limite. Qui brouillent notre compréhension des choses.
Oui, Limonov mais aussi Tsevetaïeva.
Voilà bien ton amour des noms de lieux qui ressurgit.
Pas seulement l'amour des noms. Des gens aussi.
Vladivostock, c'est un enfer!

Evidemment, évidemment. Bosseigne voudrait me faire entendre raison. Alors il ajoute en guise de conclusion.
Et Sakhaline et Oulan Bator etc.


Mais il y a cette cabane au bord du Baïkal, ai-je tenté.
Les cabanes, on peut en construire où on veut. On n'est pas obligé de risquer sa vie par moins trente.
C'est la question de l'espace qui travaille là. Route ou pas route.
Et le Goulag?
Personne ne peut rien en dire après Chalamov.
Il y a des écrivains français qui se réfugient dans une cabane au bord du Baïkal pour s'entendre vivre. Tu comprends ça, vivre!

Je ne comprends rien, Bosseigne, ai-je eu envie de lui répondre.
C'est l'espace, son froid de neige mortel, sa langue, son immensité muette.
Les couleurs peut-être aussi, blanche et rouge. Et Cendrars.
Alors, courageusement, je prononce ce nom: Cendrars.
Encore un russe?
Non, un suisse.
Nous y revoilà, ricane mon parent.
Vers l'est toute, à présent. Tu sais au moins vers quoi tu vas, au risque de beaucoup de souffrances?

Ma première émotion poétique, je la dois à Cendrars, un suisse parti à Moscou et qui a écrit la Prose du transsibérien. Pour dire cette phrase, il a fallu que je fasse un effort. Ce n'est pas une conversation, mais une véritable lutte. Bosseigne est armé jusqu'aux dents aujourd'hui, un guerrier. Je me sens pitoyable devant lui quand il est rempli de cette force guerrière.

Rêveuse, va! s'exclame Bosseigne. Encore un livre que tu vas devoir me prêter.
Ella Maillart aussi et Anne-marie Schwarzenbach étaient suisses, et Nicolas Bouvier.
Je n'ai pas énuméré ces noms aimés de peur de me faire traiter de pédante.

Pour bien lire, a soudain déclaré Bosseigne, il faut un bon fauteuil.
J'attendrais pour Cendrars d'avoir récupéré mon héritage.
L'avais-je fâché? Il ne souriait plus.
Sans un mot de plus, il est reparti vers son bureau.
Et moi vers les bouleaux blancs qu'on aperçoit du train quand on approche de St Petersbourg.



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