mardi 28 août 2018

Une tasse sans anse




Hier lisant Quignard parlant de tasse brisée, aujourd’hui buvant le café matinal tout en lisotant le carnet du grand chemin de Gracq, hop, l’anse m’est restée dans la main et la tasse retombant sur la table a tout éclaboussé jusqu’à mon visage.
Cette tasse n’était pas n’importe laquelle. Offerte par le troisième fils, elle avait sa place avec les autres dans le placard. Suspendue parallèlement à ses sœurs. Il lui sera désormais impossible de les y rejoindre.
« Je chante les tasses isolées », écrit Quignard.
En effet, je ne jetterai pas la tasse offerte.
Pour la lectrice du matin, à quoi bon une anse ?
La tasse peut être utilisée comme un mug.
Sauf que je n’emploie jamais ce mot, qui n’évoque rien d’autre pour moi qu’un brouillard langagier.
Plus loin, l’écrivain continue sa litanie des solitaires, êtres et objets privés d’une partie d’eux-mêmes :
« J’écris soit sur des soucoupes qui ont perdu leur tasse au colleret bleu de la manufacture de Sèvres.
Sur les vieux musiciens à fraise et à chapeau à tube.
Sur les veufs, sur les veuves.
Sur les orphelins.
Sur ceux qui sont nés dans les ruines et leur mère résolument absente. »


La litanie continue. Mais elle commence par une tasse. Il y a d’ailleurs comme dans les livres de Sebald une photo à l’appui, tasse précieuse de fine porcelaine, sauf que ce n’est pas la tasse dont l’anse s’est détachée ce matin.
Le ciel est ce matin absolument parfait. Bleu, frais, dégagé. Il engage à chanter, à marcher, à rire même de manière insouciante.
J’imagine que ce sont de tels ciels que traversent des bombardiers au-dessus d’Alep. Et là, se pose tout à coup une question de forme. Dois-je supprimer le début de la phrase ? Ce jeu d’imaginer a-t-il ici sa place ?
À nouveau le ciel.
Ma mère aurait eu 102 ans cet été.
28 août




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