La visite d’un
ami est toujours une surprise, même si elle était annoncée.
L’ami est là et
raconte les conversions de cours d’eau dont un possède un nom si petit, alors
qu’il est puissant, qu’il fait sourire.
L’ami prononce
des mots comme retrait, réserve, conversion.
Il explique ce
qui est en train de se produire et nous le comprenons d’autant mieux que nous
sommes ses contemporains. Il raconte sa première année de retrait. Et c’est un
voyage qu’il raconte. Vers le Nord. Comme Char écrivant que la source est en
aval du fleuve, Jean avance dans le canton des trois-lacs et croise Rousseau et
Walser. Nous ne lui racontons pas notre petit périple sur le lac et dans l’île
saint pierre qui n’en est plus une, puisque reliée à la terre par une route. Ni
comment nous sommes montés dans la chambre qu’occupa Rousseau dans la grande
maison, aujourd’hui une auberge, et où, nous a-t-on affirmé, rien n’a changé.
Sebald se joint
à son tour à Walser et Rousseau pour accoster sur l’île saint pierre.
L’ami évoque
saint augustin (et un tableau le réprésentant dans son studio, le regard tourné
vers la fenêtre et le chien à ses pieds) qui réclama dix jours avant de mourir.
Nous en sommes
arrivés là, dit J.P.
Le marcheur
qu’il est sait bien mieux que moi où nous mène la marche en avant. Et la
question reste pendante, avant de mourir, celle qui vient aux lèvres du
mourant, a-t-on bien refermé la porte du poulailler ?
Quand nous
partons à la retraite, nous ne pouvons plus ignorer l’issue du chemin. La
barrière refermée, au loin, mais si proche maintenant de nous. Le besoin de
voir devant soi s’étendre le temps prendra fin lui aussi. Evoquant son fils et
la grâce qui l’anime, il dit ce qu’il ne peut plus faire désormais avec son
corps. Disant cela, Jean sourit, sans tristesse ni regret.
Aujourd’hui, ce
matin, grâce à la visite de l’ami et de tout un pan de sa vie venue avec lui,
entré dans notre maison, j’ai pu regagner l’espace de la petite caravane et
poursuivre ce qui a été commencé. Malgré mes pieds douloureux, malgré la
chaleur pointant son nez et grâce aux paroles échangées, même si je n’ai le
plus souvent qu’acquiescé à ce qui était dit.
Le mot
conversion a été utilisé plusieurs fois et jamais, malgré l’évocation du saint,
dans un sens religieux. Les fleuves peuvent subir des conversions et c’est ce
qui est arrivé à l’Aar dans la région des trois-lacs, ce qui explique que les
eaux ont baissé et que l’île saint-pierre n’en est plus une. L’ami marcheur
nous a expliqué aussi un phénomène étonnant de reflux des eaux dans le lac de
Neuchâtel.
Même émotion
ressentie que lorsque, invitée à Rovaniemi dans une famille finlandaise,
j’avais eu l’impression d’être parvenue à quelque chose que je croyais
impossible. Et voilà que, grâce encore une fois à l’amitié, je ressentais une
grande joie, accueillir cette fois un écrivain en marche, voir se dessiner sous
nos yeux ses courses et rencontres, la part de l’eau et des mots, l’écoulement
du temps entre nous, les humains, et la formation des paysages modelés par
l’histoire, le livre enfin qui serait bientôt publié.
Ce que j’aime
aussi, dans la cabane, ce sont les ombres qui jouent sur la table et le lit, ombres
lumineuses que le vent fait frissonner sur les parois de la caravane. Le bruit
du vent aussi, et même celui des voitures qui ralentissent avant d’emprunter
notre chemin de terre. Un isolement au milieu des arbres, non loin de la route
et du chemin, tout près de la maison, dans une maison sur roues qui sans doute
ne bougera plus guère. On peut entendre, sans être vu, les voix de ceux qui
sont là, certains travaillant, d’autres jouant non loin de la petite cabane de
Thoreau, et l’ami Jean évoque le livre qu’il a emporté avec lui dans ses
pérégrinations, et je me demande ce qui nous pousse à toujours vouloir aller
plus loin.
Beaucoup de noms
de lieux et tous dans la région des trois-lacs ont rafraîchi la géographie
matinale.
21 août
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