mercredi 22 août 2018

titre du tableau: la visite d'un ami



La visite d’un ami est toujours une surprise, même si elle était annoncée.
L’ami est là et raconte les conversions de cours d’eau dont un possède un nom si petit, alors qu’il est puissant, qu’il fait sourire.
L’ami prononce des mots comme retrait, réserve, conversion.
Il explique ce qui est en train de se produire et nous le comprenons d’autant mieux que nous sommes ses contemporains. Il raconte sa première année de retrait. Et c’est un voyage qu’il raconte. Vers le Nord. Comme Char écrivant que la source est en aval du fleuve, Jean avance dans le canton des trois-lacs et croise Rousseau et Walser. Nous ne lui racontons pas notre petit périple sur le lac et dans l’île saint pierre qui n’en est plus une, puisque reliée à la terre par une route. Ni comment nous sommes montés dans la chambre qu’occupa Rousseau dans la grande maison, aujourd’hui une auberge, et où, nous a-t-on affirmé, rien n’a changé.
Sebald se joint à son tour à Walser et Rousseau pour accoster sur l’île saint pierre.
L’ami évoque saint augustin (et un tableau le réprésentant dans son studio, le regard tourné vers la fenêtre et le chien à ses pieds) qui réclama dix jours avant de mourir.
Nous en sommes arrivés là, dit J.P.
Le marcheur qu’il est sait bien mieux que moi où nous mène la marche en avant. Et la question reste pendante, avant de mourir, celle qui vient aux lèvres du mourant, a-t-on bien refermé la porte du poulailler ?
Quand nous partons à la retraite, nous ne pouvons plus ignorer l’issue du chemin. La barrière refermée, au loin, mais si proche maintenant de nous. Le besoin de voir devant soi s’étendre le temps prendra fin lui aussi. Evoquant son fils et la grâce qui l’anime, il dit ce qu’il ne peut plus faire désormais avec son corps. Disant cela, Jean sourit, sans tristesse ni regret.
Aujourd’hui, ce matin, grâce à la visite de l’ami et de tout un pan de sa vie venue avec lui, entré dans notre maison, j’ai pu regagner l’espace de la petite caravane et poursuivre ce qui a été commencé. Malgré mes pieds douloureux, malgré la chaleur pointant son nez et grâce aux paroles échangées, même si je n’ai le plus souvent qu’acquiescé à ce qui était dit.
Le mot conversion a été utilisé plusieurs fois et jamais, malgré l’évocation du saint, dans un sens religieux. Les fleuves peuvent subir des conversions et c’est ce qui est arrivé à l’Aar dans la région des trois-lacs, ce qui explique que les eaux ont baissé et que l’île saint-pierre n’en est plus une. L’ami marcheur nous a expliqué aussi un phénomène étonnant de reflux des eaux dans le lac de Neuchâtel.
Même émotion ressentie que lorsque, invitée à Rovaniemi dans une famille finlandaise, j’avais eu l’impression d’être parvenue à quelque chose que je croyais impossible. Et voilà que, grâce encore une fois à l’amitié, je ressentais une grande joie, accueillir cette fois un écrivain en marche, voir se dessiner sous nos yeux ses courses et rencontres, la part de l’eau et des mots, l’écoulement du temps entre nous, les humains, et la formation des paysages modelés par l’histoire, le livre enfin qui serait bientôt publié.
Ce que j’aime aussi, dans la cabane, ce sont les ombres qui jouent sur la table et le lit, ombres lumineuses que le vent fait frissonner sur les parois de la caravane. Le bruit du vent aussi, et même celui des voitures qui ralentissent avant d’emprunter notre chemin de terre. Un isolement au milieu des arbres, non loin de la route et du chemin, tout près de la maison, dans une maison sur roues qui sans doute ne bougera plus guère. On peut entendre, sans être vu, les voix de ceux qui sont là, certains travaillant, d’autres jouant non loin de la petite cabane de Thoreau, et l’ami Jean évoque le livre qu’il a emporté avec lui dans ses pérégrinations, et je me demande ce qui nous pousse à toujours vouloir aller plus loin.
Beaucoup de noms de lieux et tous dans la région des trois-lacs ont rafraîchi la géographie matinale.
21 août

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