jeudi 2 août 2018

Des livres de glace, marchant à l'écriture, Morandi, Klaus Mann





Dans la moiteur d’une ville qui aurait changé d’hémisphère, on court ou presque échanger des livres contre d’autres. Certains dévorent des glaces, rêvent d’Islande, se baignant dans l’eau de l’oubli le soir, d’autres lisent des livres de glace.
Journal de voyage de Göran Tunström trouvé dans la maison à livres et emporté tel un trésor.

De la Suède à l’Inde, des voyages et des dessins. L’amie suédoise qui vit non loin de chez nous m’avait dit sa tristesse à l’annonce de sa mort. Elle le connaissait et l’appréciait beaucoup. Le lisant, je découvre qu’il est vivant, prépare un voyage, prend son jeune fils dans ses bras pour lui faire traverser une rivière, prend le thé avec un ami indien, et consigne dans ses carnets ce qui arrive et n’arrive pas.

Et ce matin, après une nuit entourée de feuillages, le réveil a été souriant et je suis  parti marcher, mon Handke filant devant et moi, les yeux bien ouverts à la fraîcheur. Marcher, c’est une évidence, donne envie. Redonne envie. Permet le regard. Une tomate au pied d’un poirier fait sourire, on la ramasse, elle est parfaitement verte. Une tache noire petite encore dévoile son mal. Il fallait la retourner pour découvrir ce qui a poussé quelqu’un à la jeter là. Et on reprend sa route. Entendre et voir dans le même mouvement, encore une fois, l’idée que l’été est ce moment où les sons prennent de l’ampleur.
Voix entendues dans les vergers.
Ramasseurs, cueilleurs. Fruits d’or de mes voisins.
Pommes peuvent encore attendre. Un peu.
Envie un peu bête de chanter louanges. Fruits, arbres, agriculteurs.
Allées de tréfle douces sous les pieds blessés.
Beaux jeunes cerisiers suintant de résine dorée dans la compagnie de figuiers vigoureux et verts.
Le soin apporté aux alignements, l’herbe, quelques fleurs encore.
Les jeunes voisins font avancer nos espérances avec les leurs, laissant de côté le désespoir de la radio.
Nous vivons en sursis. Depuis toujours. Mais, comme dirait ma mère, ça avance. Vite.
Non loin de chez nous Sanofi. Autour traitements en tous genres.
De jeunes agriculteurs tentent autre chose. Peu nombreux, moqués par les tenants de la chimie. De moqués à toqués, une lettre.

Plus loin, vergers tristes, cerisiers malades, arbres presque morts.
Et friches aussi. Parcelles terreuses et stériles.

La marche reprend, quelques images en passant, le Morandi a changé d’atmosphère, mon cœur bat moins vite, le voisin prend son café à l’ombre de son arbre. Un tracteur passe derrière moi. Ici on pourrait vivre de peu.
On s’y essaie.
En se donnant quelques règles, marcher, boire de l’eau, écrire. Je repense à la phrase de Paul Nizon, Marcher à l’écriture. À ce que met en branle le fait de se mouvoir seul en pleine nature. La marche urbaine ne m’a jamais amenée sur ces marges. Là où je vais, retraçant des boucles de chemins ou de travées entre les alignements d’arbres fruitiers, les haies de cyprès, ce n’est certes pas la nature sauvage que je croise. Mais y pointent ronces et herbes urticantes, vols froufroutants dans les feuillages, renardeau à l’affût, écureuil débusqué qui me regarde perplexe.
Partout le travail des hommes s’y rencontre.
Parfois pour la beauté, parfois pour la ruine.
Est-ce que je m’éloigne de la poésie en marchant autour de notre maison, ou est-ce que je la retrouve en compagnie d’amis inconnus ? Ne savent-ils pas mieux que je ne le saurais jamais, ce qui se joue en marchant ?



Il y a quelques années j’ai rencontré Paul Nizon et gagné cinq euros en faisant un pari avec lui. Dans un bistrot de Dijon. S’en souvient-il seulement ? J’aimais ses livres avant cette soirée. Et de tous ses livres, quatre mots sont restés vivaces dans la mémoire. Au point qu’ils me reviennent souvent. Certains s’étonneront : si peu ? J’ai gardé le billet de cinq euros. Gagné grâce au Fernet-Branca.

De retour à la caravane, sans eau ni électricité, où nous avons dormi cette nuit, je suis accueillie par le visage de Klaus Mann et le titre de son livre, Contre la barbarie. Les dates 1925-1948 parlent du siècle dernier. Le jeu des feuillages avec le soleil le jour, la lune la nuit, est un réconfort. Le livre a été publié en France en 2009.

Le pays qu’on crée à force de vivre existe bel et bien dans le balancement léger du rideau de la caravane. Est-ce que cette phrase est juste ? En tout cas elle clôt la page.

Plus tard le même jour, arrivée d’Adil.
Étonnement du petit qui se ravisant lui sourit.
Me demande ensuite si Adil aime les enfants méchants.
Je réponds que ça n’existe pas vraiment, les enfants méchants.
Le Petit sourit encore.
Ensuite un paquet précieux arrive : un nid doré où dort un escargot, trois noisettes et une courte lettre pleine de paillettes. Mon fils dit : lettre de poète !

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