Dans la moiteur
d’une ville qui aurait changé d’hémisphère, on court ou presque échanger des
livres contre d’autres. Certains dévorent des glaces, rêvent d’Islande, se
baignant dans l’eau de l’oubli le soir, d’autres lisent des livres de glace.
Journal de
voyage de Göran Tunström trouvé dans la maison à livres et emporté tel un
trésor.
De la Suède à
l’Inde, des voyages et des dessins. L’amie suédoise qui vit non loin de chez
nous m’avait dit sa tristesse à l’annonce de sa mort. Elle le connaissait et
l’appréciait beaucoup. Le lisant, je découvre qu’il est vivant, prépare un
voyage, prend son jeune fils dans ses bras pour lui faire traverser une
rivière, prend le thé avec un ami indien, et consigne dans ses carnets ce qui
arrive et n’arrive pas.
Et ce matin, après
une nuit entourée de feuillages, le réveil a été souriant et je suis parti marcher, mon Handke filant devant et
moi, les yeux bien ouverts à la fraîcheur. Marcher, c’est une évidence, donne
envie. Redonne envie. Permet le regard. Une tomate au pied d’un poirier fait
sourire, on la ramasse, elle est parfaitement verte. Une tache noire petite
encore dévoile son mal. Il fallait la retourner pour découvrir ce qui a poussé quelqu’un
à la jeter là. Et on reprend sa route. Entendre et voir dans le même mouvement,
encore une fois, l’idée que l’été est ce moment où les sons prennent de
l’ampleur.
Voix entendues
dans les vergers.
Ramasseurs,
cueilleurs. Fruits d’or de mes voisins.
Pommes peuvent
encore attendre. Un peu.
Envie un peu
bête de chanter louanges. Fruits, arbres, agriculteurs.
Allées de tréfle
douces sous les pieds blessés.
Beaux jeunes
cerisiers suintant de résine dorée dans la compagnie de figuiers vigoureux et
verts.
Le soin apporté aux
alignements, l’herbe, quelques fleurs encore.
Les jeunes
voisins font avancer nos espérances avec les leurs, laissant de côté le
désespoir de la radio.
Nous vivons en
sursis. Depuis toujours. Mais, comme dirait ma mère, ça avance. Vite.
Non loin de chez
nous Sanofi. Autour traitements en tous genres.
De jeunes
agriculteurs tentent autre chose. Peu nombreux, moqués par les tenants de
la chimie. De moqués à toqués, une lettre.
Plus loin,
vergers tristes, cerisiers malades, arbres presque morts.
Et friches
aussi. Parcelles terreuses et stériles.
La marche
reprend, quelques images en passant, le Morandi a changé d’atmosphère, mon cœur
bat moins vite, le voisin prend son café à l’ombre de son arbre. Un tracteur
passe derrière moi. Ici on pourrait vivre de peu.
On s’y essaie.
En se donnant
quelques règles, marcher, boire de l’eau, écrire. Je repense à la phrase de
Paul Nizon, Marcher à l’écriture. À
ce que met en branle le fait de se mouvoir seul en pleine nature. La marche
urbaine ne m’a jamais amenée sur ces marges. Là où je vais, retraçant des
boucles de chemins ou de travées entre les alignements d’arbres fruitiers, les
haies de cyprès, ce n’est certes pas la nature sauvage que je croise. Mais y
pointent ronces et herbes urticantes, vols froufroutants dans les feuillages,
renardeau à l’affût, écureuil débusqué qui me regarde perplexe.
Partout le
travail des hommes s’y rencontre.
Parfois pour la
beauté, parfois pour la ruine.
Est-ce que je
m’éloigne de la poésie en marchant autour de notre maison, ou est-ce que je la
retrouve en compagnie d’amis inconnus ? Ne savent-ils pas mieux que je ne
le saurais jamais, ce qui se joue en marchant ?
Il y a quelques
années j’ai rencontré Paul Nizon et gagné cinq euros en faisant un pari avec
lui. Dans un bistrot de Dijon. S’en souvient-il seulement ? J’aimais ses
livres avant cette soirée. Et de tous ses livres, quatre mots sont restés
vivaces dans la mémoire. Au point qu’ils me reviennent souvent. Certains
s’étonneront : si peu ? J’ai gardé le billet de cinq euros. Gagné
grâce au Fernet-Branca.
De retour à la
caravane, sans eau ni électricité, où nous avons dormi cette nuit, je suis
accueillie par le visage de Klaus Mann et le titre de son livre, Contre la
barbarie. Les dates 1925-1948 parlent du siècle dernier. Le jeu des feuillages
avec le soleil le jour, la lune la nuit, est un réconfort. Le livre a été
publié en France en 2009.
Le pays qu’on
crée à force de vivre existe bel et bien dans le balancement léger du rideau de
la caravane. Est-ce que cette phrase est juste ? En tout cas elle clôt la
page.
Plus tard le même
jour, arrivée d’Adil.
Étonnement du petit
qui se ravisant lui sourit.
Me demande
ensuite si Adil aime les enfants méchants.
Je réponds que
ça n’existe pas vraiment, les enfants méchants.
Le Petit sourit
encore.
Ensuite un
paquet précieux arrive : un nid doré où dort un escargot, trois noisettes
et une courte lettre pleine de paillettes. Mon fils dit : lettre de poète !
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