mercredi 27 novembre 2013

Sur la tombe de l'inconnu chinois?

Il y a beaucoup de restaurants chinois à Bourges.


Ca a commencé comme ça. Et aussi avec un livre et une conversation. Drôle de moment, une conversation, a dit Bosseigne en me tendant un petit livre brun.

Tu es déjà passé par Bourges, a-t-il repris. Mais ce n'était pas une question. Mon parent avait son air des mauvais jours. Trop froid, a-t-il ajouté. L'hiver. La langue est gelée dans le cerveau. Rabelais. Mots figés. J'avais beau marcher vite. Rien ne dégelait dans ma tête. Alors j'accélérais le pas, peine perdue.
Et ce livre.

Je l'avais en main. Un livre de 90 pages.
Je ne suis pas passé par le cimetière. La tête me brûlait. Il faisait quatre degrés en dessous. De zéro, a précisé Bosseigne.

Je me suis mise à rire parce que j'ai pensé à une femme que je connais, qui est archéologue et qui ne dit jamais, en parlant d'un objet ancien, avant JC. Elle préfère une manière plus abrupte: 7 siècles avant, et c'est suffisant.

La conversation, c'est ce que nous faisons, non, chaque matin et chaque soir, en lieu et place d'activités sportives, ai-je dit à mon parent pour l'apaiser un peu.


Tu as lu le titre?
Oui, Stoned at Bourges. Je ne saurais pas exactement le traduire. Pétrifié à Bourges.
Il est question d'un cimetière. Je ne sais pas encre lequel. Il y en a deux à Bourges.
La pierre d'une tombe?
Peut-être, mais il y en a beaucoup.
Et ce livre.
M'a été donné. Et là j'ai découvert l'inconnu chinois. Et toutes ces pierres tombales avec ces noms. Et lui, le sans-nom. Voilà.

J'ai préparé un thé et un chocolat et par chance, j'avais acheté deux parts de far breton. La boulangère avait cru bon de planter dans chaque part un petit drapeau noir et blanc. Breizh. Je lui avais demandé si elle était originaire de Bretagne. Pas  du tout. Pourquoi, a-t-elle demandé. Je n'ai pas parlé du drapeau.

Ce chocolat chaud va réchauffer ta pensée, ai-je dit à mon parent en lui donnant une tasse. C'est radical.

Bosseigne n'a fait aucun commentaire, a serré ses deux mains autour du bol. Il a gardé les yeux baissés.
Je me suis mise à feuilleter le livre de Ian Monk. J'ai aimé sa manière d'ordonner le poème, en longues laisses, séparées par des chiffres romains. De I à VI. Comme les chants de l'Enéïde, me suis-je dit. De la page 43 à la page 48, tous les vers commencent par :
L'inconnu chinois...
et le livre se termine par ces mots:
ce papier devant mes yeux.
Comme moi, ce livre, devant mes yeux, que je parcours sans vraiment le lire, près de la lampe, avec, en face de moi, prostré dans la contemplation de la tasse de chocolat que je venais de lui servir.

Qui est ce chinois alors?
Justement, on n'en sait peu de choses. Il est mort en 1919, à Bourges.
Un soldat?
On l'avait fait venir avec d'autres pour travailler en usine d'armement. C'est lui l'inconnu chinois.
Le tombeau du soldat inconnu, c'est lui?
L'inconnu chinois, oui.
Dans le Berry?
Oui, oui. C'est étrange, je te l'accorde. Et troublant. J'allais dire tremblant. De froid. D'effroi aussi.
Alors on arrête.
Quoi?
Cet inconnu. Pour ce soir. Il faut te réchauffer. Je vais faire une soupe. Et prends donc cette couverture.

Mon parent m'a regardée un peu surpris du ton autoritaire que je venais de prendre.
Mais nous avions besoin de passer à autre chose.
Pour ce soir en tout cas. L'inconnu chinois ne mangerait pas à notre table.
Mais nous, plus tard.
Nous l'inviterions.
Entre nous deux nous lui ferions une place.
Mais pas ce soir.
Non.



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