dimanche 24 novembre 2013

La nostalgie pour dire l'exil des gardes suisses du Vatican

Bosseigne a froid. Préfère la mer, sa douceur l'été. Grogne. Regimbe. Roumègue. Cherche ses mots. Se tait.
J'ai essayé de dire autre chose. De dire autrement dit. Au lieu de parler silence, tenter de passer la barre des dents. Mais.
Nous cherchons nos mots. Quant aux maux. N'en parlons guère. Evitons parler guerre. Quelques mots, quels mots, gronde Bosseigne.

Un âne bienfaisant s'élevait dans l'azur souriant,
sabots joints, à Sainte Bernadette.

A haute voix, Nicolas Bouvier. Comparse, compagnon, camarade. Bosseigne lève le nez? Comment?

Je ne sais que répondre: Bouvier, oui, même si pour toi. Mais cette proximité du Suisse et sa nostalgie au centre.


En grec, ce mot n'a jamais existé.
Formé plus tard. Nostos et algos.
Oui, achève Bosseigne. Fermant la bouche comme la conversation. Moi, non.
Les gardes suisses du pape avaient la nostalgie du pays natal, alors.
Alors on a inventé ce mot pour eux?
D'après l'allemand, heimweh. La douleur du pays natal.
Et ils partaient?
Oui, sinon ils mouraient, alors ils désertaient, disparaissaient. Arrivés en Suisse en 1506.
Continue, dit mon parent, impatient et agacé.
Ils éprouvaient à nouveau ce curieux sentiment. Languissant de Rome.
La bêtise de celui qui veut toujours ce qu'il n'a pas, conclut Bosseigne.

Je ne dis rien. Mon parent, me semble-t-il, se fourvoie. N'est pas sur la bonne route. Doit faire demi-tour.

Ce n'est pas ça. Non. Mais si on considère le voyageur, celui qui va et vient sur la mer vineuse, revenant et repartant, Ulysse pour ne pas le nommer, ou Nicolas Bouvier, alors on comprend mieux ce mot de nostalgie.
On ne soupire qu'après ce qui s'éloigne de soi et parfois, le plus souvent, on ignore ce après quoi on soupire. Il est des pays qui ont ce pouvoir d'être désirables, à la fois à cause de leur nom comme ce beau mot de Finlande, ou parce qu'ils incarnent à nos yeux, bien davantage que d'autres, la nostalgie, comme le Portugal, pays à qui on doit l'invention de la saudade. Ces deux pays ont en commun des faits historiques douloureux qui renvoient à la disparition, celle énigmatique du jeune roi Sebastien et la cession de la Carélie pour les  Finlandais qui virent ainsi disparaître un pan entier de leur territoire national au profit de l'ennemi soviétique.

De l'étymologie tu passes à l'histoire des peuples et à leurs mythes nationaux!

Mon Bosseigne s'indigne dans le jour finissant, se lève, maugrée encore, met une bûche au feu.

Tout ce que j'aime lire a trait à cette nostalgie, ai-je tenté à nouveau, pour ramener Bosseigne vers les voyages dans les mots. Nous en sommes là, ne bougeant guère, égrenant les mots qui nous éloignent sans un seul mouvement que celui de la mémoire.
Et ce foutu fauteuil, est-ce qu'il nous parle de nostalgie? Je me demande parfois si je désire vraiment qu'il réapparaisse ici.
Nous ne le saurons que le jour où.
Nous irons le chercher, au printemps, quand la neige aura fini d'encombrer les chemins et les routes.
Sans doute, sans doute, ai-je marmonné.
Tous les coqs du matin chantaient...a écrit Bouvier avant de connaître Tabriz et il en avait déjà éprouvé la nostalgie.
J'abandonne, ce soir, tu as plus de chance que moi.
Un peu de soupe au menu. Diète. Et demain.
Du vin, rouge, qui réchauffe. Pour la mer couleur de vin. Et des arbres à planter. Trois. Pruniers de sainte Catherine.

Nous avons fini là-dessus.
Bosseigne a raison, buvons et demain, nous travaillerons au jardin.
Malgré le froid. Mettrons nos bottes en caoutchouc.
Irons dans la boue. Creuserons trois trous.
Planterons trois arbres.
Piétinerons la nostalgie.

Bosseigne a une fois plus gagné la partie.




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