jeudi 14 novembre 2013

Empêcher, arriérer quelqu'un, puis rester en arrière, puis s'arriérer, partir (en Sibérie)

Porter préjudice à quelqu'un, empêcher: arriérer quelqu'un, puis rester en arrière, puis s'arriérer, est un verbe dérivé.
Nous voulions aller le soir encore plus loin; mais un vent du nord violent nous en empêcha. Selon l'usage du pays, les bateaux n'avaient pas d'autre gouvernail qu'un baliveau...
Dériver comme une barque sur la mer...
Certains écrivains enlèvent tous les comme.
Je ne suis pas écrivain, j'écris.
Comme, dans comme une barque si tu l'enlèves, le sens dérive bizarrement.
Le soir on fait ce qu'on veut de la langue. Puisque derrière il y a la nuit.
Pas le matin?
On ne peut pas, on va l'utiliser toute la journée, la langue. Alors.


Je n'avais jamais pensé à ça, ce que dit Bosseigne, la langue et la nuit, la langue et le jour. C'est sur la même ligne que l'aristocratie des mots. Mon parent est travaillé par sa thèse et le soir, il jette sa gourme.
Je suis restée en arrière. A écouter se poursuivre en moi l'avancée linguistique de Bosseigne. Son règlement de compte personnel. Le soir. Nous avions dîné. Le feu mijotait pour la nuit. Nous restait un peu de temps avant l'engloutissement au fond du puits. Mais je ne trouvais rien à ajouter. Pour moi, les mots n'avaient pas de hiérarchie. Je n'aimais pas les gens qui se délectaient de ce qu'ils appelaient les mots poétiques. Qui écrivaient des poèmes remplis jusqu'à la gueule. Mon parent et moi étions d'accord là dessus. Mais son aristocratie et ses esclaves, non.

C'est comme ce terme de mal donné.
Oui?
Broussailles.
Comme, tu l'as utilisé encore?
J'aime ce mot modeste, bégayeur, sans prétention.
C'est un mot esclave?
Oui, un peu. Mais il est sûr de lui. C'est pour ça que.
Les écrivains s'en méfient?
Oui; ils redoutent d'être découverts.
Marcher à découvert dans la page?

Bosseigne s'enfonce dans quelque réflexion qui l'éloigne de moi. De la maison de nos parents. De cette famille en fuite qui est la nôtre. D'Yverdon. De la Suisse. C'est son livre. Un vieux livre qu'il a acheté aux puces de la Place du Marché. Voyage en Sibérie, A Paris, Chez Desaint, rue du Foin Saint Jacques, 1767. Mon parent m'a fait lire la première page. A présent il s'éloigne rapidement le long d'un fleuve.

Plus on remonte la Vitime, plus on voit s'élever les montagnes qui bordent ses rives: la plupart sont couvertes de forêts épaisses. Sa source est fort éloignée...
Comme toi?
Je suis en Sibérie. Chez les Iakoutes. Tu connais?
La Sibérie? Chalamov.
Pas seulement.  Ecoute encore: Le genre de vie des Iakoutes est peu différent des autres sibériens idolâtres. Le pain ne leur est point nécessaire. Ils mangent les racines de l'argentine. Ce n'est pas un pays, mais une plante qu'ils mangent crue, signe de leur rusticité et de leur paganisme. Pas de pain!
Tu crois qu'il y a un lien entre le pain et le paganisme?
Bien sûr. Le pain est corpus christi. Non?

Voilà où nous en arrivons.
A la nuit noire.
En Sibérie.
Sans pain.
Sans feu.
Et nous.








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